Photo : (c) Bruno Serrou
Puisée dans le catalogue Warner
Classics (Teldec, NVC Arts, HMV, London, Nonesuch, EMI, Virgin, Erato, etc., mais
aussi chez Actes Sud et le Palazzetto Bru Zane), Warner Classics réunit en un
coffret de trente-trois CD, à l’occasion du centième anniversaire de la mort de
Claude Debussy, le 25 mars 2018, l’intégralité de l’œuvre enregistrée par ses
divers labels, depuis les incunables enregistrés par le compositeur en personne
jusqu’à un certain nombre d’inédits au disque. C’est ainsi toute la création de
Debussy qui est gravée ici, de ses premières mélodies de 1879-1880 jusqu’à ses
trois dernières sonates composées durant la Première Guerre mondiale…
Outre Debussy, l’on peut aussi y
écouter quantité de grands interprètes du passé et du présent qui ont su saisir
le style du compositeur, son évolution, son univers sonore et intellectuel. Debussy
en effet compte parmi les compositeurs les plus originaux et inventifs de
l’histoire de la musique française, au point d’être sans doute celui qui a eu
le plus d’influence sur les générations qui ont suivi la sienne, que ce soit
dans le domaine de la musique classique que dans ceux du jazz et de la musique
de film. « Debussy est désormais
très loin de nous, disait Pierre Boulez, et il n’est plus question de reprendre
ses éléments techniques. Ce que l’on peut reprendre en revanche ce sont
l’esprit, la diversité rythmique, la forme infiniment inventive, etc. » Sa musique
toute en beauté sensuelle et sonorités aventureuses suggère une grande liberté
de forme et d’expression, tout en étant organisée et cadrée. Il a ainsi assumé tout en le transformant un
héritage venu de l’ère baroque, Couperin, Rameau, jusqu’à ses contemporains
Massenet, Chabrier, en passant par les Russes Rimski-Korsakov, Moussorgski,
Tchaïkovski, ou encore la musique indonésienne découverte lors de l’Exposition
universelle de Paris en 1889. Et s’il se plut à dénigrer officiellement Wagner,
il n’en subit pas moins son influence que l’on ressent dans son opéra Pelléas et Mélisande. L’on retrouve par
ailleurs l’empreinte de grands écrivains, Mallarmé, Verlaine, Maeterlinck, D’Annunzio,
Poe, Villon, Louÿs, Beaudelaire, ainsi que des peintres, comme le japonais Katsushika
Hokusai, dont des tableaux illustrent le coffret ainsi que les trente-trois
pochettes.
Si Warner a opté pour des enregistrements moins connus, reconnus ou
célébrés auxquels les mélomanes ont plus facilement accès, la somme que Warner
a rassemblée dans ce coffret présente la totalité de la création debussyste, achevée
et inachevée, piano, musique de chambre, orchestre, ballets, mélodies,
cantates, oratorios, opéras, orchestrations réalisées par d’autres mains que
les siennes mais qu’il avait approuvées, transcriptions pour piano et piano à
quatre mains de sa musique et d’autres compositeurs, dont certaines n’avaient
jamais été enregistrées.
Parmi ces dernières, la Chanson
des brises pour soprano, chœur de femmes et piano à quatre mains (1882), la
première version des Chansons de Charles
d’Orléans (1898), la comédie lyrique pour soprano, ténor et piano Diane au bois (1885-1887), le début de la Chute de la maison Usher tel que
Debussy l’a laissé en 1916, la réduction pour piano de Khamma et de Jeux, les
transcriptions datant des années 1889-1890 d’A la fontaine op. 85 de
Robert Schumann (quatre mains), l’Humoresque
en forme de valse op. 159 de Joachim Raff (deux mains) et la Symphonie n° 2 ainsi que les Airs d’Etienne Marcel de Camille Saint-Saëns
(deux pianos, quatre mains), qui figurent aux côtés du Lac des cygnes (quatre mains) de Tchaïkovski, de l’ouverture du Vaisseau fantôme de Wagner, mais aussi
celles réalisées par d’autres compositeurs sur ses propres œuvres (six sections
du Martyre de saint Sébastien, La Mer, Images pour orchestre conçues par André Caplet, les Nocturnes par Maurice Ravel pour deux
pianos, celles de Debussy pour deux pianos de ses œuvres pour orchestre (Symphonie en si mineur, La Mer, Prélude à l’après-midi d’un faune).
Claude Debussy (1862-1918). Photo : DR
Les œuvres sont présentées dans leur ordre chronologique à l’intérieur
de chaque genre, commençant par le piano solo (5 CD), suivi du piano à quatre
mains (2 CD), deux pianos (3 CD), la musique de chambre (2 CD), l’œuvre orchestrale
(5 CD), les mélodies (5 CD), chorale (3 CD), les opéras et musiques de scène (7
CD) et les rouleaux Debussy joue Debussy (1 CD).
Comme source documentaire, ce coffret est donc inestimable. Il convient
donc de se le procurer coûte que coûte. Même si, comme pour tout projet de cet
acabit, certains enregistrements sont moins convainquant que d’autres. Au-delà
des témoignages de Debussy en personne, les captations s’étendant sur soixante
ans, et, pour l’essentiel, des années 1970. Ainsi, par exemple, les gravures de
Carlo Maria Giulini avec le Philharmonia Orchestra des Nocturnes et de La Mer
sont loin de constituer des références.
Si le fonds Warner recèle le splendide Pelléas et Mélisande de Karajan ou l’incunable de Roger Désormière qui
n’ont pas été retenus ici, c’est l’occasion du retour du bel enregistrement d’Armin
Jordan avec l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. L’on y trouve aussi son
premier opéra, Rodrigue et Chimène
dans son unique enregistrement à ce jour dirigé par Kent Nagano à la tête de l’Orchestre
de l’Opéra de Lyon, ainsi que la belle intégrale du Martyre de saint Sébastien par André Cluytens, des fragments pour voix
et piano de la Chute de la maison Usher.
L’essentiel de la musique pour orchestre revient à l’excellent Jean Martinon,
avec l’exception de Gilulini déjà mentionnée et de Simon Rattle à Birmingham pour
les Images. Pour le piano, c’est la
version Yuri Egorov qui a été retenue pour les
Préludes, et non pas l’immense Walter Gieseking, dont l’intégralité des
gravures debussystes a été rééditée voilà peu de temps (2).
Photo : DR
Les interprètes sont nombreux et de haut niveau, même s’ils ne
constituent pas tous des références. Ainsi, côté pianistes, Samson François, Monique
Haas, Aldo Ciccolini, Pierre-Laurent Aimard, Jean-Pierre Armengaud, Alain
Planès, Alice Ader, Michel Beroff, Jean-Philippe Collard, Christian Ivaldi,
Noël Lee, Olivier Chauzu, Geneviève Joy, Jacqueline Robin-Bonneau,
Jean-François Heisser, George Pludermacher, Martha Argerich, Lilya Zilberstein,
pour la musique de chambre, le Quatuor Ebène, Renaud Capuçon, Edgar Moreau,
Bertrand Chamayou, le Nash Ensemble, Emmanuel Pahud, Maurice Gendron, Jacques
Février, Michel Debost, Lily Laskine, Yehudi Menuhin, Itzhak Perlman, Samuel
Sanders, pour l’orchestre D. E. Inghelbrecht, Manuel Rosenthal, François-Xavier
Roth, Michel Plasson, Sir Neville Marriner, James Conlon, Yutaka Sado, John
Nelson, Jun Märkl, Jean-François Paillard, Hervé Niquet, les mélodies,
Véronique Gens, Magali Léger, Marie-Ange Todorovitch, Mady Mesplé, Elly
Ameling, Natalie Dessay, Liliana Faraon, Barbara Hendricks, Michèle Command, Philippe
Jaroussky, Gérard Souzay, Gilles Ragon, François Le Roux, accompagnés au piano
par Jean-Louis Haguenauer, Dalton Baldwin, Philippe Cassard, Michel Beroff,
Marius Constant… L’on retrouve également la voix de Marie Garden, la créatrice
de Mélisande accompagnée par Claude Debussy dans les Ariettes oubliées et un
extrait du troisième acte de Pelléas et Mélisande…
Une somme à connaître absolument pour se plonger à satiété dans les
méandres de la création de l’un des compositeurs phares de la musique
occidentale, mort le 25 mars 2018 des suites d’un cancer. Un regret néanmoins,
l’absence de tout livret des opéras et des poèmes, que ne compense pas l’excellent
texte de présentation de Denis Herlin, rédacteur en chef des Œuvres complètes
de Claude Debussy chez Durand.
Reste à espérer que quelque label réalise un coffret comparable pour le
centenaire de la naissance de Bernd Aloïs Zimmermann (1918-1970)…
Bruno Serrou
1) Claude Debussy, The Complete Works. 33 CD Warner
Classics 0295736750. 2) Claude Debussy, The
Piano Works. 5 CD Warner Classics 0295869199
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