jeudi 18 août 2016

Il matrimonio secreto de Cimarosa dans son intégralité et en tenue de basse-cour

Innsbruck (Autriche). Festival de Musique ancienne. Tiroler Landestheater. Mardi 16 août, mercredi 17 août 2016

Innsbruck, Tiroler Landestheater. Photo : (c) Bruno Serrou

Fondé en 1976 par le Britannique Howard Arman, le Festival de Musique ancienne d’Innsbruck célèbre cet été son quarantième anniversaire. Le chef italien Alessandro De Marchi, son directeur artistique depuis 2010, a choisi pour l’occasion de présenter une programmation proche de celle de la première édition, couvrant trois siècles d’histoire de la musique, du XVIe au XVIIIe, avec quelques programmes repris à l’identique. Pour ce faire, il a invité René Jacobs, qui, alors contre-ténor, a donné le tout premier concert de l’histoire du festival.

Innsbruck. Photo : (c) Bruno Serrou

Capitale du Tyrol, avec ses cent vingt mille habitants dont vingt mille étudiants, dans un pays, l’Autriche, où la musique est reine, située entre Bavière et Italie, dotée d’un patrimoine historique presque aussi riche que celui de Salzbourg mais en moins concentré, avec notamment le beau théâtre qu’est le Landestheater, entourée de hautes montagnes qui offrent une vue incroyable sur la ville, Innsbruck était toute désignée pour accueillir un festival de grande ampleur. Comme à Salzbourg, et plus qu’à Bayreuth, le public est particulièrement huppé, avec robes longues et smokings descendant de limousines et se plaisant à musarder verre de champagne à la main longtemps avant le début des représentations comme s’ils faisaient eux-mêmes partie du spectacle, y compris les plus jeunes, même s’il se trouve parmi ces derniers quelques jeans et encolures ouvertes.

Pendant plus d’un mois, de la mi-juillet jusque fin août, les festivaliers peuvent voir et écouter les plus grands spécialistes du répertoire baroque, et découvrir des ouvrages méconnus ou quasi-inconnus, autant en concert que mis en scène, mais les œuvres vocales sont omniprésentes. Tout ce qui a un rapport plus ou moins lointain avec cette période couvrant deux siècles est proposé, du plus dramatique au plus léger, jusqu’au quolibet et à l’autodérision, au risque de déplaire aux puristes. 

Domenico Cimarosa (1749-1801), Il matrimonio secreto. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est la version intégrale, à l’exception d’une aria du ténor, qui a été retenue pour les trois représentations de Il matrimonio secreto (Le mariage secret) de Domenico Cimarosa (1749-1801). Les 3h20 de cet opéra burlesque en deux actes créé à Vienne en février 1792, soit quelques mois après la mort de Mozart dont l’on ne trouve pas trace du génie, quoique plaisant, non exempt de quelques tunnels, ont été avivés par une mise en scène primesautière situant l’action dans une basse-cour. Les personnages centraux sont poules, coqs et coquelet, et sont entourés de pintades, dindons, canards, oies, pigeons. L’intrigue alambiquée se conclut bien évidemment sur une happy end. Paolino et Carolina se sont mariés en secret. Craignant d’être découverts, ils ne peuvent s’appartenir, ce qui amplifie leur ardeur. Autour des amants, gravite des personnages de commedia dell’arte, Geronimo, père de Carolina, marchand riche et cupide, le compte Robinson, prétendant anglais, l’espiègle et ambitieuse Elisetta, aînée de Carolina, la tante Fidalma, riche veuve associée de son frère Geronimo elle aussi éprise de Paolino… Tout ce beau monde se dispute, caquette, se moque, rit de bon cœur, dans arie, duos, ensembles de haute voltige et toujours alertes, mais non dépourvus de poésie. C’est précisément ce qu’Alessandro De Marchi, qui, à la tête de son Academia Montis Regalis, chante dans son jardin, instillant à l’ensemble de la production un onirisme de bon aloi. Dans une mise en scène de Renaud Doucet judicieusement éclairée poar Ralph Kopp animant joyeusement une distribution facétieuse dans une scénographie primitiviste d’André Barbe, les protagonistes prennent un évident plaisir à jouer, et malgré quelques failles, le chant est bien servi. A commencer par les deux géniteurs, dont la joute verbale du second acte est un moment d’anthologie. Le duo Renato Girolami / Donato Di Stefano est inénarrable, se livrant un véritable combat de coqs. Loriana Castellano, qui remplaçait au pied levé Vasselina Kasarova, a campé avec vitalité la tante vindicative, Giulia Semenzato et Klara Ek formant une fratrie bien caractérisée. Seul le Paolino de Jesus Alvarez, atteint d’une infection soudaine, est apparu en retrait, ne chantant pas toujours juste et ses aigus s’avérant tendus.

The Early Joke Barokksolistene. Photo : (c) Bru,no Serrou

Mercredi, dans la même salle du Tiroler Landestheater, était proposée une soirée délirante autour de la musique des XVIIe et XVIIIe siècles d’origines savantes et populaires puisées aux sources vénitiennes, leipzigoises, new-yorkaises et londoniennes. Une leçon d’autodérision d’interprètes de musique ancienne que leurs confrères d’autres répertoires seraient bien inspirés de prendre en exemple. Ce groupe de dix instrumentistes réunis sous l’intitulé signifiant The Early Joke Barokksolistene implanté à Bergen et dirigé par le violoniste Bjarte Eike ne fait pas dans la légèreté mais s’impose par la qualité du jeu instrumental. Le délire est optimum, et les musiques déviées de leur sens primitif, voire moquée, les déviances prenant le tour de quolibets, et les rythmes de Telemann, Purcell et consort tendant vers le jazz et le cabaret, la ville de New York étant représenté par le célèbre P.D.Q Bach (1807-1742), le représentant américain le plus fameux de la lignée du Saxon Johann-Sebastian Bach. A l’entracte les puristes de la musique baroque sont partis choqués de tant de liberté prise à l’égard de leur répertoire de prédilection, tandis que ceux qui sont restés, l’immense majorité du public, constitué en grande partie de jeunes, a pris beaucoup de plaisir à cette farce toute germanique.


Bruno Serrou

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