dimanche 8 novembre 2015

Intégrale des Symphonies de Beethoven : Simon Rattle déleste les Berliner Philharmoniker de leur séculaire tradition beethovenienne

Paris, Philharmonie 1, mardi 3, mercredi 4 et vendredi 6 novembre 2015

Berliner Philharmoniker dans la configuration de la Symphonie n° 3 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou

En treize ans de direction musicale, Sir Simon Rattle a complètement changé les particularités sonores des Berliner Philharmoniker. Le son rond et moelleux, le fondu des textures d’une qualité fusionnelle hors normes, les assises harmoniques sir profondes qu’elles pénétraient jusqu’aux tréfonds de l’âme et du corps de l’auditeur ne sont plus d’actualité. Un siècle d’héritage forgé par quatre générations de chefs germaniques, qui, depuis Hans von Bülow en passant par Arthur Nikisch et Wilhelm Furtwängler, a atteint son apogée avec Herbert von Karajan, sont passées par pertes et profits. Claudio Abbado en avait déjà éclairé les textures par sa luminosité et la sensuelle plastique de sa conception du son, tout en préservant peu ou prou cette tradition par son propre encrage « Mittle Europa » (Abbado était certes italien, mais de Milan et élève de l’Autrichien Hans Swarowsky).

Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker jouent Beethoven à la Philharmonie de Paris. Photo : (c) Monika Rittershaus / Berliner Philharmoniker

Le recrutement des musiciens s’est internationalisé, et si le niveau est toujours aussi exceptionnel dans l’excellence, l’on n’entend plus cette homogénéité profonde et grave qui rendait le son des Berliner chaud et onctueux comme un cocon qui donnait l’impression à l’auditeur d’être submergé et emporté dans une étoffe extraordinairement voluptueuse. Le chef britannique, qui avait transformé un orchestre de province en une phalange de très haut niveau lorsqu’il était directeur musical du City of Birmingham Symphony Orchestra dont il a fait l’une des formations majeures du Royaume-Uni, a métamorphosé les Berlinois, qui, tout en restant un modèle, n’est plus le même qu’il y a une décennie. Rattle a transformé Berlin en une sorte d’Orchestre of the Age of Enlightenment avec lequel il est associé depuis 1987, mais en plus sûr et en plus accompli, ne serait-ce que parce qu’utilisant un instrumentarium moderne.

Sir Simon Rattle. Photo : DR

Symphonies n° 1 et n° 3 « Eroica »

Ainsi, sommes-nous loin des lourdeurs et de l’emphase insupportables de ce qu’un Christian Thielemann a donné à entendre Théâtre des Champs-Elysées en 2010 avec sa Staatskapelle de Dresde. Mais là où l’on voyait avec Karajan dans les symphonies de Beethoven une section de cordes aussi étoffée que s’il s’agissait des symphonies de Brahms, Bruckner ou Mahler, Rattle module les effectifs conformément aux dates de genèse des œuvres. Ainsi, dans l’intégrale des Symphonies de Beethoven qu’il vient de donner à la Philharmonie de Paris à la tête des Berliner Philharmoniker, il a ouvert sa série en toute logique avec la Symphonie n° 1 en ut mineur op. 21. Les lignes se sont révélées si affinées qu’il a été donné d’entendre une symphonie de Haydn en plus développé au point que la partition de Beethoven a semblé traîner en longueur, avec des reliefs élagués et un discours si aéré que les lignes se sont avérées ténues. Trois contrebasses et cinq violoncelles pour les graves, sept altos ajoutés aux cinq violoncelles pour les médiums, dix premiers et huit seconds violons (la disposition des cordes sera du début à la fin premiers et seconds violons encadrant violoncelles et altos, contrebasse derrière les premiers violons), voilà qui ramène à l’intégrale des mêmes symphonies de Beethoven par le Chamber Orchestra of Europe dirigé par Bernard Haitink en 2011 Salle Pleyel… Mais le chef hollandais n’a pas l’expérience de Rattle en matière d’interprétation « à l’ancienne », ce qui lui avait permis d’exalter des sonorités plus rondes et brûlantes que son cadet tout en se faisant plus haydnien, dès l’Adagio initial, dans l’Andante où le cantabile manquait cependant de luminosité, ainsi que l’Adagio introduisant le finale, tandis que le Menuetto est apparu un peu comprimé, mais l’Allegro conclusif s’est fait dynamique et plein d’allant.

Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker à l'issue de la Symphonie n° 3 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou

Cinq soirées durant, le Philharmonique de Berlin s’est montré aussi réactif qu’une formation chambriste. Postérieure de quatre ans de la Première, la Symphonie n° 3 en mi bémol majeur op. 55 « Eroica », a naturellement vu les effectifs du Philharmonique de Berlin grossir, avec douze premiers violons et dix seconds, huit altos, six violoncelles et cinq contrebasses, ainsi que trois cors et trois timbales au lieu de deux dans la Première Symphonie. Fébrile, chaleureuse, d’une force mâle, la conception de Rattle convainc davantage que la Première, même si l’Allegro initial manque de mordant et la Marche funèbre d’énergie et de tensions, mais l’œuvre se conclut dans la lumière et l’allégresse perceptibles dès le Scherzo, laissant une heureuse sensation d’accomplissement dans le Finale. Les pupitres solistes du Philharmonique de Berlin s’en sont donné à cœur joie, brillant de tous leurs feux, répondant aux moindres sollicitations de leur directeur musical. La virtuosité du timbalier est à toute épreuve, mais, depuis le bacon de face, il s’est avéré trop présent placé côté cour et dans un rapport plus équilibré au centre, derrière l’orchestre.

Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker à l'issue de la Symphonie n° 5 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou

Symphonies n° 2 et n° 5

L’Ouverture Leonore I op. 138 qui a lancé la deuxième soirée de l’intégrale des symphonies de Beethoven, n’a pas semblé passionner Rattle, qui n’a rien tiré de cette dizaine de minutes de musique pourtant dramatique et contrastée. Avec dix premiers violons et autant de seconds, six altos, cinq violoncelles et quatre contrebasses côté cordes, bois et cuivres par deux, Simon Rattle et ses Berlinois ont brossé une Symphonie n° 2 en ré mineur op. 36 guillerette et pimpante, à laquelle il n’a manqué qu’un zest de lyrisme pour convaincre pleinement. Avec des effectifs comparables à ceux de Leonore I dont elle est contemporaine (bois par deux, deux trompettes, quatre cors, deux timbales, douze premiers et dix seconds, huit altos, six violoncelles et cinq contrebasses auxquels s’ajoutent un piccolo et un contrebasson placés au fond de l’orchestre encadrant trois trombones), la Symphonie n° 5 en ut mineur op. 67 a été édifiée tel un immense crescendo gonflant d’impressionnante manière jusqu’à la toute fin, pour retourner à la puissance tellurique des quatre coups du destin qui sonnent avec une intensité foudroyante pour s’épanouir de façon triomphale dans le finale. Rattle dirige cette œuvre avec vigueur et allant, sans grandeur inutile mais avec une noblesse toute en souplesse et en vitalité, débarrassé de toute tentation d’exaltation de basses grondantes, totalement annihilées dans sa volonté d’alléger les textures et de les rendre transparentes.

Simon Rattle et lers Berliner Philharmoniker à l'issue de la Symphonie n° 7 de Beethoven. Photo : (c) Bruno Serrou

Symphonies n° 4 et n° 7

N’ayant pu assister aux Sixième et Huitième Symphonies, devant être le même soir à un récital deux pianos et piano à quatre mains dans une ville de Seine-et-Marne, je me suis rendu au pénultième volet de cette intégrale des symphonies de Beethoven, qui a réuni les belles Quatrième et Septième Symphonies. A contrario des deux premiers soirs, où j’étais installé au balcon dans les trois premiers rangs de face, j’ai entendu ce troisième concert depuis le treizième rang de l’orchestre, ce qui a changé la perspective d’écoute. Semblant davantage dans le son que les deux soirs précédents, j’ai pu retrouver mes sensations d’écoute que je gardais en moi, le Philharmonique de Berlin me paraissant plus coutumières, avec un son charnel vibrant et résonnant dans le corps, tandis que les textures se sont faites plus palpables, grondantes et malléables. Ainsi les deux œuvres jubilatoires d’une extrême vitalité réunies dans le concert de vendredi me sont-elles apparues plus équilibrées, séduisantes et habitées que les quatre précédentes, tandis que les pupitres toujours virtuoses se sont faits plus fusionnels et concordants, y compris les timbales, pourtant fort mises à contribution dans les deux œuvres. De forme et d’orchestration classique (une flûte, bois et cuivres par deux sans trombones, deux timbales, 12-10-8-6-5), la Symphonie n° 4 en si bémol majeur op. 60 est toute de sérénité, de frémissements et d’abandon, portant en germes la ferveur foudroyante de la Septième. En termes de vitalité rythmique pure, peu d’œuvres atteignent l’exaltation démonstrative de la Symphonie n° 7 en la majeur op. 92 d’une allégresse carrément propulsive. En dépit de plans pas toujours au cordeau, l’interprétation de Rattle et de ses Berliner Philharmoniker est montée peu à peu en puissance, le chef britannique scindant l’œuvre en deux parties, les deux premiers mouvements s’enchaînant, à l’instar des deux derniers, tandis qu’une grande respiration a séparés les deux blocs. Rattle a dirigé avec vivacité et le geste précis, le corps penché vers l’orchestre avec lequel il n’a plus formé qu’une seule entité, se montrant l’instrument moteur de cette furie dansant jusqu’à la frénésie, qui semblait ne jamais perdre souffle. Un feu d’artifice festif particulièrement communicatif qui aura parachevé pour moi l’intégrale Beethoven des Berliner Philharmoniker qui se terminait ce vendredi soir avec la Neuvième Symphonie

Bruno Serrou

1) Une intégrale est annoncée en formats CD et Blu-ray dans une édition Berliner Philharmoniker Recordings : www.berliner-philharmoniker-recordings.com

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