samedi 22 avril 2023

Concert solaire de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et de Mikko Franck avec une irradiante Hilary Hahn

Paris. Maison de la Radio. Auditorium. Vendredi 21 avril 2023

Hilary Hahn, Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Huit jours après leur rendez-vous manqué la semaine dernière à Chicago, Mikko Franck a retrouvé vendredi soir à Paris Hilary Hahn, cette fois à la tête de son Orchestre Philharmonique de Radio France dans le Concerto pour violon et orchestre de Johannes Brahms.

Hilary Hahn, Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France saluent la prestation d'Hélène Devilleneuve (hautbois solo). Photo : (c) Bruno Serrou

Le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 77, autant que la Symphonie n° 1, créés à trois ans de distance est pour Brahms un véritable enfant de douleur. Il procura en effet à son auteur maints désagréments, notamment de la part de son dédicataire, Joseph Joachim, qui le trouva injouable, obligeant Brahms à des modifications techniques, tandis que l’œuvre eut du mal à s’imposer. Il n’en émane pas moins un extraordinaire sentiment de plénitude, malgré des moments plus sombres et méditatifs, comme le mouvement lent. Néanmoins, il ne se trouve rien de tragique et surtout pas une once de pathos, mais au contraire de l’héroïsme romantique et une radieuse sérénité. 


Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France à la fin du concert. Photo : (c) Bruno Serrou

Concentrée et lumineuse, Hilary Hahn a interprété cette œuvre phare avec une maîtrise de son et d’archet impressionnante avec son jeu suprêmement naturel. La violoniste étatsunienne a magnifié en une sereine liberté les ineffables beautés de l’œuvre, gorgée de soleil et d’allégresse. Les sonorités fruitées et pleines que la soliste tire de son magnifique instrument de 1864 du facteur français Jean-Baptiste Vuillaume aux couleurs mordorées exaltées par un jeu ample au vibrato délié ont magnifié les longues phrases aux amples respirations de Brahms. Toujours souriante, Hahn joue son violon avec grâce, entretenant avec lui une délicieuse intimité, sans fioriture ni artifices, jamais dans l’esbroufe contrairement à trop de stars médiatiques du violon. L’Orchestre Philharmonique de Radio France est somptueux, couvant la soliste avec délicatesse de ses sonorités charnelles et pleine. Mikko Franck et sa phalange de Radio France se sont avérés davantage que de simples partenaires de la soliste, d’authentiques compagnons enveloppant de leurs timbres délectables un violon enchanteur pour brosser de concert une chatoyante symphonie concertante. Des moments proprement sublimes, comme l’introduction puis dialogue dans le cours de  l’Adagio avec l’onctueux hautbois solo d’Hélène Devilleneuve qui devient violon, qui devient hautbois. Brillant Allegro giocoso ivre de joie, de chaleur, de lumière, joué par une Hilary Hahn solaire suscitant avec dextérité un bonheur simple et chatoyant, l’entente avec Franck étant totale, tandis que la cadence du mouvement initial, joué avec brio est d’une beauté irradiante.

Hilary Hahn, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

Difficile d’imaginer après un tel engagement dans une œuvre si exigeante et développée un quelconque bis. Pourtant, le public de l’Auditorium de Radio France, plein comme un œuf, n’a pas eu à insister longuement pour en obtenir un bis d’Hilary Hahn, que rien ne semble fatiguer. En complément, la violoniste a choisi un mouvement lent de Partita de Jean-Sébastien Bach, puis une page qu’elle venait de créer le 14 avril dernier à Chicago de Steven Banks, Though My Mother’s Eyes sur une mélodie que la mère du compositeur lui chantait enfant…

Mikko Franck, Orchestre Philharmonique de Radio France. Photo : (c) Bruno Serrou

En seconde partie, Mikko Franck et le Philharmonique de Radio France ont proposé la Symphonie n° 5 en ré mineur op. 47 de Dimitri Chostakovitch, la plus populaire du cursus des quinze symphonies du compositeur russe. Conçue un an après l’affaire de Lady Macbeth du district de Mtsensk dont la production du Bolchoï de Moscou suscita la fureur de Staline, écrite en trois mois en 1937, créée le 21 novembre de la même année à Leningrad par l’Orchestre Philharmonique de la ville sous la direction d’Evgueni Mravinski, cette œuvre se veut selon son auteur « la réponse du compositeur à de justes critiques ». Il faut dire qu’à l’époque de sa genèse, l’Union Soviétique est sous le boisseau de la terreur des purges staliniennes, dont des proches de Chostakovitch seront parmi les victimes, comme le metteur en scène Vsevolod Meyerhold persécuté dès 1930, dix ans avant d’être exécuté, la propre sœur du compositeur déportée en Sibérie, son beau-frère interrogé… Tant et si bien que Chostakovitch préfère renoncer à la création de sa Quatrième symphonie terminée en 1936 pour s’atteler sans attendre à la Cinquième, qui répondra au plus près aux attentes du régime en symbolisant « l’optimisme triomphant de l’homme ». Un optimisme outré qui dit combien il est contraint, si clairement d’ailleurs qu’il fut perçu comme tel par le public lui-même en proie à une angoisse collective. Il convient donc dans le Moderato initial de ne point y mettre de pathos mais de veiller à en souligner l’amertume, les moments de grâce, le lyrisme, ainsi que l’insouciance du scherzo Allegretto. Le Largo doit être pathétique mais sans surcharge, voire détaché du monde, tandis que l’Allegro finale est une page parmi les plus triviales du compositeur. Mikko Franck, le geste large et aérien donnant la juste impulsion à cette œuvre et à son orchestre, engendrant une interprétation fluide, généreuse, sans excès ni maniérisme, gommant à bon escient les rugosités souvent à la limite de la vulgarité - sinon franchement vulgaires - de cette partition, tandis que les pupitres ont rayonné par la maîtrise de leur jeu et par le lustre de leurs sonorités.

Ce concert était le cadre de l'ultime prestation de l'altiste Martine Schouman, après quarante ans de carrière au sein de l'Orchestre Philharmonique de Radio France.

Bruno Serrou

A noter que l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Mikko Franck et Hilary Hahn partent en tournée en Allemagne du 24 au 29 avril avec ce même programme : Isarphilharmonie de Munich (24 avril), Kultur und Kongresszentrum de Stuttgart (25 avril), Philharmonie de Berlin (26 avril), Philharmonie de Cologne (27 avril), Philharmonie d’Essen (29 avril) 


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