mardi 15 mai 2012

A Dijon, dans la lune de Jacques Prévert, Brice Pauset en oublie son propre opéra

Dijon, Opéra Grand Théâtre, lundi 14 mai 2012


Brice Pauset, qui fait partie de ces rares compositeurs à avoir la chance de bénéficier d’une longue résidence de cinq ans dans un théâtre lyrique que lui a offert la jeune équipe de l’Opéra de Dijon,  a-t-il voulu faire son retour en enfance ? Tout le laisserait supposer à l’écoute de son dernier opus à ce jour, sa nouvelle œuvre scénique L’Opéra de la Lune d’après Jacques Prévert (1900-1977). L’esprit de la jeunesse y est en effet tout inclus, même si l’œuvre n’en a finalement ni la spontanéité ni l’élan. A 47 ans, le compositeur bisontin apparaît trop altier et sa conception de la musique trop affectée pour s’emparer d’un sujet aussi délicieusement onirique et d’esprit aussi généreusement populaire que L’Opéra de la lune du grand poète-scénariste français gourmet du verbe, aux jeux de mots-jeux de son, calembours, néologismes et lapsus merveilleusement insolites. Prévert est l’un des poètes les plus aimés des Français, qui en étudient la création dès les premières classes de l’école, du coup, son univers enfantin ne s’adresse pas aux seules petites têtes blondes, mais aussi à leurs aînés, qu’ils soient parents ou pas. Politiquement engagé, longtemps proche du Parti communiste français, membre du mouvement surréaliste quoique profondément individualiste, Prévert adorait la musique. Ce qui motivera sans doute en partie sa rupture avec André Breton. Ses goûts étaient éclectiques, puisqu’ils allaient de Haendel à Berg en passant par Vivaldi, Bizet, Satie, Stravinski, et que Carl Orff, dont il ignorait sans doute l’adhésion au national-socialisme, comptait parmi ses amis.


Captivé par Les Etats et Empires de la lune de Cyrano de Bergerac, Jacques Prévert a, à trois siècles de distance, composé son propre tribut surréaliste à l’unique satellite de la terre. « Il y avait une autre fois un petit garçon qui souriait très souvent, la nuit, en dormant. C’était une autre fois mais c’était le même petit garçon. On l’appelait Michel Morin, le Petit garçon de la lune, parce que, lorsqu’il y avait la lune, il était content. – Je la connais, disait-il, on est amis tous les deux et même quand elle ne vient pas le soir, je n’ai qu’à fermer les yeux et je la vois dans le noir de la nuit. Elle est toujours là pour moi et quand je dors, j’ouvre tout grand les yeux en dormant et je me promène avec elle et elle me montre des choses très belles dans mon sommeil… » L’Opéra de la Lune de Prévert a été publié en 1953. Si le texte peut parfois sembler naïf, l’histoire du jeune Morin, qui n’a jamais connu ses parents et vit chez des gens qui ne sont ni bons ni méchants mais ont autre chose à faire et n’ont pas le temps, est toujours d’actualité, tant par sa poésie que par son propos. Un conte politico-féerique où le jeune lecteur peut s’identifier à Michel Morin, enfant fuyant l’indifférence des Terriens pour s’inventer un monde plus beau, à l’image de son Opéra toujours plein, sans strapontins ni grand lustre, simplement « éclairé par des petits astres ».

A l’issue de la création vue hier à Dijon, on se retrouve dans la position du personnage central de l’œuvre, dubitatif : « - Et qu'est-ce que tu as vu encore ? - L'Opéra - L'Opéra de Paris ? - Bien sûr que non, en voilà une question ! - Quel Opéra alors ? »


L’ouvrage de Pauset est-il en effet un opéra ? Le rôle le plus développé, tenu par un comédien mi-clown-mi jongleur, ne s’exprime que par la parole. Il partage le personnage de l’Enfant avec l’agile ténor Jérôme Billy découvert en janvier aux Bouffes du Nord dans la production d’André Engel de Kátia Kabanová de Janáček. Deux personnages allégoriques, une Femme (la soprano brésilienne au timbre manquant de carnation Luanda Siqueira) et un Homme (le flexible baryton français Vincent Deliau) errent en chantant le poème An den Mond (A la lune) de Goethe dans les mises en musique de Schubert (D. 259, 296  et 468), Zelter, Himmel (op. 29/1) et Reichardt tous orchestrés par Pauset qui matérialisent des réminiscences du temps passé à la nostalgie toute enfantine, tandis que les Kinderszenen de Robert Schumann servent d’articulation à une partition gorgée d’objets trouvés, jusques et y compris quelques mesures du finale du Crépuscule des dieux de Wagner, la Marseillaise, qui apparaît à deux reprises, une fois à l’orchestre la seconde au chœur, et la chanson populaire Au clair de la lune dont le compositeur inverse note à note la mélodie, tandis que le livret emprunte à Goethe, Hölty, Engels et Marx. Avec tout cela, il reste peu de place à une musique propre à Pauset que l’on sait fort cultivé et savant tant l’on apprend à son contact, et qui, de ce fait, n’avait pas besoin d’insister sur ce point. Quelques accords dans la fosse de percussion et de bois situent l’opéra dans son siècle, sombres, inquiets, menaçants, que l’on eut préférés joués par un orchestre plus homogène et moins acide, en un mot plus aguerri que l’Orchestre Dijon Bourgogne, attentif à répondre aux sollicitations du compositeur, qui le dirigeait dans la fosse du Grand-Théâtre de Dijon. 

La mise en scène de Damien Caille-Perret, par ailleurs marionnettiste, réussit la gageure d’intéresser autant les enfants que les adultes en proposant une lecture à plusieurs niveaux. Son univers, féerique et rêveur, s’adresse en effet à tous les publics, et la scénographie de Céline Perrichon, faite d’une multitude d’objets trouvés plus ou moins identifiables d’autres se référant directement aux figurines Playmobil, est d’un onirisme joyeux. Mais cette féerie n’empêche pas les tunnels suscités par les longs monologues du comédien-récitant Gilles Ostrowski, au jeu trop appuyé.

Bruno Serrou

Photos : Gilles Abegg/Opéra de Dijon



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