vendredi 1 mars 2013

Un Opéra de quat’sous de Kurt Weill et Bertolt Brecht venu de Londres un rien trop « clean »



Paris, Théâtre des Champs-Elysées, jeudi 28 février 2013


Vladimir Jurowski. Photo : Théâtre des Champs-Elysées, DR

Voilà bientôt quatre-vingts ans, le Théâtre des Champs-Elysées était le témoin de la création des Sept péchés capitaux des petits bourgeois que Boris Kochno, ancien secrétaire de Serge de Diaghilev, directeur artistique des Ballets 33 de Georges Balanchine, avait commandé à Kurt Weill, qui avait choisi la France pour exil, fuyant l’Allemagne nazie avec sa femme, Lotte Lenya. Weill avait choisi pour librettiste le dramaturge Bertolt Brecht, qui avait lui aussi réussi à échapper à la dictature. Ce sera l’ultime collaboration des deux hommes qui avaient produit ensemble entre autres l’opéra Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny et l’Opéra de quat’sous. Le public français connaissait déjà le travail des deux hommes, le second ouvrage ayant fait l’objet d’un film tourné en 1931 par Georg Wilhelm Pabst, comme souvent à cette époque en raison d’accords entre des studios, simultanément en deux langues, avec une distribution allemande (avec Lotte Lenya, Rudolf Forster et Carola Neher) et une autre française (avec Margo Lion, Albert Préjean et Florelle). 


Kurt Weill, Lotte Lenya et Bertolt Brecht en 1930. Photo : DR

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce n’est pas le ballet qui y fut créé le 7 juin 1933 dans une chorégraphie de Balanchine, une scénographie de Caspar Nehel et sous la direction de Maurice Abravanel, qui a été choisi par le Théâtre des Champs-Elysées dans le cadre de la saison de son centenaire, mais une exécution concertante de Die Dreigroschenoper (l’Opéra de quat’sous), que Brecht et Weill ont adapté pour Berlin en 1927-1928 de The Beggar’s Opera (l’Opéra du Gueux) de John Gay et Johann Christoph Pepusch créé à Londres deux siècles plus tôt. C’est avec cette œuvre,  qui conte la carrière de l’antihéros Macheath dans le monde souterrain de l’ère victorienne et qui allait devenir le symbole de la culture de République de Weimar, que les deux hommes cristallisent le concept du Zeitoper, fusion de l’opérette et du music hall, qu’ils associent au théâtre épique et à la ballade moderne associée à la moritat du cabaret. 


Meow Meow (Jenny). Photo : DR

Mise en espace sur le plateau du Théâtre des Champs-Elysées, la production présentée hier par le Théâtre des Champs-Elysées plaçait derrière les chanteurs solistes les musiciens du London Philharmonic Orchestra en formation réduite façon cabaret, avec guitare, accordéon, harmonium, saxophone, mais piano de concert. L’ensemble instrumental londonien, dirigé par Vladimir Jurowski, remarquable de cohésion, de précision et de timbres, a donné toute la mesure de cette œuvre supérieurement orchestrée qui aligne les songs, tous plus célèbres et inoubliables les uns que les autres. Jouant en solistes, les pupitres de l’orchestre ont brillé de tout leur lustre, à la fois sûrs et virtuoses tout en exaltant le climat cabaret. Placés au fond du plateau, derrière l’orchestre, les choristes, qui tour à tour commentent l’action et y participent, ont participé à la réussite de la soirée. Tous les protagonistes étant habillés en costumes de soirée et en queues de pie, l’ensemble du spectacle a eu un tour un brin snob tout en suscitant par son aspect désuet le souvenir du cabaret des années 1920-1930 finalement en concordance avec la musique. 


Dame Felicity Palmer (Mrs Peachum). Photo : DR

La distribution vocale soliste était moins homogène. Mark Padmore est un Macheath trop pâle, Max Hopp un Narrateur trop distant et pas toujours audible malgré le micro accroché à sa joue gauche - l’orchestre le couvre souvent, Gabriela Istoc est une Polly Brown vocalement engoncée et manquant de charisme. En revanche, le couple Peachum s’est avéré impressionnant, tenu par les vieux routiers Sir John Tomlinson et Dame Felicity Palmer, inénarrables de présence et d’énergie, malgré des voix usées mais toujours puissantes et bien timbrées. Allison Bell est une Polly Peachum toute de charme. Mais c’est Meow Meow, mezzo-soprano plutôt glamour qualifiée de « post-post moderne » (?) dans le programme de salle du Théâtre des Champs-Elysées, dont la voix est à mi-chemin de celles de Lotte Lenya et de Ute Lemper, qui s’est montrée la plus dans le ton de l’œuvre, tout en manquant légèrement d’abattage. Véritable Deus-ex-machina, Vladimir Jurowski, à la baguette, au piano et animateur de l’action, titillant les protagonistes à tout moment, a donné au spectacle son souffle dramatique... Mais pourquoi alors la mayonnaise n’a-t-elle pas vraiment pris ?...


 Bruno Serrou

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