lundi 10 avril 2023

Les sortilèges pascals de l’Orchestre de l’Opéra de Paris et de son directeur musical Gustavo Dudamel à la Philharmonie

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Samedi 8 avril 2023 

Gustavo Dudamel, Orchestre de l'Opéra national de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Samedi Saint, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris dirigé par son patron Gustavo Dudamel à la Philharmonie de Paris a donné un programme éclectique qui lui a permis de démontrer sa polyvalence, ses qualités individuelles, son homogénéité, sa souplesse, son brio.

Gustavo Dudamel, Orchestre de l'Opéra national de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Le concert s’est ouvert sur la courte œuvre onirique et émouvante qu’Olivier Messiaen a composée en 1989 à la mémoire de sa mère, la poétesse Cécile Sauvage, Un sourire. Ecrite pour grand orchestre qui contient un ineffable chant d’oiseau exotique, cette partition est le fruit d’une commande de Marek Janowski pour le Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France (futur Orchestre Philharmonique de Radio France) dont le chef allemand était alors directeur musical, dans la perspective des célébrations du bicentenaire de la mort de Mozart en 1791. L’œuvre alterne une lente et simple mélodie exposée par les cordes et le hautbois, et un chant d’oiseau exotique confié aux marimbas, xylophones, bois et cors, tandis qu’à la fin se présente un accord éthéré, sans doute le « sourire » du titre. « Malgré les deuils, les souffrances, la faim et le froid, l’incompréhension, et la proximité de la mort, Mozart souriait toujours, souligne Messiaen à propos de cette œuvre. Sa musique souriait aussi. C’est pourquoi je me suis permis, en toute humilité, d’intituler mon hommage Un sourire. » Il s’agit de la dernière œuvre d’orchestre de Messiaen, et l’on y retrouve sa profonde spiritualité et l’ampleur de son inspiration, du plain chant grégorien aux musiques extra-européennes.

Gustavo Dudamel, Ochestre de l'Opéra national de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Suivait une œuvre de l’ère classique d’un proche de Mozart, qui lui a dédié ses six quatuors à cordes de 1785, Joseph Haydn et sa Symphonie n° 82 en ut majeur Hob. I:82 « L’Ours » écrite en 1786 et créée à Paris l’année suivante dans le cadre d’un Concert de la Loge Olympique dirigé par le Chevalier de Saint-George. Gustavo Dudamel et l’Orchestre de l’Opéra de Paris en ont donné une interprétation énergique et virevoltante, jamais pesante malgré un effectif de cordes un peu trop fourni (12, 10, 8, 6, 4 disposés non pas à l'américaine mais à l'allemande, les violons se faisant face), et à l’exception justifiée du début du Vivace final qui tire son nom de la danse qui s’y expose aux contours pachydermiques.

Orchestre de l'Opéra national de Paris, Gustavo Dudamel. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie commençait par la réjouissante suite en cinq mouvements Ma mère l’Oye de Maurice Ravel dont l’orchestre a tiré tout le parti avec fluidité et transparence. Comme chacun sait, cette œuvre initialement écrite pour le piano à quatre mains entre 1908 et 1910 d’après des contes de Charles Perrault, La Belle au bois dormant et Le Petit Poucet extraits des Contes de ma mère l’Oye, de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont et ses entretiens de La Belle et la Bête, et de Madame d’Aulnoy, Le Serpentin vert. Ravel en tira deux versions pour orchestre, la première en 1911, sans trompette, trombone et tuba, la seconde, en 1912, plus étoffée (ajout d’un Prélude, de La Danse du rouet et Scène et de cinq Interludes, auxquels s’ajoute l’interversion de deux des cinq parties de l’original, pour un ballet de Jane Hugard. C’est la première version qu’a choisie Gustavo Dudamel, donnant ainsi la primauté à clarinette, cor anglais, flûte et basson qui s’en sont donné à cœur joie, attestant de leur virtuosité extrême, valorisant les subtils mélanges de timbres qui restituent avec délicatesse le mystère et l’envoûtement des contes pour enfants.

Gustavo Dudamel, Orchestre de l'Opéra national de Paris. Photo : (c) Bruno Serrou

Plus encore que ses opéras Salomé, grâce auquel il a pu faire construire sa villa de Garmisch-Partenkirchen, et Elektra, c’est Le Chevalier à la rose (Der Rosenkavalier) qui rendit universellement célèbre le nom de Richard Strauss en 1911. C’est d’ailleurs fier de cet opéra et de l’assurance de sa célébrité due à l’ouvrage, que Richard Strauss se présentait à qui ne le reconnaissait pas comme « l’auteur du Chevalier à la rose », ce qu’il fit notamment un jour où il se présenta à l’entrée du camp de concentration de Theresienstadt pour voir comment allait la belle-famille de son fils Franz, les von Grab, qui y étaient détenus avant d’être anéantis à Auschwitz-Birkenau… Ce succès conduisit le compositeur à en tirer une suite de valses dès 1911 extraites du troisième acte, suivie en 1925 de la musique pour un film de Robert Wiene inspiré de l’opéra. En 1944, alors qu’il était exilé en Suisse, pressé par l’absence de ressources, il retourna à son Chevalier à la rose pour en tirer une Grande Suite titrée Introduction et Valses du « Chevalier à la rose », mécontent qu’il était d’adaptations réalisées par des mains étrangères, ajoutant aux valses l’introduction de l’opéra et le finale, le sublime et bouleversant trio qui devient duo au troisième acte auquel il a associée la pirouette du petit serviteur qui ramasse le mouchoir abandonné par Sophie… Gustavo Dudamel a poussé l’Orchestre de l’Opéra de Paris à se laisser porter par une partition dont les musiciens connaissent la moindre nuance, le moindre trait, enchaînant joie de vivre, insouciance, sensualité, nostalgie, émois, effusions, spiritualité, l’orchestre brillant de tout son éclat, sollicitant tout le charme, l’exquis ravissement, la tendre mélancolie, la force parfois tellurique tout en exaltant constamment ses rutilantes sonorités.

Bruno Serrou 

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