lundi 22 août 2022

CD compte-rendu : Myriam Barbaux-Cohen révèle le bouleversant piano de la compositrice française Mel Bonis

Après un premier disque récital consacré à Enrique Granados avec des pièces parmi les moins fréquentées du compositeur espagnol, Myriam Barbaux-Cohen consacre son deuxième CD à un programme monographique dédié à une compositrice française de plus en plus courue aujourd’hui, Mélanie-Hélène Bonis dite Mel Bonis, née à Paris le 21 janvier 1858, morte à Sarcelles le 18 mars 1937, sur un excellent piano Bechstein du C. Bechstein Centrum de Düsseldorf.


L’interprète Myriam Barbaux-Cohen

Après avoir découvert le piano à 11 ans, désormais installée à Francfort-sur-le-Main, Myriam-Barbaux-Cohen a commencé l’étudie de l’instrument à La Rochelle, avant d’obtenir un premier prix de musique de chambre et de piano au Conservatoire de Gennevilliers. Elle intègre alors le Conservatoire Rachmaninov de Paris, où elle se perfectionne auprès de Muza Rubackyte, dont elle devient l’assistante avant d’enseigner à son tour au sein de l’établissement jusqu’en 2011, trois ans après y avoir obtenu son diplôme de concert. La décennie suivante, Myriam Barbaux-Cohen travaille le répertoire vocal au Conservatoire du Centre de Paris et devient accompagnatrice de chœurs et d’ensembles vocaux. Elle participe également à des masterclasses de Jean-Philippe Collard, François-René Duchâble et Michel Béroff, et se produit en concert dans le cadre du programme de l’International Certificate Piano Artists alors présidé par Philippe Entremont. De 2009 à 2013, elle participe au Quintette Al-Prago, qui se consacre principalement au répertoire d’Astor Piazzolla. Suite à une formation spécialisée auprès de Françoise Dorocq, présidente-fondatrice d’Apte-Autisme, elle enseigne la musique à des jeunes et adultes souffrant d’autisme et de troubles de l’apprentissage.

Mel Bonis (1858-1937) à la fin de sa vie. Photo : DR

La compositrice Mel Bonis

« Mon grand chagrin : ne jamais entendre ma musique » avouera Mel Bonis à la fin de sa vie tandis qu’elle était clouée au lit par de profondes dépressions. Il faudra attendre les années 1990, et surtout l’action de son arrière-petite-fille Christine Géliot, pour que l’on redécouvre enfin la compositrice. Elève d’Ernest Guiraud, César Franck et Charles Koechlin, disciple de Gabriel Fauré, proche de Claude Debussy durant leurs études au Conservatoire, pédagogue émérite, décédée la même année que Maurice Ravel dont elle était l’aînée de dix-sept ans, Mélanie Bonis est issue d'une famille bourgeoise parisienne qui l’a laissée sans formation musicale car très sceptique quant à ses ambitions musicales. Elle passera les dernières années de sa vie allongée, victime de profondes dépressions. Malgré les adversités familiales et sociales, elle a pu réaliser son talent dans les limites du cadre de ce qui était possible à l'époque, ce qui lui a permis de concevoir une œuvre musicale remarquable, riche de quelques deux cents opus. Le piano occupe la part centrale de sa création avec une soixantaine de pièces publiées pour l’essentiel chez Leduc et Eschig (Pièces pittoresques et poétiques, Pièces de concert, Danses, le cycle Femmes de légende) auxquelles il convient d’ajouter du quatre mains, du deux pianos et des recueils pédagogiques. Mel Bonis laisse également des pages pour orgue (une trentaine), de chambre (Sonates pour flûte, pour violon, pour violoncelle, toutes trois avec piano, deux Quatuors pour piano et cordes), ensembles (deux Septuors à vent), pour orchestre (plus d’une dizaine) et vocales, dont une trentaine de mélodies, et vingt-cinq œuvres religieuses en majorité polyphoniques.


Le CD

Dans la lettre qu’elle publie dans la pochette de son disque, Myriam Barbaux-Cohen écrit combien la musique de Mel Bonis la touche au-delà des difficultés techniques, par sa nostalgie, la richesse des harmonies et des mélodies « si profondes et parfois bouleversantes », l’évolution de sa créativité au fil de sa vie, de ses drames, de ses difficultés, de ses changements, inspirant à l’interprète le désir de laisser se déployer son imaginaire pour conter de véritables histoires.

Le bonheur évident qui émane à l’écoute du ressenti de Myriam Barbaux-Cohen à découvrir, parcourir, jouer et révéler l’œuvre pianistique de Mel Bonis est entièrement communiqué par cet enregistrement d’une limpidité, d’une virtuosité sans artifices, d’une spontanéité singulière tant le jeu de la pianiste est mobile, souple, incandescent, parvenant à susciter des sonorités vif-argent. Longtemps négligée, cette musique d’une qualité exceptionnelle est enfin reconnue comme telle par une artiste qui aime et sait partager cet amour pour une musique qui enfin ne cesse d’attirer un nombre croissant d’interprètes. Myriam Barbaux-Cohen a quant à elle construit son récital en puisant dans les Pièces pittoresques et poétiques écrites à différentes périodes de la vie créatrice de Mel Bonis, du tout début de sa carrière, entre 1881 et 1895, puis entre 1910 et 1932, ainsi que quatre Pièces de concert conçues entre 1897 et 1928, le tout présentant une grande variété de styles et d’inspiration. Parmi les plus représentatives l’ultime Cloches lointaines op. 121/5 de 1929, mais aussi la belle Cathédrale blessée op. 107 et le bouleversant Au Crépuscule op. 111. L’interprétation est emplie de couleurs polychromes, de contrastes, de variations d’intensités, touchant au plus intime de la mélancolie des œuvres. La qualité exceptionnelle de l’interprétation de Myriam Barbaux-Cohen de ces dix-huit pièces pousse à espérer que la pianiste continue à défricher cette part de la création de Mel Bonis, et pourquoi pas offrir à terme une intégrale de référence…


Bruno Serrou

Le programme du CD : 

Etiolles - Valse op. 2 ; Prélude op. 10 ; Gai Printemps ; Près du Ruisseau op. 9 ; Pensées d'Automne op. 19 ; Berceuse op. 23/1 ; Eglogue op. 12 ; Romances Sans Paroles op. 29 & op. 56 ; Méditation op. 33/1 ; Carillon Mystique op. 31 ; Ballade op. 27 ; Barcarolle op. 71 ; La Cathédrale Blessée op. 107 ; Au Crépuscule op. 111 ; Une Flûte Soupire op. 117 ; Berceuse Triste op. 118 : Cloches Lointaines op. 121


1 SACD Ars Produktion Ars 38 349. Enregistré en janvier 2022. Durée : 1h 13mn 44s. 

A paraître le 2 septembre 2022 en Allemagne, le 30 septembre 2022 en France et en Europe. Disponible sur les plate-formes à partir du 16 septembre 2022


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