jeudi 26 novembre 2015

Nguyen Thien Dao, compositeur franco-vietnamien, s’est éteint vendredi 20 novembre 2015 à Paris. Il avait 75 ans

Nguyen Thien Dao (1940-2015). Photo : DR

« Il faut que vous sachiez que je tiens [Nguyen Thien] Dao pour un très grand musicien, un des compositeurs les plus originaux de notre époque, écrivait le 17 février 1978 son maître Olivier Messiaen à Rolf Liebermann, alors directeur de l’Opéra de Paris. Il y a quelques années, j’ai entendu son Koskom (communauté cosmique) pour grand orchestre : j’en ai été bouleversé. Et tout ce qu’il a écrit depuis n’a fait que confirmer ce premier émerveillement... » Dans Musique et couleur, l’auteur de l’opéra Saint François d’Assise précisait : « Je considère Dao comme un compositeur extraordinaire, et le jour où j’ai entendu son Koskom, j’ai pensé qu’il s’agissait vraiment d’une des grandes œuvres du siècle. C’est une partition énorme, excessivement travaillée, dont le titre signifie "communauté cosmique". C’est le rêve de Dao, musicien vietnamien fixé à Paris : une "communauté cosmique", une fraternité qui rassemble non seulement les hommes mais aussi les extra-terrestres. Koskom, c’est l’explosion de la fraternité des ondes, un formidable bouillonnement de sonorités totalement original, avec l’utilisation de notes non tempérées - quarts, tiers et même sixièmes de ton - et l’écho des portamentos que Dao a puisés dans la technique vocale vietnamienne traditionnelle. La musique de Dao est l’exemple frappant des contrastes dynamiques : des pianissimos imperceptibles alternent avec des fortissimos écrasants (aussi terribles que ceux de Xenakis). C’est une musique qui évolue surtout, dans le sous-grave et dans le suraigu, souvent dans les deux à la fois. » 

Nguyen Thien Dao (1940-2015) et Olivier Messiaen (1908-1988) au Festival de Metz en 1980. Photo : DR

Né à Hanoï le 17 décembre 1940, le compositeur franco-vietnamien Nguyen Thien Dao s’est éteint vendredi 20 novembre 2015 à Paris. Il avait 75 ans. Son chef-d’œuvre, l’opéra-oratorio Les enfants d’Izieu, œuvre sans concession, tragique, tendue jusqu'à la cassure. Arrivé en France en 1953, quelques mois avant la signature des Accords de Genève qui mettaient un terme à la guerre d’Indochine, il était entré au Conservatoire de Paris dix ans plus tard. En 1967, il intégrait la classe d’Olivier Messiaen, qui le conduit à découvrir la voie qui deviendra la sienne, après qu’il eut remporté son premier Prix de Composition du CNSM de Paris avec Thanh dong To coq (Le Mur d’airain de la patrie), œuvre dans laquelle il pose clairement la question de l’engagement de l’artiste. Nourri des images de son enfance et des longues méditations au sein de la nature, hanté par des « polyphonies célestes et totalement imaginaires », imprégné de poésie vietnamienne et chinoise, il se définissait comme « l’héritier des civilisations orientale et occidentale » dont il a cherché à faire une synthèse en concevant une musique fondée sur le micro-intervalle, les timbres-couleurs, une structure rythmique et un temps-durée particuliers. Il espérait être me créateur d’une « musique de lyrisme, de passion et de caractère épique », soucieux d’« exigence d’écriture et de forme ».

Nguyen Thien Dao dirigeant à l'Opéra de Hanoï. Photo : DR 

C’est avec Tuyn Lua pour ensemble qu’il est révélé au public en 1969 au Festival de Royan. Deux ans plus tard, Koskom pour grand orchestre est donné en première mondiale à Radio France, puis c’est au tour de Ba Me Vietnam pour contrebasse et vingt instruments au Festival de Royan 1972. En 1974, il reçoit le Prix Olivier Messiaen de composition de la Fondation Erasme de Hollande. En 1978, son opéra My Châu-Trong Thuy est créé à l’Opéra de Paris, Salle Favart. Six ans plus tard, son Concerto pour piano et orchestre est donné en création aux Rencontres de Metz. En 1989, deux œuvres voient le jour, la Symphonie pour pouvoir au Théâtre des Champs-Elysées, et le Concerto 1789 pour sextuor à cordes et orchestre par l’Orchestre National de Lille au Palais des Congrès de la cité du nord. Le 17 juillet 1994, son opéra-oratorio Les enfants d’Izieu sur un livret de Rolande Causse en un prologue et trois « actions » est créé par la Maîtrise de Radio France et l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Sylvio Gualda, avec parmi les solistes Christian Treguier et Hélène Lausseur, Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon dans le cadre du 48e Festival d’Avignon et du Centre Acanthes, pour le cinquantenaire de la rafle de quarante-quatre enfants et à leurs six accompagnateurs arrêtés dans cette petite ville de l’Ain sur ordre de Klaus Barbie le 6 avril 1944 et qui seront déportés et assassinés à Auschwitz. En 1995 et 1997, il dirige à l’Opéra de Hanoï à la tête de l’Orchestre national du Vietnam les créations de Hoâ Tâu et de Khai Nhac, ce dernier dans le cadre de la soirée de gala du 7e Sommet de la Francophonie. En 2000, pour la série Alla breve, France Musique lui a commandé la pièce pour violoncelle solo Arco Vivo qu’il a écrite pour Christophe Roy. Parmi ses œuvres les plus récentes, Kosmofonia pour chœur et grand orchestre créé à Forbach en 2001, Song Nhat Nguyen et Song Nhac Truong Chi sont respectivement créés en 2002 et 2003 à l’Opéra de Hanoï, l’opéra de chambre Quatre lyriques de ciel et de terre à Paris créé le 28 mai 2004 par l’Ensemble Aleph Théâtre Dunois, Suoi Lung May au Festival de Musique International de Hué 2006, Khoi Thap et So Day à l’Opéra de Hanoï en 2007, en 2008 Khai Giac et Duo Vivo, hommage à Olivier Messiaen créé au Théâtre des Bouffes du Nord. Ce sont au total soixante-douze œuvres abordant tous les genres, du solo instrumental à l’opéra, en passant par la musique de chambre, d'ensemble, d'orchestre, la musique de film et le ballet.

Nguyen Thien Dao (1940-2015). Photo : DR

« Je place ma foi au service de l’homme et, partant, au service du peuple, convenait Dao. En fait, toute œuvre d’art, dans la mesure où elle pressent l’homme, est une œuvre engagée. Pouvoir se dégager de soi-même et aller au cœur des êtres et des choses... Tirer l’événement de plus loin, de plus haut ; c’est à l’artiste, en partant de la réalité la plus quotidienne, qu’il appartient de faire le point, mais une réalité rendue plus générale, plus universelle, d’autant plus que les problèmes qui, dans notre civilisation, se posent à certaines nations, peuvent concerner aussi les autres. »

Nguyen Thien Dao (1940-2015). Photo : DR

D’une gentillesse et d’une douceur extrêmes, Nguyen Thien Dao était hélas trop humble et beaucoup trop discret pour occuper la place qu’il méritait amplement, l’une des premières. Mais son temps viendra, assurément. Ses obsèques ont lieu au cimetière du Père Lachaise, à Paris, vendredi 27 novembre.

Bruno Serrou

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