dimanche 31 mars 2013

Concert Bartók frustrant mais riche de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo dirigé avec maestria par Karl-Heinz Steffens



Monaco, Auditorium Rainier III, samedi 30 mars 2013

 L'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo sur le plateau de l'Auditorium Rainier III. Photo : (c) Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, DR.

Il est des concerts qui déçoivent parce que l’on en attendait le mieux et qu’ils se sont avérés calamiteux. Il en est d’autres qui frustrent parce que le meilleur s’est produit, mais un détail plus ou moins désolant en a gâché la saveur. C’est ce qui est survenu ce Samedi-Saint à Monaco…

 Béla Bartók (1881-1945). Photo : DR

Le programme était en effet pour le moins alléchant : un concert symphonique monographique avec deux œuvres-phares de Béla Bartók se situant aux extrémités de sa vie créatrice, dont un pur joyau trop rare à la scène et au concert. Le tout confié à l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, phalange que son ex-directeur musical, Yakov Kreizberg, mort prématurément le 15 mars 2011 (1), a littéralement transcendé, de plus jouant dans sa propre salle, sise au cœur de l’Auditorium Rainier III toute en bois et à l’acoustique précise et claire quoique basse de plafond, et au chef allemand invité pour l’occasion, Karl-Heinz Steffens. 

 Elena Bashkirova. Photo : DR

Dialoguant avec la pianiste russe Elena Bashkirova, fille du célèbre pianiste-pédagogue Dimitri Bashkirov, Karl-Heinz Steffens, qui fut plusieurs années durant le brillant clarinette solo de l’Orchestre Philharmonique de Berlin avant d’opter en 2007 pour la direction d’orchestre - il occupe actuellement la fonction de Directeur musical de la Staatskapelle et de l’Opéra de Halle ainsi que de la Deutsche Philharmonie Rheinland-Pfalz à Ludwigshafen -, tout en retenant l’orchestre pour mieux mettre en relief la soliste du concerto, a su remarquablement solliciter la formation monégasque qui a révélé des rutilances qui allaient s’exprimer sans réserve dans la seconde partie du concert. Le nez un peu trop souvent dans la partition, dont elle tournait discrètement les pages mais qu’elle regardait trop souvent avec insistance, Bashkirova n’est pas vraiment entrée dans le Concerto n° 3 pour piano et orchestre BB 127 de Bartók, qui laissa sa partition inachevée à sa mort. Cette distanciation tendant à la froideur est d’autant plus étonnante qu’il s’agit de l’œuvre concertante pour piano et orchestre du compositeur hongrois la plus directement expressive et lyrique, et (relativement) la moins complexe à jouer, puisqu’elle a été écrite pour Ditta Pásztory, seconde épouse de Bartók, dont la corpulence délicate et les mains de petite envergure ne pouvaient assumer les difficultés pianistiques que contiennent les deux premiers concertos. Tout autre a été l’élan de la pianiste russe durant son bis, une longue pièce pour piano seul d’Isaac Albeniz qu’elle a jouée avec une conviction, un sens de la narration et une poésie dont elle avait précédemment privé l’auditeur et les musiciens de l’orchestre vingt-cinq minutes durant…


Karl-Heinz Steffens. Photo : DR

Vingt-cinq minutes… telle a également été la durée de la seconde partie du concert. Car, le clou de la soirée, le somptueux ballet le Prince de Bois de Bartók a été donné non pas dans son intégralité, comme j’avais pu l’espérer, mais sous la forme de suite, ce qui prive l’auditeur de plus de vingt-cinq minutes de sublime musique. Une suite qui est taillée de telle façon que les épisodes, qui se présentent dans l’original dans leur continuité conformément au livret, sont en fait plaqués les uns à la suite des autres sans la moindre transition, ce qui est pour le moins dommageable, l’auditeur ne pouvant laisser flotter son imaginaire continuellement et sèchement interrompu dans sa rêverie et le déploiement des images qu’elle suscite. Premier volet du triptyque scénique de Bartók qui précède l’opéra le Château de Barbe-Bleue conçu en 1911 mais créé en 1918, et la pantomime le Mandarin merveilleux (1918-1919), la fantaisie chorégraphique en un acte le Prince de bois a été composé en 1914-1916 sur un livret de Béla Balázs, l’auteur de celui du Château de Barbe-Bleue. Ecrite en plein conflit mondial, la musique exalte un tragique et une angoisse qui correspondent mal au conte de fée qu’elle illustre. Tant et si bien que, pour la mieux faire passer auprès d’un public qu’elle pourrait rebuter, les organisateurs de concert choisissent la plupart du temps la suite d’orchestre qu’en a tiré Bartók lui-même et dont la création a été donnée en 1931 à Budapest sous la direction d’Ernö Dohnanyi. La partition accorde une place privilégiée à la percussion, riche et foisonnante (timbales, grosse caisse, caisse claire, cymbales, castagnettes, tam-tam, célesta, etc.), tandis qu’un rôle soliste est octroyé au xylophone. Quoiqu’autorisé par le compositeur en personne, le choix de cette version par les programmateurs monégasques ne s’en est pas moins avéré frustrant que l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, en dépit de léger dérapages de cor(s), était hier en très grande forme, porté par la direction ferme, convaincue et lyrique de Steffens, qui a su arracher des sonorités franches et polychromes de musiciens qui n’ont pas ménagé leur énergie et leur virtuosité. Parmi eux, Nicolas Crosse, contrebassiste de l’Ensemble Intercontemporain et de l’Ensemble Multilatéral, que j’ai plaisir à retrouver dans toutes sortes de répertoires, de l’opérette d’Offenbach à la création la plus innovante, en passant par les grandes œuvres du répertoire symphonique…  

A l’issue du concert, le public présent, moins fourni qu’espéré mais à l’écoute de grande qualité, et qui, dans sa majorité ne connaissait pas ces œuvres, s’avouait conquis par ce programme qu’il reconnaissait puissant et original. En cela, le travail sur la durée de Marc Monnet s’avère fructueux. 

Le Festival le Printemps des Arts se poursuit jusqu’au 14 avril, avec notamment un Portrait Stravinski par l’Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg et Valery Gergiev (les 4 et 5 avril), la Nuit du Congo, musiques et danses (le 6 avril), un concert consacré à la musique classée « dégénérée » par le régime nazi (le 7 avril), le Château de Barbe-Bleue de Bartók avec Matthias Goerne, Michelle DeYoung et l’Orchestre Philharmonique de Nice dirigés par Philippe Auguin (12 avril), et la fin de l’intégrale des Sonates pour violon et piano et des Trios pour violon, violoncelle et piano de Beethoven par Tedi Papavrami, Xavier Phillips et François-Frédéric Guy (13-14 avril) (2).

Bruno Serrou

1) Son successeur, qui cumule les fonctions de Directeur artistique et de Directeur musical, le chef italien Gianliugi Gelmetti, prendra effectivement ses fonctions en septembre 2013.

2) http://www.printempsdesarts.mc/fr/edition-2013

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