vendredi 8 mars 2013

DVD : The Turn of the Screw de Benjamin Britten venu de Glyndebourne subtilement dirigé par Jakub Hrůša et mis en scène avec justesse par Jonathan Kent




En cette année du centenaire de la naissance de Benjamin Britten, mort en 1976, la création du premier grand compositeur britannique depuis la mort de Henry Purcell, à qui l’unissent de nombreux liens, est étonnamment absente de la scène lyriques et des concerts de France. Pourtant, l’Opéra de Paris, qui, comme chacun sait, fait des profits apparemment conséquents, selon les communiqués de son service communication, depuis le départ de Gérard Mortier à sa tête mais qui préfère gratifier ses personnels, à l’instar des entreprises privées, plutôt que d’investir dans la création, possède dans ses réserves, à défaut d’en financer de nouvelles, deux productions d’opéras de Britten, Billy Budd et Peter Grimes… et aurait pu confier à son Atelier lyrique le soin de monter l’un des ouvrages chambristes, comme le Viol de Lucrèce et le Tour d’Ecrou


Benjamin Britten (1913-1976). Photo : DR


C’est d’Angleterre qu’arrive en France le premier élément d’importance de cette année du centenaire de la naissance de Britten, un Turn of the Screw (le Tour d’Ecrou) tourné à Glyndebourne par une équipe de vidéastes… française. Cet opéra de chambre fascinant au climat cauchemardesque (deux enfants sont la proie de deux spectres malveillants) qui a été créé au Teatro la Fenice de Venise le 14 septembre 1954 dans le cadre de la Biennale de Venise, plonge dans une atmosphère où la tension monte d’un cran au fil de ses seize scènes, tel un tour d’écrou, jusqu’à la mort de l’un des chérubins. La partition du Tour d’Ecrou de Britten qui se fonde sur un livret de Myfanwy Piper adapté de la nouvelle éponyme d’Henry James publiée en 1898 apparaît particulièrement novatrice, avec son orchestre étonnamment coloré et mouvant malgré son effectif réduit à treize instruments.


Miah Persson (la Gouvernante)


Dans la production étrange et troublante que publie Fra Musica créée en 2006 à Glyndebourne, qui a fait l’objet d’une première publication en DVD, filmée en 2011 par François Roussillon, le metteur en scène Jonathan Kent, tel Alfred Hitchcock dans la Mort aux trousses créant le suspense non pas dans une gentilhommière sombre mais dans un champ écrasé par le soleil, sort le Tour d’écrou des brumes victoriennes pour le planter cette histoire de revenants dans une demeure lumineuse des années 1950. Il n’est pas le premier à le faire, à l’instar de Luc Bondy au festival d’Aix-en-Provence (DVD Bel Air) et dans une moindre mesure Alain Lagarde au Théâtre de l’Athénée. Dans sa volonté de ne pas en rajouter quant à la perversité des personnages, sa mise en scène n’en est pas moins originale et d’une parfaite efficacité. Un décor tournant, tel l’écrou qui se resserre, assure les changements de scène et représente une sorte de barrière entre deux mondes que sépare une baie vitrée mobile différenciant le monde conscient de celui des abîmes de l’inconscient, qui permet aussi toutes sortes de trouées, d’angles et de reflets dont les mouvements, les transparences et les variations de perspectives sont magistralement captés par les caméras de l’équipe de François Roussillon. 


Joanna Songi (Flora), Susan Bickley (Mrs Grove), Thomas Parfitt (Miles)


Si la mise en scène rend fidèlement l’atmosphère de l’œuvre sans en grossir le propos, l’aspect musical est d’une grande réussite. De sa direction nerveuse, ferme et subtile, le jeune chef morave Jakub Hrůša tire du petit ensemble instrumental de Britten une éblouissante symphonie de rythmes et de couleurs admirablement servie par les timbres raffinés des solistes virtuoses du London Philharmonic Orchestra. Côté vocal, la Gouvernante de Miah Persson personnifie de façon idoine l’attache humaine dans le monde réel, tiraillée, perdue dans cet univers  trouble et sordide. Joanna Songi, qui campe une Flora jeune adulte, et Thomas Parfitt, Miles encore ingénu, ont des timbres séduisants et ne manquent ni de justesse ni de souffle. Toby Spence est Peter Quint impressionnant, attestant dès le Prologue d’un sens vigoureux du texte et de la prosodie, passant de la lumière à la noirceur avec une efficacité redoutable grâce à son chant terriblement séduisant. Mais le plus étonnant, est la Miss Jessel de Giselle Allen, véritable révélation de cette production, voix riche et onctueuse et présence d’une intensité étonnante.

Bruno Serrou

1 DVD FraMusica François Roussillon & Associés 3 770002 003114. Cet album est agréablement présenté de dans une pochette richement illustrée et imprimée sur un épais papier mat. La découpe sur la couverture est du plus bel effet.

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