lundi 11 mars 2013

Orimita de Claire Renard d’après le roman de Janine Matillon présenté à l’Opéra de Reims peu convainquant



Reims, Opéra de Reims, vendredi 8 mars 2013

Delphine Rudasigwa (Orimita I). Photo : (c) Florent Mayonot

C’est un projet ambitieux, sensible, plein de tact etd’humanité qu’ont présenté vendredi à l’Opéra de Reims la compositrice Claire Renard, la romancière Janine Matillon et le metteur en scène Gustavo Frigerio. Mais la mayonnaise n’a pas pris, le spectateur n’ayant pas été conquis par le spectacle qui en est résulté, essentiellement pour deux raisons : la musique, qui n’évolue guère et ne se colore jamais ; la mise en scène, qui laisse en chemin les protagonistes un peu perdus sur un vaste plateau gorgé d’accessoires, certains s’avérant à la limite du danger pour ces derniers.


Née à Paris le 10 décembre 1944, Claire Renard, qui se présente elle-même comme « compositrice, plasticienne et artiste multimédia », a étudié la littérature et le droit à l’Université Paul Sabatier de Toulouse et le piano et la composition au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris où elle est notamment l’élève de Pierre Schaeffer et où elle obtient ses premiers prix en 1973. Ses études terminées, elle a travaillé comme professeur de piano et compose des œuvres sur instrumentarium acoustique et électroacoustique pour des installations sonores. En 1997, elle crée l’association PIMC (Pédagogie Informatique Musicale et Création). Elle a été compositeur en résidence au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines de 1994 à 1996, de la Ville d'Epinal en 1998, du Conservatoire de Grenoble en 1999, du Théâtre Athénor de Saint-Nazaire en 2000, de la Villa Gamberaia en Italie en 2001-2002, du rendez-vous européen Objectif 1 Objectif 1 = Art = Autriche en 2001, du Parc et la Grande Halle de la Villette, du Grame / Centre National de Création Musicale de Lyon en 2005 et du Sally et Don Lucas Artistes programmes du Montalvo Art Center en Californie, en 2006. Elle a également obtenu le Prix Villa Medicis Hors les Murs en 1990, de la Fondation Beaumarchais pour l’audiovisuel en 1990 et pour l’opéra en 2002. Claire Renard compose des pièces électroacoustiques pour des spectacles musicaux et des installations sonores. Elle s’investit dans des genres variés, composant pour le théâtre, la danse et le cinéma, et reçoit des commandes d’État et d’ensembles musicaux. Ses œuvres ont été installées et jouées en France, Suisse, Belgique, Italie, Autriche, Finlande et Grèce. Elle mène en parallèle des recherches sur le rôle de la création dans l’apprentissage musical dans différentes structures comme le GRM, de 1973 à 1977, le CERM de Metz, de 1978 à 1981, l’IRCAM, en 1983, le Centre Pompidou, de 1983 à 1991, et forme les adultes à cette démarche au Centre Pompidou, à la Cité de la Musique, au CFMI, à la Fondation Gulbenkian, à l’Académie Sibelius d’Helsinki, etc. Elle a publié sur ce sujet Le geste musical et Le temps de l’espace aux Editions Van de Velde.


Son nouvel opus, Orimita, qui a été créé vendredi à l’Opéra de Reims, librement adapté par Janine Matillon de son propre roman Les deux fins d’orimita Karabegovic publié en 1996 aux Editions Maurice Nadeau, a pour ambition de présenter « une forme contemporaine inédite » qui joue sur le rapport de la musique composée par Claire Renard avec divers disciplines artistiques, en réunissant texte, récit, chant, théâtre, vidéo et électroacoustique pour conter le tragique destin d’une femme à partir des rapports entre la culture et la barbarie. Personnage emblématique de la souffrance des populations civiles et de la torture des femmes broyées par les guerres de purification ethnique qui broient l’humanité de tous les temps, Orimita est absorbée par le drame en s’abandonnant à son tour à la violence. 


Dans la tourmente de cette guerre ethnique que fut la tragédie bosniaque dans les années quatre vingt dix, l’héroïne est ballottée entre culture et barbarie. Traversée autant qu’elle traverse les images et les sons virtuels diffusés à travers l’espace, elle questionne sur l’oubli de la souffrance réelle des corps et des âmes au profit d’un monde technologique omniprésent, et interpelle notre rapport à la violence d’un monde de plus en plus déshumanisé et radical. Détenue dans un camp d'« ensemencement », Orimita subit la torture physique, le viol autant que la torture psychique du discours rationnel et érudit d’un « professeur » d’université faisant une « expérience de purification ethnique ». Elle parvient à s’échapper de ce camp, mais, profondément meurtrie dans sa chair et dans son esprit, elle se dissocie toujours davantage d’elle-même à mesure de son errance dramatique entre les forces combattantes et celles du Nouvel Ordre Mondial, supposées chargées de la protéger à coup de mensonges médiatiques. Fuyant vers une destination qui se précise petit à petit dans son esprit, elle décidera plus ou moins délibérément de se venger en devenant meurtrière à son tour. Depuis le camp où elle est prisonnière de la première partie, l’errance où elle affronte le chaos des foules déplacées, l’hypocrisie des forces internationales, l’intolérance des combattants de tous les bords dans la deuxième partie, jusqu'au meurtre final, cette femme pétrie de culture et d’humanité, progressivement se dédouble et se regarde agir comme les monstres froids qui l’ont rendue ainsi. Stéphane Mallarmé l’accompagne dans son destin jusqu’à lui être fatal, puisque c’est précisément sa culture qui lui vaut sa « sélection » comme objet d’expérimentation, jugée digne par le « professeur » d'être ensemencée. 


« Considérant le thème de la confrontation des cultures, convient Claire Renard, il m’a semblé évident et nécessaire de me confronter musicalement à des cultures différentes. Ainsi fut entrepris en préalable à toute écriture un travail de rencontres avec des musiciens d’origines instrumentales diverses, classiques et ethniques, aux fins de découvertes réciproques de façons de faire et de modes de jeux (kanun jordanien, lyra crétoise, duduk arménien, luth, viole de gambe, etc.). A la suite de ces échanges organisés autour d’improvisations, il fut fait une série d’enregistrements dont la composition sur bande constitue le fondement de l’œuvre, donnant une couleur particulière à la sonorité de celle-ci. » D’une durée d’environ quatre-vingt minutes, Orimita se compose d’un prologue et de trois parties, respectivement intitulées « Assassinat de la culture, Assassinat de la vie et Assassinat de l’âme, subdivisées successivement en six, quatre et trois épisodes. Sur le plateau, une femme, Orimita, dédoublée en comédienne et cantatrice ainsi qu’un joueur de lyra crétoise, une gambiste, une bande enregistrée et un dispositif de diffusion visuel et sonore. Cette œuvre lyrique utilise en effet le numérique qui permet de confronter la réalité de la souffrance du corps à l’univers médiatique, omniprésent, de questionner le rapport entre la culture et la barbarie. Grâce à ces outils et au système de diffusion et de spatialisation, le public peut suivre le parcours d’Orimita en passant d’une situation de très grande proximité, une intimité quasi charnelle , à une immersion sonore et visuelle dans un espace où les repères se diluent. Le choix du duo chant lyrique / récit est directement issu du roman dans lequel l’héroïne se voit progressivement se dédoubler. La bande magnétique est composée des improvisations rassemblant les musiciens de traditions différentes, d’enregistrements de la voix chantée ainsi que de sons de diverses sources, instrumentales et concrètes. En complément de la musique, la temporalité de la transformation de l’héroïne se manifeste dans l’occupation de l’espace.

Passionnant sur le papier, ce projet déçoit une fois sur le plateau. La partition est monochrome et statique, la bande magnétique ne fait que créer une atmosphère sombre sans relief et la narration musicale est comme figée, l’écriture vocale s'avérant uniforme et atone, la mise en scène laisse la bride sur le cou aux protagonistes. Et si la comédienne réussit à convaincre le spectateur qui compatit volontiers à son drame et adhère à ses doutes et au cheminement de sa pensée, grâce à la performance impressionnante de Delphine Rudasigwa, on se lasse vite de la sonorisation outrancière dont elle est victime, d'autant plus que sa voix, au lieu d’être portée par la spatialisation promise, provient continuellement des mêmes sources, celles de haut-parleurs placés autour du cadre de scène, tant et si bien que, quoi qu’elle fasse et où qu’elle se trouve, la comédienne semble en permanence s’exprimer du même endroit, depuis le milieu du plateau, à l’avant-scène… La mezzo-soprano qui la dédouble, Marie-George Monet, est sous-employée, tant vocalement - elle psalmodie plutôt qu’elle chante, et toujours sur le même mode, la voix, plus naturelle que celle de son double de comédie car discrètement sonorisée -, que scéniquement - le metteur en scène la plantant tel un chou, ne sachant où se mettre ni comment se mouvoir, elle reste continûment figée. Les deux musiciens (la gambiste Emmanuelle Guigues et le joueur de lyra Stelios Petrakis) déplacent leur chaise de chez Ikea en fonction des besoins de la scénographie, mais dans un seul sens, vers le fond du plateau… Projetant des images noir et blanc, notamment de belles diapositives de forêt, la vidéo d’Emilie Aussel campe le décor sans être envahissante. 

Reste à souhaiter à cette Orimita d'être retravaillée dans la perspective de sa reprise en 2014 au Théâtre de la Bastille à Paris… 

Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. Je m’élève en faux contre ce jugement par trop lapidaire porté sur ce spectacle. Il n’y a ni monstration ni démonstration : il s’agit de traduire un état de violence, de barbarie mais en aucune manière d’en donner à voir la monstruosité. N‘est-ce point là la vocation de l’œuvre d’art d’être toujours au-delà des événements tels qu’ils se produisent ou se sont produits. N’était-ce point cette problématique admirablement posée et résolue dans les ouvrages de grands compositeurs dits engagés comme Luigi Dallapiccola ou Luigi Nono ? Relever le défi de dénoncer et de faire œuvre coûte que coûte. C’est cette sensibilité qui opère dans Orimita. Pas seulement narrer une histoire tragique, mais entrer dans l’univers mental de cette femme qui souffre jusqu’au dédoublement d’elle-même, jusqu’à la folie. En décrire la passion grâce à la musique qui, par ses univers variés (musiques d’origines diverses, ethnique, classique, etc.) vient creuser en nous des espaces d’empathie et d’humanité. Enfin, les différentes composantes (textes, scène, vidéo) s’agencent, s’intriquent, se mêlent dans une grande fluidité et porosité et donnent une qualité, une saveur particulière à l’ensemble. L’émotion affleure par touches précises et douces en même temps que nous est donnée à saisir une part de notre monde, ses conflits et ses atrocités.
    Geneviève Mathon

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