mercredi 14 décembre 2022

Le London Symphony Orchestra et sir Simon Rattle oppressent Schumann et magnifient Rachmaninov

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 12 décembre 2022

Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Ce n’a pas été un programme transcendant que le London Symphony Orchestra et son patron Sir Simon Rattle proposaient cette fois à leur public parisien. Face au très populaire - à juste titre - Concerto pour piano et orchestre en la mineur op. 54 de Robert Schumann, son ouverture Genoveva Op. 81 et la plus rare Symphonie n° 3 en la mineur op. 44 de Serge Rachmaninov… Une mise en regard de deux compositeurs distants autant dans l’espace que dans le temps, qui, de ce fait, n’ont apparemment rien en commun, si ce n’est l’expressivité romantique pour l’Allemand et postromantique pour le Russe…

Mitsuko Uchida, Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

La première partie du concert était donc dévolue au seul Robert Schumann (1810-1856). Le Concerto pour piano atteignant à peine la demi-heure, c’est avec les dix minutes de l’ouverture de l’opéra en quatre actes Genoveva (Geneviève) que le London Symphony Orchestra a débuté sa prestation parisienne. Ce drame médiéval de la jalousie tiré de la légende du VIIIe siècle Geneviève de Brabant s’inspire de la tragédie éponyme en cinq actes de Friedrich Hebbel (1813-1863) écrite en 1843 - parallèlement à la genèse de l’unique opéra de Schumann, Richard Wagner composait son Lohengrin dont l’action a également pour cadre le Brabant médiéval. Ecrite en avril 1847, deux ans avant l’opéra auquel elle prélude qui sera créé le 25 juin 1851 au Stadt-Theater de Leipzig, l’ouverture a été donnée pour la première fois quatre mois auparavant dans la même cité saxonne. Si l’opéra ne dépassa pas le cap de cinq représentations après sa création, ce n’est pas le cas de l’ouverture dont le climat sombre et passionné est particulièrement séduisant. Le London Symphony Orchestra et son directeur musical en ont donné une lecture sombre et poétique, plongeant en une petite dizaine de minutes dans l’atmosphère délicatement humaine et dramatique de Schumann.

Mitsuko Uchida et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Ce qui n’a pas été vraiment perceptible dans le célébrissime Concerto pour piano en la mineur achevé par Schumann deux ans avant l’ouverture de Genoveva. Ce n’est pas la part dévolue à l’orchestre qui a péché par faiblesse, bien au contraire, Simon Rattle et ses musiciens brodant un tissu orchestral onctueux, généreux, brillamment soutenu, empli de délicieuses sonorités et poussant à l’expressivité, avec cependant une tendance à couvrir la soliste, mais bel et bien le piano de Mitsuko Uchida. L’artiste japonaise résidant à Londres m’est apparue étrangement perdue entourée des bruissements un peu trop amples de l’orchestre, Mitsuko Uchida semblant se concentrer sur sa technique, il est vrai irréprochable, au détriment de l’expression. Non pas en se protégeant de toute tentation au pathos, comme cela arrive trop souvent dans cette œuvre chez beaucoup d’interprètes, mais en demeurant étonnement trop tendre, délicate, au risque de paraître distante, tiède, excessivement retenue, pudique. Mais il est vrai que l’orchestre s’est avéré un peu trop présent, au point d’écraser le piano et d’éteindre le jeu de la soliste, qui a semblé renoncer à la lutte pour émerger de l’ensemble. Le public l’a cependant ovationnée avec insistance jusqu’à ce qu’elle lui offre un bis, avec une troisième œuvre de Schumann dans cette première partie de concert, l’Aveu, dix-septième section du Carnaval op. 9 à laquelle Mitsuko Uchida a donné avec une délicieuse tendresse le ton d’une intime confidence. 

Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie du concert du LSO était entièrement occupée par une seule partition dans la même tonalité que le concerto de Schumann, la Symphonie n° 3 en la mineur op. 44 de Serge Rachmaninov (1873-1943). Les trois symphonies du compositeur russe exilé à partir de 1917 aux Etats-Unis ne figurent pas parmi ses œuvres les plus passionnantes. Composée en 1935-1936, créée le 6 novembre 1936 à Philadelphie sous la direction de Leopold Stokowski, construite en trois mouvements à l’instar de la Symphonie de César Franck, cette partition est la pénultième de Rachmaninov, qui ne devait plus concevoir jusqu’à sa mort le 28 mars 1943 que les Danses symphoniques op. 45 (1940-1941). La genèse difficile - Rachmaninov écrira à la fin de son manuscrit « Fini ! Dieu soit loué ! » - se ressent quelque peu. Le compositeur le constata d’ailleurs de lui-même, notant que « en faisant le compte des admirateurs de cette œuvre, j’ai réussi à relever trois doigts. Le premier pour [le chef d’orchestre britannique] sir Henry Wood, le deuxième pour le violoniste [allemand Adolf] Busch, et le troisième - je m’excuse - pour moi ! Quand j’aurai épuisé tous les doigts des deux mains, j’arrêterai de compter. Simplement, quand cela arrivera-t-il ? » L’anachronisme esthétique dont la presse se fit immédiatement l’écho reste d’actualité, même si trop de compositeurs d’aujourd’hui se font plus encore surannés. Si l’on retrouve une fois encore le Dies Irae du rituel catholique des morts, thème que l’on retrouve souvent dans la l’œuvre de Rachmaninov notamment dans ses Variations Paganini mais aussi dans sa Symphonie n° 1 de 1895, la Troisième Symphonie est intensément russe dans son expression, emplie de douleur. La beauté des timbres du LSO (j’avoue mon étonnement devant le fait que Rattle ait convié sept violoncelles pour huit contrebasses, soit trois violoncelles manquants, donnant ainsi davantage d’assise harmonique grave aux dépends de la vocalité face au fatum) ont heureusement servi cette œuvre un brin écrasante. 

Sir Simon Rattle et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

En bis, comme pour laisser un éclairage plus optimiste à ce concert préludant à celui programmé dès le 15 janvier prochain (Beethoven/Stravinski), Simon Rattle et le LSO ont donné une Danse slave d’Antonin Dvorak au chant étincelant.

Bruno Serrou

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