samedi 20 avril 2024

(Bruckner-200) Luxuriante Symphonie «Romantique» d’Anton Bruckner par les Münchner Philharmoniker et Daniel Harding mis en résonance avec la création du Concerto pour violon n° 2 de Thierry Escaich par Renaud Capuçon

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 19 avril 2024 

Daniel Harding, Münchner Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

Le premier grand rendez-vous à la Philharmonie de Paris pour le bicentenaire de la naissance du grand symphoniste de Linz Anton Bruckner (1824-1896) est revenu à une phalange bavaroise, l’Orchestre Philharmonique de Munich, que Gustav Mahler dirigea pour la création de ses Symphonies n° 4 (1901) et n° 8 « des Mille » (1910) - ainsi que Le Chant de la Terre en 1911 dirigé par Bruno Walter -, avant que la phalange crée les versions originales des Symphonies n°6 et n° 9 de Bruckner en 1932, qui a offert une passionnante Symphonie n° 4 « Romantique » dirigée avec élégance, précision et générosité par le chef britannique Daniel Harding, ex-directeur musical de l’Orchestre de Paris, avec un phénoménal cor solo, Mathias Piñeira.

Daniel Harding, Julian Shevlin (violon solo), Münchner Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

La Symphonie n° 4 en mi bémol majeur, qualifiée par son auteur de « Romantique », est avec les Septième, Huitième et Neuvième, l’une des symphonies les plus abouties d’Anton Bruckner (1824-1896). Pourtant, pour le compositeur autrichien, aucune œuvre ne pouvait être terminée, la musique étant chez lui en perpétuelle expansion vers l’infinitésimal. En effet, conçue en un peu plus de dix mois en 1874, profondément remaniée à trois reprises par la suite, jusqu’à ce que son auteur s’en déclare enfin satisfait un jour de 1888, la Quatrième semble pourtant couler de source, tant l’on n’y perçoit aucune contrainte, au point qu’elle est aujourd’hui l’une des pages les plus prisées de Bruckner. 

Daniel Harding, Mathias Piñeira (cor solo), Münchner Philharmoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

A la tête d’un orchestre forgé à la tradition brucknérienne par le compositeur autrichien Ferdinand Löwe (1865-1925), disciple de Bruckner qui en fut chef permanent en 1897-1898 puis de 1908 à 1914, ayant opté pour un mix des versions de 1878 et 1880, Daniel Harding en a donné une interprétation au cordeau, toute en tensions, extension et d’un lyrisme effervescent, tandis que les Münchner Philharmoniker se sont montrés virtuoses, d’une homogénéité saisissante - Allegro initial ample et solennel, Andante mystérieux et épique, vélocité hallucinante du Scherzo, finale sonnant tel un orgue aux couleurs mouvantes et luminescentes -, avec ses cuivres rutilants, particulièrement le cor solo Mathias Piñeira, omniprésent, d’une sûreté à toute épreuve et aux sonorités profondes et veloutées, ce qui lui a valu d’être chaudement félicité par le chef à la fin de l’exécution, ainsi que par le public, qui lui a réservé une ovationné debout lorsque Harding l’a invité à saluer -, tandis que les bois se sont imposés par leur vélocité et leur sonorités soyeuses, et que les cordes ont rivalisé de panache et de syncrétisme, altos, violoncelles et contrebasses onctueuses, violons flamboyants, ce que l’auditeur a pu plus largement apprécier dans le plaisir polyphonique, le quintette étant réparti à l’allemande, premiers et seconds violons se faisant face, séparés par violoncelles et altos, contrebasses derrière ces derniers.

Daniel Harding, Münchner Philharmoniker au Musikverein de Vienne. Photo : (c) Musikverein, Wien

En première partie de programme, les Münchner Philharmoniker ont donné la création française d’une commande conjointe de l’orchestre bavarois, qui l’a créée dans sa salle le 10 avril 2024, de la Philharmonie de Paris et de l’Elbphilharmonie de Hambourg au compositeur français Thierry Escaich (né en 1965) à qui la Fondation Reine Elisabeth de Belgique a commandé l’œuvre concertante en création de la finale du Concours Reine Elisabeth 2024 consacré au violon. Il s’est agi cette semaine du Concerto n° 2 pour violon et orchestre intitulé « Au-delà du rêve », œuvre de vingt-huit minutes écrite pour Renaud Capuçon, son créateur, dans lequel l'instrument solo est continuellement présent. 

Daniel Harding, Renaud Capuçon, Thierry Escaich, Münchner Philhamoniker. Photo : (c) Bruno Serrou

« Plongée dans un monde onirique en métamorphose permanente » (Escaich), cette partition explore l’univers du rêve selon un processus en constante évolution. Construite en trois mouvements continus porteurs d’un discours organique cheminant à travers des paysages sonores particulièrement animés alternant moments éthérés et de transe, fantasques et brûlants, et l’on se laisse opportunément porter par une inépuisable énergie motrice qui gouverne heureusement l’œuvre non exempte d’une certaine longueur, ne surprend à aucun moment, demeurant sagement dans le domaine du connu, même lorsque le compositeur se laisse porter à des effets « modernistes », comme l’usage du pizz. bartók aux contrebasses, tandis que le soliste, Renaud Capuçon, s’est donné avec ferveur dans une partition qu’il a faite clairement sienne, la défendant avec conviction au point de ne pas offrir de bis à son public pourtant fervent.  

Bruno Serrou

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