Saintes (Charente maritime),
Abbaye-aux-Dames, vendredi 12, samedi 13 et dimanche 14 juillet 2013
Principale manifestation du genre en Région Poitou-Charentes, le
Festival de Saintes est le point de ralliement des grands ensembles vocaux et
instrumentaux internationaux illustrant l’histoire de la musique, des origines à
nos jours, occidentale et extra-européenne. Il s’agit donc d’un rendez-vous
quasi obligé pour musiciens et mélomanes qui s’y côtoient à satiété, l’essentiel
de l’activité se déployant au cœur de la multiséculaire Abbaye-aux-Dames. Les
concerts s’enchaînent à un rythme soutenu, le public n’ayant le temps de se
ravitailler uniquement sur place s’il ne veut pas rater le moindre concert, ce
qui lui permet de dialoguer avec les artistes autour des tables réparties dans
le parc, jusque tard le soir, où sont données en prime des soirées de jazz. Un
lieu sans équivalent de convivialité qui ne désemplit pas, malgré la crise
économique. « Le public se fait toujours plus nombreux, se félicitent les
directeurs Odile Pradem-Faure et Stephan Maciejewski. Il tend néanmoins à
réduire le nombre de concerts. La quantité de pass complets est réduite de moitié, et le festivalier moyen
assiste à 6 ou 8 concerts sur les 35 qui leur sont proposés, à raison de quatre
par jour. Mais nous ne pouvons pas baisser les prix, obligés que nous sommes de
nous autofinancer pour moitié. » Le Festival de Saintes n’est que la
partie immergée d’un iceberg, puisque à sa décade de juillet, il convient
d’ajouter l’activité à l’année de la même association qui assure la
programmation et la gestion de l’Abbaye-aux-Dames, dont le budget global est de
2,2 millions d’euros, dont 450.000 euros pour la production artistique, alors que
la part du festival s'élève à 434.000 euros. A l’instar de la plupart des
institutions musicales, les subventions, en provenance essentiellement de la
Ville de Saintes puis de l’Etat, mais aussi du département et moins encore de
la région, ont subi une réduction de 100.000 euros en 2013.
Festival de Saintes 2013, Abbaye-aux-Dames. Jordi Savall (à gauche) et l'ensemble Hespérion XXI. Photo : (c) Bruno Serrou
La 43e édition du festival s’est ouverte vendredi
sur un événement attendu depuis 1991 : le retour sous les voûtes de
l’abbatiale du XIe siècle de Jordi Savall. Le gambiste catalan a
présenté avec son ensemble Hespérion XXI à six cents spectateurs chanceux qui
l’ont accueilli tel une pop’ star un programme consacré à l’empire ottoman et
ses musiques séfarades, grecques, arméniennes et turques. Un programme a priori
complexe et suscitant une écoute particulièrement attentive, qui a laissé
l’auditoire ébahi, et si d’aucuns attendaient le musicien dans son répertoire
d’il y a vingt ans, le temps pourtant dilaté passant à la vitesse de l’éclair,
le public médusé en a redemandé avec tant d’insistance que Savall et son
ensemble ont ajouté deux bis, sans pour autant le rassasier.
Un moment de pur
ravissement qui ne se renouvellera pas au concert suivant, qui a réuni sur des instruments
anciens le Quatuor Edding et des musiciens de l’Orchestre des Champs-Elysées
dans le symphonique Octuor pour cordes
et vents de Franz Schubert, sauvé par la remarquable clarinettiste Nicola Boud,
tandis que le cor naturel cumulait les pains et le premier violon sonorités aigres et attaques approximatives, a contrario de Christine Busch, qui a donné dans le concert
suivant de la Partita n° 2 et de la Sonate n° 3 de Jean-Sébastien Bach sur violon baroque
des interprétations de braise.
Festival de Saintes 2013, Abbaye-aux-Dames. Philippe Herreweghe et le Jeune Orchestre Atlantique. Photo : (c) Bruno Serrou
Toujours sur instruments d’époque, cette fois de la fin
du XIXe siècle, la Symphonie
n° 1 de Gustav Mahler interprétée par le Jeune Orchestre Atlantique (JOA), qui
réside en l’abbaye et travaille avec des chefs de renom, particulièrement
Philippe Herreweghe, mais aussi Joos van Immerseel, Christophe Coin, Hervé
Niquet, Marc Minkowski, David Stern, Louis Langrée et Jérémie Rohrer entre
autres. Les jeunes musiciens, qui viennent des quatre coins du monde, ont
répondu avec fougue à défaut de nuances à la direction vigoureuse Philippe
Herreweghe. Réunis dans le cadre de six à huit stages par an répartis sur une
centaine de jours, avec le soutien de la Formation professionnelle de la Région
Poitou-Charentes et avec le soutien de l’Université de Poitiers, où ils sont
étudiants en Master Musique, ces musiciens en cycles de perfectionnements sont
si épris de musique qu’ils assistent assidûment à tous les concerts du
festival. C’est ainsi que, mon oreille journalistique furetant la moindre
conversation, j’ai pu surprendre quelques mots de la voisine de pupitre, Salomé
Rateau, du premier violon solo du JOA, Alexander Janiczek, qui, durant la
répétition générale, racontait-elle, avait cassé la chanterelle de son fabuleux
Guarnerius del Gesù. Il avait alors emprunté le violon de sa partenaire et lui
avait confié le soin de changer la corde de son inestimable instrument.
« Il était si content, disait-elle à une amie avant le début du concert de
la mi-journée, qu’il m’a dit que si cela recommençait durant le concert du soir,
il me confierait de nouveau son Guarnerius pour en changer la chanterelle et
que je pourrais le jouer jusqu’à la fin du mouvement. Ce serait extraordinaire,
n’est-ce pas ? » Et, la chance souriant à la téméraire, c’est
précisément ce qui est arrivé aux deux-tiers du mouvement initial. L’on vit alors
le visage de la jeune femme s’épanouir, tandis qu’elle installait le corps de
la perle des violons sur son épaule et posait avec délicatesse pour la première
fois son archet sur la gracile corde de mi… L’acoustique assez sèche de
l’abbatiale n’a pas brouillé la polyphonie dense et serrée de l’écriture
mahlérienne, si bien que l’on regrette qu’Herreweghe ait marqué une longue pause
entre les deux derniers mouvements, ce qui a annihilé le violent contraste
voulu à cet endroit par le compositeur, qui entendait ménager un impressionnant
effet de surprise chez l’auditeur.
Festival de Sainte 2013, Auditorium de l'Abbaye-aux-Dames. Natacha Bartosek (à gauche) et l'Ensemble de jeunes voix Aposiopée. Photo : (c) Bruno Serrou
L’Ensemble Sequenza 9.3 de Catherine Simonpietri a déçu
malgré un programme bien construit dans le répertoire vocal contemporain,
brillant dans O Sacrum Convivium d'Olivier
Messiaen et le Stabat Mater de
Krzysztof Penderecki, et frustrant dans le Sanctus
de Thierry Escaich et surtout l’admirable Nuits
d'Iannis Xenakis. Remarquable travail en revanche de Natacha Bartosek avec son Ensemble
de jeunes voix Aposiopée dans de délectables chants moraves de Leoš Janáček, d'une tenue et d'une fraîcheur exemplaires.
Un grand moment d’extase pure attendait le public
dimanche, le programme monographique consacré au compositeur Renaissance Claude
Lejeune (v.1530-1600), qui fut le protégé de Guillaume d’Orange et du duc d’Anjou,
somptueusement conçu et exécuté par Paul van Nevel et son Huelgas Ensemble.
Fidèles du Festival de Saintes, le chef musicologue belge et les douze membres,
chanteuses et chanteurs, de l’ensemble sont trop rares en France et leur
extraordinaire talent qui n’a d’égale que l’homogénéité remarquable de leurs
voix et leur musicalité exceptionnelle associé à un sens de la polyphonie la
plus alambiquée d’une exigence et d’une perfection sans pareils, ont donné de
cette musique d’une expressivité et d’une richesse ahurissantes des
interprétations au cordeau d’une intelligence et d’une subtilité hors du
commun. Pour interpréter cette musique du temps et de l’espace, les chanteurs
et leur chef, placés sur une estrade implantée au milieu du public, ont joué de
la spatialisation, changeant autant dispositif et effectif, de cinq à douze
voix (sopranos, mezzo-sopranos, contre-ténors, ténors, barytons, basses par
deux), et alternant styles, modes d’élocution et langues (du latin au vieux
français en passant par l’Italien), mêlant en un savant dosage liturgie, spiritualité,
naturalisme, sentiments (amour, béatitude, extase, langueur, nostalgie, supplique,
douleur) avec un naturel confondant, ne brusquant jamais l’audition tout en
contrastant couleurs et expressions.
Saintes, Abbaye-aux-Dames. Photo : (c) Bruno Serrou
Les voix lumineuses des femmes ont enluminé les voûtes de l'abbaye, rehaussées par les harmoniques des voix masculines, des contre-ténors aux basses,
et les treize chansons et psaumes polyphoniques a capella d'une
extrême difficulté d’exécution et à l’écriture souvent en canon où la mort est
omniprésente, souhaitée, attendue ou subie mais toujours ressentie comme une
libération, des interprétations bouleversantes de vérité. Une seule
et infime réserve, la chanson Quando
li gallo chiama la gallina (Lorsque
le coq appelle la poule) que l’on eut aimée plus vive et spontanée, à l’instar
de ce que font dans cette même page Dominique Visse et son Ensemble Clément
Janequin.
Bruno Serrou
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