Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 21 avril 2023
Huit jours après leur rendez-vous manqué la semaine dernière à Chicago, Mikko Franck a
retrouvé vendredi soir à Paris Hilary Hahn, cette fois à la tête de son Orchestre Philharmonique
de Radio France dans le Concerto pour violon
et orchestre de Johannes Brahms.
Le Concerto pour violon et orchestre en
ré majeur op. 77, autant que la Symphonie
n° 1, créés à trois ans de distance est pour Brahms un véritable
enfant de douleur. Il procura en effet à son auteur maints désagréments, notamment
de la part de son dédicataire, Joseph Joachim, qui le trouva injouable, obligeant
Brahms à des modifications techniques, tandis que l’œuvre eut du mal à
s’imposer. Il n’en émane pas moins un extraordinaire sentiment de plénitude,
malgré des moments plus sombres et méditatifs, comme le mouvement lent.
Néanmoins, il ne se trouve rien de tragique et surtout pas une once de pathos,
mais au contraire de l’héroïsme romantique et une radieuse sérénité.
Concentrée et lumineuse, Hilary Hahn a interprété cette œuvre phare avec une maîtrise de son et d’archet impressionnante avec son jeu suprêmement naturel. La violoniste étatsunienne a magnifié en une sereine liberté les ineffables beautés de l’œuvre, gorgée de soleil et d’allégresse. Les sonorités fruitées et pleines que la soliste tire de son magnifique instrument de 1864 du facteur français Jean-Baptiste Vuillaume aux couleurs mordorées exaltées par un jeu ample au vibrato délié ont magnifié les longues phrases aux amples respirations de Brahms. Toujours souriante, Hahn joue son violon avec grâce, entretenant avec lui une délicieuse intimité, sans fioriture ni artifices, jamais dans l’esbroufe contrairement à trop de stars médiatiques du violon. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est somptueux, couvant la soliste avec délicatesse de ses sonorités charnelles et pleine. Mikko Franck et sa phalange de Radio France se sont avérés davantage que de simples partenaires de la soliste, d’authentiques compagnons enveloppant de leurs timbres délectables un violon enchanteur pour brosser de concert une chatoyante symphonie concertante. Des moments proprement sublimes, comme l’introduction puis dialogue dans le cours de l’Adagio avec l’onctueux hautbois solo d’Hélène Devilleneuve qui devient violon, qui devient hautbois. Brillant Allegro giocoso ivre de joie, de chaleur, de lumière, joué par une Hilary Hahn solaire suscitant avec dextérité un bonheur simple et chatoyant, l’entente avec Franck étant totale, tandis que la cadence du mouvement initial, joué avec brio est d’une beauté irradiante.
Difficile d’imaginer après un tel engagement dans une œuvre si exigeante et développée un quelconque bis. Pourtant, le public de l’Auditorium de Radio France, plein comme un œuf, n’a pas eu à insister longuement pour en obtenir un bis d’Hilary Hahn, que rien ne semble fatiguer. En complément, la violoniste a choisi un mouvement lent de Partita de Jean-Sébastien Bach, puis une page qu’elle venait de créer le 14 avril dernier à Chicago de Steven Banks, Though My Mother’s Eyes sur une mélodie que la mère du compositeur lui chantait enfant…
En seconde partie, Mikko Franck et le
Philharmonique de Radio France ont proposé la Symphonie n° 5 en ré mineur op. 47 de Dimitri Chostakovitch, la plus populaire du cursus des quinze symphonies du
compositeur russe. Conçue un an après l’affaire de Lady Macbeth du district de
Mtsensk dont la production du Bolchoï de Moscou suscita la fureur de
Staline, écrite en trois mois en 1937, créée le 21 novembre de la même année à
Leningrad par l’Orchestre Philharmonique de la ville sous la direction d’Evgueni
Mravinski, cette œuvre se veut selon son auteur « la réponse du
compositeur à de justes critiques ». Il faut dire qu’à l’époque de sa
genèse, l’Union Soviétique est sous le boisseau de la terreur des purges
staliniennes, dont des proches de Chostakovitch seront parmi les victimes, comme
le metteur en scène Vsevolod Meyerhold persécuté dès 1930, dix ans avant d’être
exécuté, la propre sœur du compositeur déportée en Sibérie, son beau-frère interrogé… Tant
et si bien que Chostakovitch préfère renoncer à la création de sa Quatrième symphonie terminée en 1936
pour s’atteler sans attendre à la Cinquième,
qui répondra au plus près aux attentes du régime en symbolisant
« l’optimisme triomphant de l’homme ». Un optimisme outré qui dit
combien il est contraint, si clairement d’ailleurs qu’il fut perçu comme tel par
le public lui-même en proie à une angoisse collective. Il convient donc dans le Moderato initial de ne point y mettre de pathos mais de veiller à en souligner l’amertume, les moments de grâce, le lyrisme, ainsi que l’insouciance du scherzo Allegretto. Le Largo doit
être pathétique mais sans surcharge, voire détaché du monde, tandis que l’Allegro finale est une page parmi les
plus triviales du compositeur. Mikko Franck, le geste large et aérien donnant
la juste impulsion à cette œuvre et à son orchestre, engendrant une interprétation fluide, généreuse, sans excès ni maniérisme, gommant à bon escient les rugosités souvent à la limite de la vulgarité - sinon
franchement vulgaires - de cette partition, tandis que
les pupitres ont rayonné par la maîtrise de leur jeu et par le lustre de leurs
sonorités.
Ce concert était le cadre de l'ultime prestation de l'altiste Martine Schouman, après quarante ans de carrière au sein de l'Orchestre Philharmonique de Radio France.
Bruno Serrou
A noter que l’Orchestre
Philharmonique de Radio France, Mikko Franck et Hilary Hahn partent en tournée en Allemagne du 24 au 29 avril avec ce même
programme : Isarphilharmonie de Munich
(24 avril), Kultur und Kongresszentrum de Stuttgart (25 avril), Philharmonie de
Berlin (26 avril), Philharmonie de Cologne (27 avril), Philharmonie d’Essen (29
avril)
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