mardi 4 avril 2023

Le Saint-Saëns enchanteur de Bertrand Chamayou, Vincent Warnier et l’Orchestre des Champs-Elysées dirigé avec intensité par Louis Langrée

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Dimanche 2 avril 2023 

Louis Langrée. Photo : (c) Orchestre des Champs-Elysées

Pourquoi donc Louis Langrée n’est-il toujours pas titulaire, à 62 ans, d’un grand orchestre français ? Lui faudra-t-il attendre d’avoir 75 ans pour s’en voir enfin confier un ? Telles sont les questions sans réponses qui hantent les mélomanes à l’issue du concert qu’il a dirigé dimanche à la Philharmonie de Paris sous l’égide du Palazzetto Bru Zane. 

Luis Langrée, Vincent Warnier, Orchestre des Champs-Elysées. Photo : (c) Bruno Serrou

Les trois œuvres parmi les plus célèbres de Camille Saint-Saëns qu’il a dirigées dimanche à la Philharmonie de Paris ont tout simplement été d’une musicalité et d’une énergie irradiante. Fondé en 1991 par Philippe Herreweghe, qui en est toujours le directeur musical, l’Orchestre des Champs-Elysées a été magnifique sur ses instruments de l’époque du compositeur, avec les seconds violons faisant face aux premiers à droite du chef. Un orchestre brillant dont le rôle et la place sont inexplicablement sous-estimé par la région où il est implanté, la Nouvelle Aquitaine à laquelle est attachée la ville de Poitiers où il est implanté et qui a décidé en commun accord avec elle-même de lui couper les vivres en supprimant ses subventions sans autre forme de procès… 

Louis Langrée, Bertrand Chamayou, Orchestre des Champs-Elysées. Photo : (c) Bruno Serrou

Après une évocatrice Danse macabre op. 40, poème symphonique de 1872 fondé sur six strophes du poème Egalité-Fraternité (1874) d’Henri Cazalis (1840-1909), plus connu sous le nom de Jean Lahor, « Zig et zig et zig, la Mort en cadence / Frappant une tombe avec son talon, / La Mort à minuit joue un air de danse, / Zig et zig et zig, sur son violon […] », où le violon solo, en scordatura (désaccordé), a naturellement une place centrale, un violon remarquablement tenu par Alessando Maccia depuis son pupitre de leader, sachant remarquablement évoquer la voix chantante dans la mélodie originelle de 1870, tandis que l’ensemble des pupitres de l’orchestre, avec les instruments d’époque, ont magnifié avec infiniment de naturel la riche palette de couleurs mise en jeu par le compositeur, dont l’utilisation du thème du Dies Irae sur un rythme de valse, aura formé un fil conducteur pour l’ensemble de ce concert.

Bertrand Chamayou jouant le Pleyel de 1905, Orchestre des Champs-Elysées. Photo : (c) Bruno Serrou

Richesse de couleurs qui s’est largement confortée dans le plus fameux des concertos de Saint-Saëns, le Concerto pour piano et orchestre n° 5 en fa majeur op. 103 « l’Egyptien » créé par le compositeur Salle Pleyel le 2 juin 1896. Œuvre au caractère narratif, passant de l’Europe dans le mouvement initial à l’Orient dès l’Andante, lancé par une détonation de timbales (excellente Marie-Ange Petit) avant d’exposer une chanson d’amour nubienne que le compositeur avait entendue à bord d’un bateau naviguant sur le Nil, tandis que le vertigineux finale tournoie à la façon d’une hélice de paquebot pour conclure sur une fanfare triomphale. La façon limpide, aérienne et incroyablement naturelle avec laquelle Bertrand Chamayou a joué cette partition virtuose, dès les premiers glissandi du clavier, a littéralement hypnotisé l’auditoire, saisi par l’aisance stupéfiante avec laquelle ce merveilleux pianiste a joué cette œuvre singulièrement virtuose, sur un magnifique Pleyel de 1905, donc de neuf ans le cadet du concerto de Saint-Saëns, qui créa sa partition sur un instrument en tous points comparable à moins d’une décennie près. Un piano remarquablement préparé par Marion Lainé sur lequel Bertrand Chamayou a donné en bis l’Etude pour piano op. 111/4 « Les cloches de Las Palmas » (au sein de ce même recueil, Saint-Saëns reprendra dans la Toccata une partie du finale de son Cinquième Concerto) saturée de magie.

Louis Langrée, Vincent Warnier, Orchestre des Champs-Elysées. Photo : (c) Bruno Serrou

 La seconde partie du concert était entièrement consacrée à la célébrissime Symphonie n° 3 en ut mineur op. 78 dite « Symphonie avec orgue » dont Saint-Saëns reçut la commande de la Royal Philharmonic Society de Londres, où il dirigea la création le 19 mai 1886 et qu’il dédia à la mémoire de Franz Liszt qui mourra deux mois et demi plus tard à qui il emprunta plusieurs éléments structurels dont les procédés de métamorphoses thématique et le thème cyclique qu’il expose aux cordes au terme de l’Adagio initial inspiré du Dies irae de la messe des morts que Berlioz et Liszt avaient exploités avant lui et que Saint-Saëns tort de toutes les façons possibles jusqu’à aboutir à une citation de l’Ave Maria d’Arcadelt S. 183/2 que le dédicataire avait composé à Rome en 1863. Quoique construite en deux parties, la structure de l’œuvre est bel et bien en quatre mouvements. Richement orchestrée, elle intègre un piano à quatre mains et un orgue, qui intervient dans le mouvement lent Poco adagio qui conclut la première partie, et dans le finale, Maestoso, Allegro. L’orchestre a donné tout ce que l’œuvre et l’écriture contrapuntique de Saint-Saëns exalte de couleurs et de chatoyances feutrées et ombrées, de puissance, d’intensité, de nuances, avec un moelleux et une précision sans faille, suscitant un véritable enchantement pour les oreilles, bois, cuivres et cordes attisant une exquise sensualité, tandis que l’orgue de la Philharmonie, brillamment tenu par Vincent Warnier, titulaire de la tribune de l’église Saint-Etienne-du-Mont à Paris qui s’était notamment illustré sur ce même instrument de la Philharmonie de le monumental Livre d’orgue d’Olivier Messiaen, a glorifié l’œuvre de ses féeriques sonorités. Bien qu’elles ne soient pas citées dans le programme ni dans l’organigramme de l’orchestre, il faut saluer la prestation des deux pianistes, qui ont exprimé leur talent sur l’instrument utilisé en première partie de concert par Bertrand Chamayou.

L'historique, le piano Pleyel de 1905, et le moderne, l'orgue Rieger de la Philharmonie (2016), associés aux instruments d'époque de l'Orchestre des Champs-Elysées réunis dans la Symphonie n° 3 "avec orgue" de Saint-Saëns. Photo : (c) Bruno Serrou

Avant de donner le signal de fin, Louis Langrée est revenu un micro en main pour annoncer le bis que l’orchestre allait jouer en prime, « non pas du Saint-Saëns » mais l’intermède de Carmen, opéra de Georges Bizet qu’il s’apprête à diriger à la tête de la même formation élyséenne dans la fosse de son théâtre, la salle Favart, du 24 avril au 4 mai.

Bruno Serrou 

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