Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 17 janvier 2023
Lahav Shani est décidément un très grand chef. Quatre mois
après le concert Tchaïkovski/Brahms avec « son » Israel Philharmonic (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/09/ouverture-de-saison-virtuose-de.html),
il était cette semaine de retour à la Philharmonie de Paris, cette fois à la
tête de l’Orchestre de Paris qu’il avait dirigé voilà treize mois dans
Beethoven et Tchaïkovski (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2022/12/lorchestre-de-paris-recu-avec-bonheur.html),
dans deux œuvres de musique autrichienne, répertoire dans lequel le vainqueur
du Concours de chef d’orchestre Gustav Mahler de Bamberg 2013 excelle
incontestablement.
L’entente entre l’actuel directeur
musical des Orchestres Philharmoniques de Rotterdam et d’Israël, et l’Orchestre
de Paris est d’évidence sans nuages, voire idyllique, tant la phalange
parisienne et le chef israélien se sont investi dans un même élan dans les œuvres
programmées, la phalange parisienne en son entier se sont investis avec bonheur
jusque dans les moindres aspérités des deux partitions, s’illustrant par leurs
sonorités d’une fabuleuse richesse de timbres, de couleurs, de syncrétisme. Il
faut dire que, une
fois n’est pas coutume à l’Orchestre de Paris, les cordes étaient non pas
disposées à l’américaine (premiers et seconds violons, violoncelles, altos,
contrebasses derrière ces derniers selon la configuration habituelle de l’Orchestre
de Paris) mais à l’allemande (violons i & II se faisant face séparés par
violoncelles et altos, contrebasses derrière les violons I, tandis que les
trompettes étaient à pistons, donc plus claires et plus étincelantes que celles
à palettes désormais utilisée dans le répertoire autre que français.
Autre particularité de ce concert, c’est non pas Joseph Haydn mais son cadet Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) qui a été mis en regard de Gustav Mahler (1860-1911), en outre en complément d’une symphonie qui la plupart du temps remplit une soirée entière. Il s’est agi de l’une des œuvres ultimes du compositeur salzbourgeois, le splendide Concerto pour clarinette et orchestre en la majeur KV. 622, ultime des quarante-trois concertos de Mozart, sa création ayant eu lieu à Prague le 16 octobre 1791 avec en soliste son dédicataire, Anton Stadler. En soliste, le brillant clarinettiste chef d’orchestre suédois Martin Fröst aux sonorités rutilantes et feutrées mais aussi brillantes dans l’aigu, jouant avec une aisance et une spontanéité propres à transporter l’auditeur dans un véritable cocon d’harmonies ensorcelantes. En bis, Martin Fröst a eu l’opportune idée de préluder à la seconde œuvre du concert en improviser sur la Sixième Symphonie de Gustav Mahler, puis d’être rejoint par l’Orchestre de Paris et Lahav Shani dans l’une des Danses Klezmer de son frère altiste compositeur, Göran Fröst.
En seconde
partie de concert, une partition qui, généralement, fait à elle seule l’objet
d’un concert entier. C’est dire combien cette semaine l’Orchestre de Paris se
sera fait généreux envers son public. Plus d’un siècle sépare le concerto de
Mozart (1791) et la Sixième Symphonie en
la mineur de Mahler (1905). L’une des œuvres les plus déchirantes et
hallucinées du compositeur autrichien, celle qui, à l’instar des Kindertotenlieder, est la plus
tristement prémonitoire de la biographie de son auteur, avec ses combats à
couper le souffle, ses grands moments d’introspection douloureuse, ses plages
d’espoir brutalement brisé par des drames menaçants, une angoisse qui atteint
des sommets de déchirure avec les trois immenses coups du destin qui fracassent
l’élan frénétique du funeste finale - Lahav Shani a choisi l’option finalement retenue
par le compositeur de n’utiliser que la grosse caisse pour l’ultime coup du destin
plutôt que le troisième coup de marteau/hache. D’où le son sous-titre apocryphe
« Tragique » donné à cette bouleversante partition. Cette Sixième Symphonie en la mineur est aussi
la symphonie mahlérienne la plus porteuse d’avenir, qui aura particulièrement marqué
Alban Berg (l’interlude en ré mineur du troisième acte de Wozzeck, notamment, lui doit beaucoup). Le plus remarquable parce
que le plus délicat à réussir, le premier mouvement, Allegro energico, ma non troppo est apparu d’une unité constante là
où souvent il apparaît décousu, le chef maîtrisant pleinement le matériau
thématique qui se multiplie à foison de façon plus ou moins éparse, la
symphonie se sera ainsi avérée de bout en bout vertigineuse de tragique et de
brio. Shani a choisi de placer le mouvement lent en troisième position, Mahler
ayant lui-même longtemps hésité à introduire cet Andante moderato en deuxième ou troisième partie, ce qui indique
que Shani, en mettant le champêtre Andante
moderato en troisième place, était conscient que sa conception singulièrement
poignante de l’œuvre eût pu asphyxier l’auditoire s’il avait enchaîné la lutte obstinée
et horrifiante de l’accablant Scherzo magnifiquement
alterné cependant par le double trio
d’une touchante innocence, à l’immense Finale
Allegro moderato - Allegro energico course
haletante vers l’abîme de près d’une demie heure violemment interrompue par
trois fois comme si le héros Mahler se heurtait à un mur en béton muni d’une
froide lame d’acier tranchante, Lahav Shani a pu s’engager sans réserve dans sa
vision apocalyptique servi par un Orchestre de Paris d’une impressionnante
virtuosité, s’engageant avec magnificence dans le drame implacable qui gouverne
l’œuvre entière. Une interprétation dantesque, d’un tragique
exacerbé à tirer des larmes, avec des musiciens parisiens jouant au cordeau,
attestant d’une ferveur confondante et
d’un panache à toute épreuve, avec une mention spéciale pour le cor solo,
Benoît de Barsony, et pour le trompette solo, Frédéric Mellardi.
Bruno Serrou
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