Perpignan. Théâtre de l’Archipel. Festival Aujourd’hui Musiques. 13-15
novembre 2015
Perpignan. Au fond, le mont Canigou. Photo : (c) Bruno Serrou
C’est sous l’emprise des terrifiants
événements qui ont tétanisé Paris dans la nuit de vendredi 13 à samedi 14
novembre que s’est ouvert le festival de création contemporaine Aujourd’hui
Musiques de Perpignan.
Photo : (c) Bruno Serrou
L’atmosphère de la journée de
vendredi 13 novembre était déconcertante. Tandis que la Gare de Lyon était
évacuée par la police à la suite d’une alerte téléphonique à la valise piégée, partait
le TGV qui m’emmenait vers la cité catalane, alors-même qu’un autre TGV au
départ de Lyon vers Barcelone était supprimé. Celui où je me trouvais récupérera
une heure quarante-cinq plus tard les voyageurs, l’obligeant à deux arrêts
supplémentaires, le premier à Lyon-Saint-Exupéry pour les embarquer, le second
à Béziers pour en déposer quelques-uns. Une douce soirée d’automne digne d’un
mois de juin m’attendait à Perpignan pour le concert d’ouverture d’Aujourd’hui
Musiques. Un concert au programme peu attractif pour moi, mais qui permettait d’écouter
la qualité du travail réalisé au sein du Conservatoire de Perpignan, qui vient
d’inaugurer ses locaux somptueusement rénovés (voir http://www.la-croix.com/Culture/Musique/A-Perpignan-le-Conservatoire-navire-amiral-de-la-politique-culturelle-2015-11-16-1380920).
Daniel Tosi et l'Orchestre Perpignan Méditerranée. Photo : (c) G. Cuartero / Aujiurd'hui Musiques
John Adams par Daniel Tosi
Le concert d’ouverture qui s’est
déroulé simultanément au début des attentats à Paris était en effet entièrement
consacré à John Adams. L’Orchestre Perpignan Méditerranée, constitué de
musiciens qui enseignent pour beaucoup au sein du Conservatoire et dirigé par le
compositeur Daniel Tosi, également directeur du Conservatoire de la cité
catalane, a donné l’une des œuvres les plus emblématiques du compositeur
minimaliste américain, le fameux Harmonielehre
composé en 1985. Allusion au livre éponyme d’Arnold Schönberg, n’a pourtant
rien à voir avec la Seconde Ecole de Vienne et moins encore avec la série de
douze sons. Adams dit avoir été inspiré dans cette pièce par un rêve dans lequel,
roulant sur Bay Bridge à San Francisco, il vit un pétrolier se tourner soudain
vers le ciel et décoller tel une fusée. Le compositeur précise que ce songe
débloqua sa créativité tétanisée depuis un an, ce que reflètent les trois
mouvements qui constituent la partition, qui évoquent tour à tour la Libération (mouvement sans titre)le Désert spirituel (la Blessure d’Amfortas, allusion au roi du Graal du Parsifal de Wagner) la Grâce
(Meister Eckhardt and Quackie, titre
qui réunit le théologien dominicain rhénan et Emily, fille du compositeur qui l’a
rêvée sur les épaule du premier). Adams y introduit des allusions Mahler à
travers la Symphonie n° 10, et à
Liszt, avec la Lugubre gondole qu’Adams
orchestrera plus tard. En seconde partie, un pièce pour chœur mixte et
orchestre antérieure de cinq ans d’Harmonielehre,
la symphonie chorale Harmonium
constituée de trois mouvements, Negative
Love sur un texte de John Donne, I
Could not Stop for Death et Wild
Nights, ces deux derniers sur des poèmes d’Emily Dickinson. Adams considère
le mouvement initial comme l’une de ses essais architecturaux les plus réussis
de toute sa production. Cent trente cinq choristes amateurs, de tous âges,
professions et origines sociales, ont été convoqués pour interpréter ces pages
répétitives fondés sur des textes puissants. Malgré d’inévitables décalages, l’interprétation
a suscité l’enthousiasme, autant des chanteurs que du public nombreux réuni
dans la Salle Le Grenat du Théâtre de l’Archipel, tandis que l’orchestre, qui n’a
guère à faire si ce n’est respirer et jouer rigoureusement rythmiques, figures
et notes maintes fois répétées, s’est avéré engagé et assez solide, tandis que
le seul musicien à avoir vraiment quelque chose à faire de varié et nuancé, le
timbalier, ici Philippe Spiesser, a régalé l’assistance en jouant brillamment
sa partie qu’il a interprétée avec un bonheur éclatant.
Après une reprise du finale en
bis, le public s’est doucement dispersé dans le hall du Théâtre de l’Archipel,
alors que se répandait par le biais des smartphones rallumés la nouvelle des
attentats qui étaient en train de se dérouler à un millier de kilomètres de
Perpignan, dans le nord de Paris. Le silence et la consternation ont rapidement
envahi les spectateurs, les gorges se sont serrées, les informations se sont
propagées de bouche à oreille dans un silence pesant, chacun invitant son vis-à-vis
à regarder les flashs qui se succédaient sans pause les uns après les autres.
Puis chacun est rentré chez soi suivre
les tragiques événements sur son écran de télévision.
Le Conservatoire à Rayonnement Régional de Perpignan. Photo : (c) Bruno Serrou
Le Conservatoire de Perpignan
Après une nuit blanche passée à
sonder les chaînes de télévision à l’affût des informations sur la nuit de
terreur vécue par les Parisiens, cherchant à obtenir des nouvelles de ma
famille et de mes amis, il a fallu retourner à ce pour quoi j’étais non pas
auprès de mes proches mais à Perpignan. Après le rendez-vous manqué que m’avait
pourtant lui-même fixé le Maire de la cité catalane sans qu’il ait daigné m’en
faire avertir, avec qui je devais évoquer la politique culturelle fondée sur le
Conservatoire à Rayonnement Régional dont il vient d’inaugurer les nouveaux
locaux, j’ai pu visiter ce somptueux bâtiment, que j’ai évoqué dans les
colonnes de La Croix (voir http://www.la-croix.com/Culture/Musique/A-Perpignan-le-Conservatoire-navire-amiral-de-la-politique-culturelle-2015-11-16-1380920).
Installation sonore de Ludicart Théâtre de l'Archipel. Photo : (c) Bruno Serrou
En 24 ans d’existence, Aujourd’hui
Musiques s’est largement développé. Attirant plus de douze mille spectateurs en
dix jours, les spectacles sont précédés tout au long de la journée d’ateliers
pour petits et grands, animations, expositions, concerts gratuits. Le tout dans
l’enceinte du Théâtre de l’Archipel. Ainsi, cette année, le festival a fait
appel à Jean-Robert Sédano et Solveig de Ory de Ludicart pour deux séries d’objets
sonores fondés sur l’art numérique interactif, ludique et musical permettant à
tous et à chacun de créer son propre univers sonore par un jeu collectif avec
une collection de colonnes lumineuses et une déclinaison de roues émettant des sons
divers en fonction de la vitesse de rotation.
Aujourd'hui Musiques de Perpignan, Prologue musical dans le hall du Théâtre de l'Archipel. Photo : (c) G. Cartero/Aujourd'hui Musiques
En outre, chaque soir, une demie
heure avant le spectacle, un concert de musique de chambre est organisé dans le
hall du Théâtre de l’Archipel par des professeurs et des élèves de troisième
cycle du conservatoire dans des programmes exigeants mêlant à des pages plus célèbres
du répertoire des pages plus ou moins contemporaines, des plus complexes aux
plus néo-tonales…
Walter Ruttmann (1887-1931), Berlin, Symphonie d'une grande ville. Photo : DR
Berlin, Symphonie d’une grande ville
Après une longue journée d’hésitation,
due à l’attente de la décision de la préfecture des Pyrénées-Orientales d’annulation
ou de maintien des spectacles dans le département, la plus petite des deux salles
du Théâtre de l’Archipel Le Carré (400 places), après une minute de silence en
hommage aux victimes des attentats de Paris qui s’étaient déroulés la nuit
précédente, a été le cadre d’un ciné-concert consacré au chef-d’œuvre du cinéma
muet d’avant-garde de l’Allemagne de la République de Weimar, Berlin: Die Sinfonie der Großstadt (Berlin, Symphonie d’une grande ville)
que Walter Ruttmann (1887-1931) réalisa en 1927. Le sujet, la vie et le rythme trépidant
d’une mégapole, de l’aube à minuit, où l’on pressent la fin d’un monde à
l’aube du nazisme. Le rythme suffocant des images courant à travers l’immensité
de la cité prussienne était à l’origine souligné par la musique du compositeur
autrichien Edmund Meisel (1894-1930), déjà cosignataire avec Dimitri
Chostakovitch de la musique du film d’Einsenstein le Cuirassé Potemkine sorti en 1925. Mais, pour cette projection, c’est
une musique originale qui a été réalisée, conçue par le musicologue Philippe
Langlois et signée Simon Fisher Turner, qui intègre jazz, pop’, musique
contemporaine et électroacoustique. La musique est interprétée live au pied de
la toile par un trio, deux « bruiteurs » ou joueurs de « laptops »
et d’un vieux phono, et un pianiste, ce dernier ayant fort peu à faire étant le
seul à pouvoir profiter du film. Si les deux premiers ont eu leur nom publié
dans le programme, Klara Lewis et Rainer Lericolais, le troisième reste
inconnu, remplaçant au pied levé le compositeur absent, Simon Fisher Turner. Commençant
pppp, la partie musicale va crescendo
une heure durant, collant le plus possible à l’image mais sans l’illustrer
vraiment, formant plutôt un bruit de fond qu’une musique au sens propre du
terme. Loin en tout cas des propositions d’un Martin Matalon, qui s’avère comme
un véritable maître en la matière.
Carolyn Carlson et Jean-Claude Dessy dans Dialogue with Rothko. Photo : (c) G. Cuartero/Aujourd'hui Musiques
Carolyn Carlson et Jean-Claude Dessy
Après une nouvelle minute de
silence, hommage aux victimes de la nuit qui a endeuillé la France et le monde,
la Salle Le Grenat a refusé du monde, malgré ses 1.100 fauteuil, pour assister
au ballet chorégraphié, dansé et dit par la grande Carolyn Carlson, qui, à
soixante-treize ans, est plus jeune que jamais. Véritable duo pour une ballerine
et un musicien, l’excellent compositeur-violoncelliste-chef d’orchestre belge
Jean-Paul Dessy, directeur musical de l’ensemble bruxellois Musique Nouvelle, Dialogue with Rothko est un hommage au
grand peintre russe Mark Rothko (1903-1970), figure majeure de l’Ecole de New
York fou de musique, de littérature et de philosophie. Cette passion pour le
son et le texte ont inspiré à Carlson et à Dessy un ballet où le texte occupe
une place aussi importante que le geste, le son et la peinture, qui sont
conviés en une somptueuse polychromie. Assis côté cour, le violoncelliste joue
sa propre musique, d’une émouvante beauté, toute en retenue et en spiritualité,
en osmose totale avec les mouvements de Carolyn Carlson tout en souplesse et en
raffinement, proprement félins, soulignés par les costumes de Chrystel Zingiro,
tandis que la scénographie de Rémi Nicolas restitue l’esprit de l’univers de
Rothko de façon judicieusement distanciée. A l’issue de ce spectacle d’une
grande beauté plastique sachant éviter la froideur esthétique, les deux
créateurs-interprètes ont répondu avec enthousiasme et en toute simplicité aux
questions pertinentes des spectateurs conviés heureux de dialoguer avec des
artistes, notamment avec Carolyn Carlson dont ils connaissent tout de la
brillante carrière.
Bruno Serrou
Le festival Aujourd’hui Musiques
de Perpignan se poursuit jusqu’au 21 novembre 2015. Rés. : 04.68.62.62.00.
www.theatredelarchipel.org
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