lundi 20 janvier 2014

Claudio Abbado, le plus grand chef d’orchestre de sa génération, s’est éteint à l’âge de 80 ans

Claudio Abbado (1933-2014). Photo : DR

L’immense chef d’orchestre italien Claudio Abbado est mort lundi 20 janvier 2014 à Bologne, à l’âge de 80 ans, des suites d’une longue maladie. Ancien directeur musical du Théâtre de la Scala de Milan de 1968 à 1986 et de l’Opéra d’Etat de Vienne de 1986 à 1991, chef de l’Orchestre Symphonique de Londres de 1979 à 1989 et de l’Orchestre Philharmonique de Berlin de 1989 à 2002, musicien d’une générosité extrême, il avait été nommé le 30 août 2013 sénateur à vie par le président italien Giorgio Napolitano.

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La carrière de Claudio Abbado a connu une ascension fulgurante. Né à Milan le 26 juin 1933, il a commencé ses études musicales dès l’âge de 8 ans, après avoir entendu à la Scala Fêtes de Debussy. Voulant devenir chef d'orchestre, il entre au Conservatoire Giuseppe Verdi où il étudie la direction d’orchestre, la composition et le piano jusqu’en 1955. En 1957, il se perfectionne à Vienne auprès de Hans Swarowsky et devient choriste, expérience qu’il jugera capitale pour la suite de sa vie de musicien. En 1958, il se voit attribuer le Prix Serge Koussevitzky à Tanglewood, et enseigne la musique de chambre au Conservatoire de Parme. En 1960, il fait ses débuts à la Scala de Milan. En 1963, il remporte le Concours Dimitri Mitropoulos, ce qui le conduit à faire ses débuts à l’Orchestre philharmonique de New York où il fait la connaissance de Leonard Bernstein. Il se détourne néanmoins des offres américaines, préférant l’invitation d’Herbert von Karajan à diriger l’Orchestre Philharmonique de Vienne au Festival de Salzbourg en 1965. En 1968, il y dirigera Le Barbier de Séville de Rossini, et deviendra trois ans plus tard chef principal du célèbre orchestre autrichien.

Claudio Abbado et Martha Argerich. Photo : DR

Après y avoir dirigé en 1965 un premier opéra, Mort atomique de Giacomo Manzoni, Claudio Abbado devient en 1968 directeur de la musique de la Scala de Milan, poste qu’il occupe jusqu’en 1986, étant parallèlement directeur artistique de 1977 à 1979. Il y dirige non seulement le répertoire italien, mais ouvre aussi les programmations aux œuvres d’Alban Berg, ou encore de Modest Moussorgski, qu’il affectionne particulièrement. Il y travaille avec les grands metteurs en scène de son temps, Jean-Pierre Ponnelle, Andrei Tarkovski, et, surtout, Giorgio Strehler, alors directeur de la Piccola Scala. En 1986, il est nommé directeur musical de l’Opéra d’Etat de Vienne, où il se distingue jusqu’en 1991 par des productions inoubliables de Boris Godounov et de la Khovantschina de Moussorgski, de Fierrabras de Schubert, d’Il viaggio a Reims de Rossini, de Wozzeck de Berg, de Lohengrin de Wagner, ou encore de Pelléas et Mélisande de Debussy, toutes productions disponibles au disque et, pour certaines d’entre elles, sur supports vidéo. Parallèlement, il occupe les fonctions de chef principal de l’Orchestre Symphonique de Londres, de 1979 à 1989, et de chef invité de l’Orchestre Symphonique de Chicago, deux phalanges avec lesquelles il enregistre à partir de 1967 de nombreux disques pour les label Deutsche Grammophon et Decca, et, à Berlin, pour Sony Classical.

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Sa carrière connaît un véritable tournant en 1989, lorsque les musiciens du prestigieux Orchestre Philharmonique de Berlin l’élisent à leur tête pour succéder à Herbert von Karajan. Il demeure à la tête de la somptueuse phalange jusqu’en 2002. En 2000, les médecins diagnostiquent un cancer de l’estomac, mais Claudio Abbado n’en poursuit pas moins son activité. En 2003, il reconstitue l’Orchestre du Festival de Lucerne, et dirige l’Orchestre Mozart, à Bologne. Mais son état de santé le pousse, depuis quelques temps, à annuler la plupart de ses engagements. Le 30 août 2013, le président italien Giorgio Napolitano le nommait sénateur italien à vie.

La dernière fois que j'ai eu le bonheur de le voir diriger, c'était salle Pleyel, le 15 avril dernier. A la tête du Mahler Chamber Orchestra, il retrouvait Martha Argerich qu'il accompagnait dans le Concerto n° 1 pour piano et orchestre de Beethoven, avant de diriger l'Ecossaise de Mendelssohn-Bartholdy (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/04/martha-argerich-et-claudio-abbado-se.html). Un moment inoubliable... à l'instar de ses extraordinaires lieder de Schubert orchestrés par divers compositeurs donnés en 2003 avec Anne-Sofie von Otter, Thomas Quasthoff et l'Orchestre de Chambre d'Europe à la Cité de la Musique qui ont par bonheur fait l'objet d'un enregistrement Deutsche-Grammophon (1), et son exceptionnelle IXe Symphonie de Mahler qu'il dirigea le 20 octobre 2010 salle Pleyel à la tête de l'Orchestre du Festival de Lucerne, à l'issue duquel, brisé par l'émotion d'un Adagissimo dont la plainte pénétrante fit entrer de plein-pied dans la douleur éternelle, le public reteint son souffle près de trois minutes durant, jusqu'à ce qu'un imbécile impatient s'écrie violemment "basta"... 

Claudio Abbado aux côtés de Daniel Barenboïm et Maurizio Pollini à la Scala de Milan. Photo : DR

Proche du compositeur Luigi Nono et du pianiste Maurizio Pollini avec qui il partageait à la fois les vues artistiques et les engagements politiques communistes (à l'italienne), Claudio Abbado a collaboré avec un nombre considérable de grands artistes. Avec ses amis, il organise des répétitions publiques à la Scala, donne des concerts dans les usines et les écoles, fonde à Reggio nell’Emilia l’atelier Musica-Realta avec le soutien du Parti communiste italien, passe des commandes à de jeunes compositeurs.

Claudio Abbado, Luigi Nono et Maurizio Pollini. Photo : DR

Claudio Abbado restera également dans les annales comme l’un des plus grands fondateurs d’orchestres et formateurs de musiciens d’orchestre. En 1982, il crée l’Orchestre Philharmonique de la Scala, en 1977 l’Orchestre des Jeunes de la Communauté Européenne, qu’il dirige jusqu’en 1990, en 1986 l’Orchestre des Jeunes Gustav Mahler constitué d’instrumentistes européens recrutés à l’extérieur de l’Union Européenne, en 1997 le Mahler Chamber Orchestra, en 2003 l’Orchestre du Festival de Lucerne qui réunit les chefs de pupitres des grands orchestres internationaux, en 2004 le Mozart Orchestra de Bologne, formation d’instruments anciens dont la dissolution vient tout juste d’être annoncée pour raison financière… Il est également à l’origine des Festivals Wien Modern, en 1988, et, avec la violoncelliste Natalia Gutman, les Berliner Begegnugen, en 1992. En 1991, il crée à Vienne un concours international de composition.

Claudio et l'Orchestre du Festival de Lucerne. Photo : DR

Chef particulièrement estimé des musiciens, il était un accompagnateur attentif à ses solistes, qu’ils soient chanteurs ou instrumentistes. Son respect constant du texte qui donnait néanmoins à l'écoute une impression de totale liberté, son extrême sensibilité, son intelligence et sa culture hors du commun, ses programmations particulièrement réfléchies, sa profonde musicalité, l’impressionnante étendue de son répertoire, qui court de Monteverdi à Boulez, son influence sur la nouvelle génération de ses confrères, font de Claudio Abbado l’un des plus grands chefs d'orchestre de l’histoire. Sa personnalité attachante, son élégance naturelle qui irradiait jusqu'à sa gestique, et son ouverture d’esprit se retrouvent dans ses interprétations marquées par une intensité et une tension dramatique inouïes.


Parmi ses nombreux disques, tous plus indispensables les uns que les autres, il convient d’écouter ses enregistrements des œuvres d’Alban Berg, ses Debussy, sa seconde intégrale des symphonies de Mahler, son Fidelio de Beethoven, son intégrale des symphonies et œuvres chorales avec orchestre de Brahms, sa IXe Symphonie de Bruckner, sa Sinfonietta de Janacek, les concertos pour piano de Mozart qu’il enregistra avec Friedrich Gulda dont il avait été l'élève au Mozarteum de Salzbourg dans les années 1950, tous ses Moussorgski, Fierrabras de Schubert, son Daphnis et Chloé de Ravel, ses Rossini, ses Stravinski, ses Scène du Faust de Goethe de Schumann, ses recueils de musique contemporaine enregistré dans le cadre de Wien Modern, ses Macbeth, Simon Boccanegra, Falstaff et Missa da Requiem de Verdi, son Lohengrin de Wagner…


Le 26 juin 2013, à l’occasion de ses 80 ans, j’ai publié sur ce blog une interview qu’il m’avait accordée en août 1995 alors qu’il animait des master classes d’orchestre sous l’égide de la Cité de la Musique. Voici le lien :


Bruno Serrou

1) CD DG 471 5862 2

1 commentaire:

  1. Bonsoir Bruno,
    Je voulais vous remercier pour cet article qui met en lumière l'immense chef, l'homme aussi, que fut Claudio Abbado.
    Je vais également lui rendre un hommage prochainement - le sujet est à aborder avec respect et passion musicale.
    Ce grand chef me manque déjà, je suis de la génération post Karajan et sa vision orchestrale m'a énormément apporté, tant par ses lectures véritablement claires pour toutes œuvres que par sa mise en relief de chaque sujet, partie de l'orchestre au profit de l'intention du compositeur.
    Idéal pour l'analyse...
    Une battue véritablement d'une autre dimension quand à l'espace temporel.
    Et un homme porté vers la jeunesse et le talent, de surcroît pédagogue...
    Bref, un grand.
    Merci encore.
    à bientôt

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