Paris, Conservatoire à Rayonnement Régional,
Salle Landowski, jeudi 16 janvier 2014
L'Ensemble 2e2m dirigé par Pierre Roullier. Photo : DR
Comme
chaque année à la même époque, 2e2m a ouvert sa nouvelle saison de concerts avec
quatre mois de retard sur le calendrier artistique. Fidèle à sa politique de
résidence de compositeurs, l’ensemble de Champigny-sur-Marne accueille cette
année le jeune Danois Simon Steen-Andersen, qui succède au Jordanien Saed
Haddad, qui succédait lui-même au Tchèque Ondřej Adámek, successeur
au Basque espagnol Ramon Lazkano, successeur à son tour du Russe Dimitri
Kourliandski précédé de l’Allemand Enno Poppe… Comme ses prédécesseurs,
Steen-Andersen s’est vu consacrer pour sa résidence un ouvrage collectif (1) rédigé
avec science par de doctes musicologues (chaque signature est suivie de cette
mention, qui apparaît de ce fait le minimum requis) de toute provenance, ce qui
dit combien 2e2m ne vise pas à la propagation de la musique contemporaine mais bel
et bien à l’élitisme pur et dur.
Simon Steen-Andersen (né en 1976). Photo : DR
Né en 1976 à Odder, commune de l’est du Jutland-Central, Simon Steen-Andersen
reflète à 38 ans la tendance à la pluridisciplinarité qui anime aujourd’hui la
création artistique danoise. Compositeur basé à Berlin, interprète et auteur d’installations,
travaillant à la fois dans le domaine de la musique instrumentale, de l’électronique,
de la vidéo et de la performance sous des formes allant de l’orchestre
symphonique et de la musique de chambre avec ou sans multimédia, à la mise en
scène, aux spectacles solistes et à l’installation. Ces dernières années, il se
focalise sur l’intégration d’éléments concrets dans la musique tout en
insistant sur les aspects physiques et chorégraphiques de l’exécution
instrumentale. Ses œuvres font souvent appel à des instruments acoustiques
amplifiés avec échantillonneur, vidéo, de simples objets du quotidien, des
technologies obsolètes de musique électronique ou des instruments rudimentaires
confectionnés pour l’occasion, auxquels il associe le geste chorégraphique. Simon
Steen-Andersen a étudié la composition avec Karl Aaage Rasmussen, Mathias
Spahlinger, Gabriel Valverde et Bent Sørensen à Aarhus, Fribourg-en-Brisgau,
Buenos Aires et Copenhague de 1998 à 2006. Depuis 2008, il est professeur de
composition à la Royal Academy of Music à Aarhus, au Danemark, et en 2013-2014,
il est professeur invité à l'Académie de Musique de Norvège à Oslo.
Pour le premier concert de sa résidence 2e2m, Simon Steen-Andersen a
confié à l’ensemble qui l’accueille la création française d’une œuvre de onze
minutes pour douze instrumentistes (flûte, clarinette, cor, trompette,
trombone, deux percussionnistes, deux violons, alto, violoncelle, contrebasse)
et sampler, Chambered Music. Composée
en 2007, cette partition séduit par la diversité de ses sonorités, par son utilisation
de l’espace, par les surprises qui l’animent, comme ce trombone hors scène qui
s’immisce peu à peu dans le cours de l’exécution de l’œuvre tout en restant dans le lointain.
Marion Lénart. Photo : DR
La seconde pièce présentée par Steen-Andersen, History Of My Instrument, était plus anecdotique. Conçue en 2011 pour harpe préparée
et vidéo, cette page de neuf minutes paraît s’éterniser. Renvoyant à un célèbre
harpiste français naturalisé états-unien, Carlos Salzedo (1885-1961), ce petit
historique de la harpe a été interprété par Marion Lénart, toute de blanc vêtue
telle une vestale blonde jouant de profil façon fresque égyptienne un
instrument sur lequel sont projetées des images noir et blanc saturées dont les
stries se meuvent au rythme des crachouillis électroniques reproduisant ceux d’un
vieux 78 T.
Christian Winther Christensen (né en 1977). Photo : (c) Lars Svankjaer, DR
Le concert s’était ouvert sur une œuvre d’un autre compositeur danois,
Christian Winther Christensen (né en 1977), élève entre autres de Frédéric
Durieux au Conservatoire de Paris. Composée en 2009 pour flûte, clarinette,
basson, cor, piano, sampler, violon, alto, violoncelle, contrebasse et
dispositif électroacoustique, la pièce qui a été donnée hier, In my presence, est caractéristique du
style de Christensen. Sensée se référer à Guillaume Dufay, dont il ne subsiste
rien, cette partition pointilliste où l’électronique est plutôt discrète, n’exploite
guère les instruments que dans ce qu’ils sont capables d’émettre a minima, limitant les sons à des bruits
plus ou moins blancs et sonores auxquels il ne manque que l’odeur…
Mauro Lanza (né en 1975). Photo : DR
L’octuor à cordes Der Kampf
zwischen Karneval und Fasten (Le
combat entre Carnaval et Carême) écrit en 2012 par l’Italien Mauro Lanza
(né en 1975) se fonde sur le célèbre tableau éponyme que Pieter Brueghel
(1525-1569) peint en 1559. Les deux parties de l’œuvre enchaînées l’une à l’autre
sont d’un intérêt contraire, le premier, le plus long, jouant inlassablement sur
la répétition tandis que le second renouvelle continuellement son propos.
Jean-Luc Hervé (né en 1960). Photo : DR
La page la plus prenante de la soirée aura été 4 pour deux pianos préparés et deux percussionnistes du Français
Jean-Luc Hervé (né en 1960). Commande de la Ernst von Siemens Musiktiftung,
cette œuvre de dix minutes est une euphorie de timbres et de jeu qui suscite
une véritable jouissance pour les oreilles et pour les yeux, avec notamment ces
deux guirlandes de pots de fleurs accordés utilisés de façon virtuose mais sans
jamais engendrer d’asthénie et ces sonneries électriques qui interviennent à la
fin, le tout évoquant le passage du visiteur d’un jardin à l’intérieur d’une
maison.
Patrice Hic (trombone). Photo : DR
Il convient de saluer la dextérité avec laquelle les musiciens de l’ensemble
2e2m dirigés par Pierre Roullier, quel que soit l’effectif, ont joué cette
musique, souvent frustrante sans doute pour les instruments à vent, lesquels,
en dehors du trombone, n’ont eu que des bruits blancs à émettre.
Bruno
Serrou
1) Simon Steen-Andersen, Musique
transitive. Collection A la ligne,
Editions 2e2m, 2014 (172 pages, français/anglais). 2e2m, sous la direction de
Pierre Roulier et avec la mezzo-soprano Ann-Beth Solvang, vient également de publier
chez Chant du Monde un CD monographique consacré à Oscar Strasnoy intitulé An Island Far (1CD LDC 278 1156,
distribution Harmonia Mundi).
« auxquels il ne manque que l’odeur », fallait le faire, bravo Bruno.
RépondreSupprimerDommage pour moi, de n'avoir pas entendu la pièce de Jean-Luc, dont j'aime la musique.
Encore une fois, et je le redis, ta franchise est salutaire…