Paris, Centre
Pompidou, Grande Salle, jeudi 2 avril 2015
Entrée de l'Ircam. Photo : DR
L’Ircam propose chaque année à de
jeunes compositeurs une formation spécialisée en composition, recherche et
technologies musicales dispensées au sein-même de l’Institut dispensée sur deux
années, de septembre à avril, sous le nom Cursus I et Cursus II, avec pour
chacun des niveaux une sélection rigoureuse. « La formation pratique, est-il
précisé sur la documentation de l’Ircam, permet à une dizaine de compositeurs
âgés de moins de trente-cinq ans de s’initier et de réfléchir aux
problématiques théoriques et compositionnelles de la musique informatique. L’objectif,
tout au long de cette formation intensive de huit mois sur les logiciels de
l’Ircam, est de leur permettre d’acquérir l’autonomie technique nécessaire à la
mise en œuvre de leurs idées musicales. L’apprentissage s’articule autour de la
réalisation d’une courte pièce, présentée au public lors d’un concert dans le
cadre de la saison musicale de l’Ircam. Cette pièce peut prendre la forme d’une
œuvre mixte (instrument solo et électronique, interprétée par un élève du
Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris), d’une œuvre
acousmatique, d’une œuvre algorithmique sans électronique ou d’une
installation. » Le Cursus I est animé par le compositeur catalan installé
à Paris Hèctor Parra, professeur-associé, et par l’équipe pédagogique des réalisateurs en informatique musicale chargés de
l’enseignement, Éric Daubresse, Marco Liuni, Jean Lochard, Grégoire Lorieux et Mikhail
Malt.
Grâce à un
partenariat développé depuis plusieurs années avec le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, les esquisses des
compositeurs du Cursus I sont interprétées par les élèves des classes de master
d’instruments ou du diplôme d’artiste-interprète (DAI) - répertoire
contemporain et création. A noter cette année l’absence de
compositrices, les dix élèves sélectionnés, dont un canadien, un états-unien,
un colombien, un chilien, deux français, deux italiens, un grec et un japonais,
étant exclusivement des compositeurs âgés de 27 à 35 ans. Toutes les œuvres présentées
vendredi dernier sont en fait des esquisses réalisées en six mois avec les
outils de l’Ircam. Difficile donc de juger selon les critères appliqués à des
compositeurs maîtrisant parfaitement ces derniers, y compris ceux sélectionnés
en fin de Cursus II, forcément plus aguerris. Chaque pièce est en fait un solo
instrumental avec informatique en temps réel, et il n’est pas question de
porter des jugements définitifs, les impressions laissées n’étant que
prospectives et indicatives.
Daniel Cabanzo (né en 1979). Photo : (c) Ircam
C’est l’œuvre du compositeur le
plus âgé, (Madrigal situations) Hidden
lines in Electrical dimensions du Colombien Daniel Cabanzo (né en 1979), qui
a ouvert la soirée. Formé à l’université de Valle à Cali, en Colombie, puis à
l’Ecole nationale de musique de Villeurbanne, aux Conservatoires à rayonnement
régional de Lyon et de Paris et au pôle d’enseignement artistique Paris
Boulogne-Billancourt, ainsi qu’à la Haute école de musique de Genève, Cabanzo a
été l’élève de David Wood, Edith Canat de Chizy, Denis Dufour, Yan Maresz,
Michael Jarrell, Luis Naón et Eric Daubresse. Ecrite pour accordéon et
électronique, sa pièce au titre à rallonge ne présente guère d’intérêt en l’état
où elle se trouve, peu d’idées y étant explorées, l’instrument acoustique
exposant toujours la même formule, tandis que l’environnement informatique
tourne à vide.
Jonathan Bell. Photo : (c) Ircam
Il en est de même avec Archipel pour harpe et électronique du
Français Jonathan Bell (né en 1982). C’est l’ordinateur qui choisit le schéma
de l’interprétation de cette « œuvre ouverte » contenant trois pièces
en puissance, selon les dire de son auteur, et l’envoie à la harpe. Il en
résulte un discours planant exposant toujours la même chose dans un climat
hypnotique qui conduit à la somnolence.
Caspar de Gelmini (né en 1980). Photo : (c) Ircam
Compositeur germano-italien né en
1980, Caspar de Gelmini, collaborateur de Tristan Murail et de Marco Stroppa, a
étudié aux Hautes écoles de musique de Rostock, Weimar, Stockholm, Bâle,
Salzbourg et Stuttgart, avant de suivre une formation à l’Ircam et au CNSMDP
dans le cadre du programme d’échanges Erasmus. Son Leipzig Noir 1914 pour flûte et électronique constitue la deuxième partie
d’un cycle fondé sur une œuvre radiophonique de l’écrivain allemand Jan Decker
(né en 1977). Cette fois, il ne s’agit pas d’électronique « live »
mais de bande magnétique préenregistrée diffusant dans la salle des sons de
synthèse tandis que la flûte se déploie à partir de ladite bande. L’instrument
acoustique expose de belles sonorités cristallines, mais le tout n’est pas
exempt de longueurs, et ses huit minutes tendent à l’éternité.
Preston Neebe (né en 1988). Photo : (c) Ircam
Intakes est dédié au saxophone baryton évidemment associé à l’électronique.
L’œuvre est signée Preston Beebe, compositeur percussionniste états-unien de 26
ans (il est né en 1988) titulaire d’une maîtrise en composition de l’université
McGill. Le titre découle du processus de contamination virale du corps et du
sang. Le saxophone est utilisé comme un objet sonore dont le tube formel résonne
de toutes ses harmoniques sollicitées par le souffle, les lèvres et la langue
de l’instrumentiste, et par les bruits de clefs. Pourtant, là aussi, les sept
minutes s’éternisent, et en dehors de quelques sons originaux, l’œuvre n’avance
pas.
Dionysios Papanicolaou (né en 1981). Photo : (c) Ircam
Pour son Cursus I, le Grec
Dionysios Papanicolaou (né en 1981), juriste installé à Paris, où il a fait des
études de composition instrumentale et électroacoustique avec Jean-Luc Hervé et
Yan Maresz, ainsi qu’au département CAO de l’université Paris-VIII puis à l’Ircam,
et qui se présente comme « improvisateur live de musique informatique »,
a réalisé une œuvre plus composée qu’improvisée pour alto et électronique. L’alto,
les cordes en scordatura, est joué de
toutes les façons imaginables, jusqu’à l’utilisation des dents d’un peigne
métallique grattant les cordes, tandis que l’archet, utilisé avec une violence continue,
perd peu à peu son crin.
Frédéric Le Bel (né en 1985). Photo : (c) Ircam
Le Canadien Frédéric Le Bel (né
en 1985) s’est inspiré d’une réplique extraite du film Pulp Fiction, polar tourné par Quentin Tarantino en 1994, prononcée
par le truand Jules Winnfield campé par Samuel L. Jackson peu avant de
commettre un assassinat, « The path
of the righteous man is beset on all sides… », après vingt-cinq
minutes et dix-sept secondes de projection. D’où le titre 25:17. Il s’agit pour le compositeur d’une approche du geste
instrumental suscitant un enchaînement constant de glissandi d’harmoniques. Le violoncelle est à l’origine du tout, et
l’informatique effectue une analyse spectrale du son de l’instrument qui enfle
tel un orage se propageant dans la salle. Œuvre d’une énergie singulière en son
début, 25:17 se fait évocatrice voire
onirique, et s’avère inventive et porteuse de promesses.
Naoki Sakata (né en 1981). Photo : Ircam
Phytolith I pour saxophone ténor et électronique du Japonais Naoki
Sakata (né en 1981), élève de Stefano Gervasoni au CNSMDP d’où il est sorti
voilà douze ans, use continument de sons multiphoniques du saxophone pour
évoquer la vie de la « plante-pierre végétale » du titre grec tandis
que l’électronique se rapporte au monde inerte de la minéralité. Rien d’autre
de tangible dans cette pièce qui ne présente rien de neuf : sons secs
claqués de la langue, une rythmique qui pulse par moments façon jazz, une informatique
anecdotique...
Remmy Canedo (né en 1982). Photo : (c) Ircam
Le Chilien Remmy Canedo (né en
1982), « compositeur, programmateur visuel et performeur » formé à la
Staatliche Hochschule für Musik und Darstellende Kunst de Stuttgart auprès de
Marco Stroppa, a réalisé pour sa part Multiverse
pour clarinette basse et électronique. Cette pièce se fonde sur un texte non
exposé du compositeur transcrit en matériau sonore avec divers degrés de
dégradation et de similarité. Le résultat est assez impressionnant, l’œuvre étant
tendue et dramatique, l’interprète jouant de tous les modes de jeu de la
clarinette basse, qui finit sans anche, le souffle étant directement projeté
dans le tube, tandis que l’électronique dégrade et transforme le son émis.
Alessandro Ratoci (né en 1980). Photo : (c) Ircam
L’Italien Alessandro Ratoci (né
en 1980), « musicien, compositeur et performeur de musique électronique »
qu’il enseigne à l’HEMU de Lausanne, rend hommage dans Rima Flow pour tuba et électronique à son grand-père et aux paysans
toscans d’antan qui chantaient leurs rêves. Il s’agit ici d’un voyage outre-tombe
satirique du XIXe siècle de tradition orale. Beaucoup de vent et de vacarme
ici, une courte mélodie archaïque rappelle brièvement l’encrage dans le passé.
L’instrument hurle des sons primitifs entouré d’une informatique bruyante.
Emanuele Palumbo (né en 1987). Photo : (c) Ircam
Autre Italien, Emanuele Palumbo
(né en 1987), formé auprès de Gérard Pesson au CNSMDP, a conçu Corps-sans-Organes pour clarinette basse
et électronique. Le compositeur cherche dans cette pièce à construire,
détruire, jouer par le biais d’un instrument dépossédé de son bec qui devient
ainsi un non-corps puis un autre corps, celui du musicien, qui use de sa voix,
tandis que l’informatique chemine inversement. Cette pièce intime et originale qui
suscite une véritable écoute intérieure engendrée par le temps circulaire sur
lequel elle s’appuie, s’ouvre sur des bruits blancs avant que l’instrument se
reconstitue, puis, à mi-parcours, l’électronique prend le relais.
Aurélien Marion-Gallois (né en 1980). Photo : (c) Ircam
L’ultime pièce est celle qui m’est
apparue la plus réussie. De fait, le Français Aurélien Marion-Gallois (né en
1980), formé au CNSMD de Lyon puis au Conservatoire de Strasbourg auprès de
Philippe Manoury, signe avec éi12s
pour alto et électronique une fort belle pièce. Après le temps circulaire de Corps-sans-Organes de Palumbo, le temps
linéaire d’éi12s de Marion-Gallois
qui se subdivise en trois périodes. La première est dominée par l’alto, alors
que l’informatique entre en résonance avec lui, la partie médiane inverse les
rôles, tandis que dans le finale l’alto reste bloqué sur le do-grave et que l’électronique
articule autour de ce temps figé les sonorités du jeu instrumental. éi12s chante, bruit, l’instrument
exprime un chaud lyrisme sur une informatique fluide et évocatrice en
concordance plus ou moins complexe mais toujours sensible avec l’alto.
Il convient aussi de saluer les
remarquables prestations des onze élèves des classes de master et du diplôme d’artiste-interprète
- répertoire contemporain et création d’Alain Billard, Gérard Buquet, Claude
Delangle, Hae-Sun Kang et Jean Sulem, dans l’ordre des partitions présentées Jean-Etienne
Sotty (accordéon), Eloïse Labaume (harpe), Rafal Zolkos (flûte), Raquel Panos
Castillo (saxophone), Kei Tojo (alto), Cameron Crozman (violoncelle), Nicolas
Arsenijevic, Hugo Clédat (clarinette basse), Jean-Baptiste Renaud (tuba),
Joséphine Besançon (clarinette basse) et Vladimir Percevic (alto), qui ont
servi ces pages avec une constance et une maîtrise telles qu’il a été possible
de porter un jugement sur chacune d’elles en toute assurance.
Bruno Serrou
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