lundi 7 mai 2012

A Toulouse, Christophe Rousset et Laura Scozzi pour des Indes galantes de Rameau prétextes à un tour d'horizon des sociétés d’aujourd’hui


Toulouse, Théâtre du Capitole, vendredi 4 mai 2012
 Prologue : Hélène Guilmette (Hébé) 
Deuxième des vingt-sept ouvrages lyriques de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), premier de ses six opéras-ballets dont il constitue un archétype, créé le 23 août 1735 à l’Académie Royale de Musique et de Danse du Palais Royal, les Indes galantes est aussi l’une des œuvres les plus célèbres du compositeur.

Conformément au genre opéra-ballet, cet ouvrage est non pas constitué en actes mais en entrées, quatre dans la version définitive de 1736, précédées d’un prologue. Les Indes de Rameau, qui se fonde ici sur un livret de Louis Fuzelier (1672-1752), se situent partout sauf en Indes. Les Indes du siècle des Lumières sont en effet un no man’s land de pays exotiques, ici Turquie, Pérou, Perse et Amérique du Nord, des Une Amérique habitée il est vrai par ce que Christophe Colomb et ses premiers successeurs ont cru être des Indiens des Indes… Allégorique, l’intrigue ténue de ces farces sert surtout de prétexte à un « grand spectacle » où les costumes somptueux, les décors, les machineries, et surtout la danse tiennent une place centrale, ces Indes galantes symbolisant l’époque insouciante des plaisirs raffinés et de la galanterie de la cour de Louis XV. Après un prologue où Hébé, déesse de la jeunesse, exhorte les jeunes européens à jouir des bienfaits de l’Amour en se répandant autour du globe terrestre, chaque entrée conte une histoire complète autour d’amours exotiques ayant pour cadre de lointaines contrées. 
 Première entrée, le Turc généreux : Judith van Wanroij (Emilie), Vittorio Prato (Osman)
Au Capitole de Toulouse, qui n’en avait jamais vu autant dans la prise de risque et la distanciation par rapport au texte, Laura Scozzi, qui signe à la fois la mise en scène et la chorégraphie, a actualisé avec hardiesse mais avec conviction le propos de l’ouvrage de Rameau, en situant les actions dans le monde contemporain qui en prend pour son grade.

Réflexion sur la société contemporaine

La jeunesse, à laquelle la metteur en scène donne mission d’incarner l’humanité, une humanité replacée dans le prologue dans le cadre du paradis originel, trahit Hébé, divinité des plaisirs, pour rallier Bellone, déesse de la Guerre, en dépit des avertissements d’Amour. Trois Amours vont parcourir le monde pour tenter de rétablir le juste équilibre entre les éléments.

Les Indes de Rameau deviennent le socle d’une réflexion sur l’exotisme et les sociétés contemporaines du monde et des cultures, la condition de la femme, les trafics humains et de drogue, les nuisances de l’homme sur la nature, la spoliation de territoires et de l’identité des autochtones par des investisseurs étrangers, etc. Dans de beaux décors de Natacha Le Guen de Kerneizon,qui situent avec intelligence chaque partie de l’œuvre, l’action est impeccablement campée. L’on se réjouit ainsi de la bucolique nymphée du prologue où badinent une dizaine de couples de danseurs nus avec un bonheur réjouissant devant un mur végétal de grande beauté, jusqu’à ce qu’un cortège de pèlerins précédés du pape et de cardinaux polluent le paradis en se bâfrant de chips et de sodas qu’ils jettent sur le parterre de verdure sans le moindre égard.

La première entrée, le Turc généreux, se déroule sur une plage envahie par les touristes où Osman, qui retient Emilie prisonnière, se plaît à faire la planche dans un trou d’eau de mer. 
 Deuxième entrée, les Incas du Pérou : Hélène Guilmette (Phani), Nathan Berg (Huascar)
La deuxième entrée, les Incas du Pérou, se situe dans une vallée des environs du Machu Picchu dans le camp du narcotrafiquant Huascar qui exploite les Indiens et retient Phani prisonnière, jusqu’à ce que l’armée, venue par hélicoptère, s’en empare. Mais il se jette dans les flammes de l’incendie de son laboratoire. 
 Troisième entrée, les Fleurs : Kenneth Tarver (Tacmas), Hélène Guilmette (Fatime)
La troisième entrée, les Fleurs, a pour cadre le désert iranien. A l’issue de la prière, les hommes jettent au visage et aux pieds d’une lavandière les tapis que cette dernière place sans égard dans une lessiveuse avant de les faire sécher sur des fils téléphoniques, tandis que Fatime, déguisée en homme, observe son maître Tacmas et rencontre sa rivale Atalide. La scène est soudain envahie par des hommes en costumes-cravates et lunettes noires qui font sèchement descendre d’une remorque pour chevaux des dizaines de femmes-fleurs en sous-vêtements qu’ils habillent peu à peu au cours d’un défilé de mode en poupée Barbie avant de les couvrir de niqabs – une entrée qui, si quelque intégriste venait à franchir le seuil du Capitole de Toulouse, pourrait valoir de sérieux ennuis aux responsables du théâtre.

Enfin, les Sauvages se déroule bel et bien aux Etats-Unis, mais non pas dans une tribu d’Amérindiens mais au beau milieu d’un parc national de séquoias que défendent Adario et ses hommes. Un parc naturel rapidement altéré par des bûcherons et des ouvriers du bâtiment chargés par Damon et Alvar - qui disputent à Adario la belle Zima - de construire hôtels et bungalows pour estivants tandis que les séquoias multiséculaires sont abattus au profit d’immenses panneaux publicitaires ventant les mérites de ce lieu de villégiature. Suit un court final qui ramène les Amours et les humains dans l'Eden du Prologue. 
 Quatrième entrée, les Sauvages : Aimery Lefèvre (Alvar), Julia Novikova (Zima), Thomas Dolié (Adario)
Superbe Hélène Guilmette

Ces options dramaturgiques fort bien venues sont remarquablement servies par une direction d’acteur particulièrement efficace, où l’humour n’est jamais graveleux, tandis que les ballets ne réfrènent nullement l’action. Ce qui fait d’autant plus regretter le manque d’homogénéité vocale de la distribution, dominée par les femmes sous la houlette de l’ardente et fort séduisante Hélène Guilmette (Hébé, Fatime et Phani), qui s’est déjà imposée cette année dans Amadis des Gaules de Jean-Chrétien Bach en janvier à Favart et dans Orphée et Eurydice de Gluck en mars à l’Opéra de Nantes. Julia Novikova (Amour, Roxane, Zima) est toute de charme et d’éclat, Judith van Wanroij (Emilie, Atalide), est pleine d’allant. Kenneth Tarver (Valère, Tacmas) et, surtout, Nathan Berg (Huascar) déçoivent, ainsi que - mais à un moindre degré - Vittorio Prato (Osman), Cyril Auvity (Damon, Carlos) et Thomas Dolié (Adario). Il convient aussi (et surtout) de saluer les trois Amours qui parcourent gaiment le monde, campés par d’inénarrables mimes-danseuses, Daphné Mauger, Juliette Nicolotto et Laetitia Viallet. Endurants et justes, le Chœur du Capitole et l’orchestre Les Talens Lyriques participent à la réussite générale de ce réjouissant spectacle, malgré la direction atone de Christophe Rousset que l’on attendait plus engagé et étincelant dans cette musique flamboyante et onirique.
Bruno Serrou
Photos : (c) Patrice Nin / Théâtre du Capitole de Toulouse

1 commentaire:

  1. Quelle chance d'assister à de telles représentations !
    Rameau c'est la "French Touch" à son sommet.
    J'ai la suite pour orchestre "Hippolyte et Aricie" par La Petite Bande de Sigiswald Kuijken. Je me lasse pas d'écouter la Ritournelle du 3e Acte. Quelle grâce, quelle légèreté. Comment peut on, en France, lui préférer Vivaldi?

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