Pour la deuxième édition de son
Festival Mozart inauguré l’an dernier avec Idomneo,
le Théâtre des Champs-Elysées reprend sa production de Così fan tutte de 2008. Dernier
volet de la trilogie Mozart/Da Ponte, après le
Nozze di Figaro (1786) et Don
Giovanni (1787), Cosi fan tutte (1790) est sans doute le plus
complexe à réaliser, en raison de son intrigue, de son tour somme toute
scabreux - ce qui lui valut notamment les diatribes de Beethoven et de Wagner -
de son intrigue un peu longuette (trois heures d’horloge pour démontrer sur un
même thème la volatilité du cœur des femmes qui, en fait, n’a rien à envier à
celui des hommes, plus vicieux !), et de la modestie de son action - trois
femmes, quatre hommes jouant à se tromper les uns les autres pour une
spéculation élémentaire sur la constance amoureuse. Il est vrai qu’il s’y mêle aussi
érotisme et philosophie des Lumières, ce qui n’est pas sans piment.
Ce qu’offre en ce moment le
Théâtre des Champs-Elysées est davantage qu’une reprise, une véritable métamorphose.
En effet, passer de la direction négligée, laborieuse, gesticulante jusqu’à la
nausée de Jean-Christophe Spinosi voilà trois ans et demi, à celle lumineuse,
réfléchie, authentique de Jérémie Rohrer aujourd’hui, c’est basculer dans un univers
diamétralement opposé, celui-là même de Mozart. A la sécheresse des cordes, à
la justesse aléatoire des instruments à vent, aux couleurs rêches et au manque
de concentration de l’Ensemble Mattheus répondent les belles sonorités toutes
de suave sensualité et de clairs-obscurs du Cercle de l’Harmonie, au point que
l’on oublie une virtuosité pas toujours adaptée à l’écriture scintillante de
Mozart (les bois étaient hier un peu à la peine, notamment dans l’ouverture,
tandis que le cor solo n’était pas très sûr dans le second acte), mais qui
répond sans sourciller à la conception de leur chef qui s’avère irréprochable.
La mise en scène d’Eric Génovèse,
sociétaire de la Comédie Française, est dans la ligne du théâtre de Molière,
sobre et fidèle au texte, mue par une excellente direction d’acteurs. Certains peuvent
déplorer que la cruelle ambiguïté de l’argument, qui joue de la vanité des
hommes et de l’inconstance des femmes, soit davantage suggérée que soulignée… D’autres
peuvent relever une mise en scène traditionnelle, formaliste, peu imaginative,
trop littérale… « L’absence de tradition joue actuellement en faveur du
répertoire baroque, me disait Eric Génovèse que j’interrogeais voilà une
dizaine de jours pour le quotidien La
Croix. Il est donc plus facile pour un metteur en scène de l’aborder
l’esprit vierge. En revanche, il est des répertoires plus casse coup, et c’est
là que j’ai commencé, avec ce Così pour premier opéra
à Paris. Tout le monde fantasme sur cette joute amoureuse : il y a ceux
qui pensent que c’est une farce, ceux qui y voient une tragédie, beaucoup y
perçoivent un cynique libertinage, certains le jugent misogyne, d’autres s’en
scandalisent… L’intrigue, pleine de conventions mais théâtralement efficace,
n’a rien de logique. Je me suis donc trouvé d’emblée en terrain miné. »
Beaucoup en effet s’y sont cassés les dents, même Patrice Chéreau, en 2005… Pourquoi
alors ne pas se laisser convaincre par la conception de Génovèse qui, conscient
de la force extraordinaire de la musique, a choisi de s’incliner sobrement devant
elle mais sans pour autant s’effacer et de laisser Mozart exprimer l’infinie
palette des états d’âme et du sentiment amoureux. La scénographie de Jacques
Gabel, pour les décors (manœuvrés à vue par des techniciens vêtus de costumes XVIIIe
siècle et les oreilles recouvertes de casques d’écoute) évoluant entre jardin dominé
par un grand arbre penché et boudoir avec sofa et miroir, et Luisa Spinatelli
pour les beaux costumes sont harmonieusement éclairés par les lumières pastel
d’Olivier Tessier.
Constituée de jeunes chanteurs à
la réputation déjà internationale, la distribution est elle aussi plus convaincante
et homogène qu’en 2008. En effet, pleine de panache, vaillante, extrêmement séduisante,
aussi brillante que l’orchestre, la nouvelle équipe déploie une vitalité et une
fantaisie des plus communicatives. Fraîche et spontanée, la soprano suédoise
Camilla Tilling, Fiordiligi toute en délicatesse et en émotion, se joue avec grâce
et agilité des vocalises des magnifiques arie
que lui a réservées Mozart. Les deux mezzo-sopranos sont plus convaincantes
encore. Michèle Losier campe une Dorabella à la voix de velours et au style délicieux
qui s’accordent merveilleusement au timbre de sa sœur, tandis que Claire Debono, véritable
trublion au corps incroyablement flexible, est une Despina brillante, avenante
manipulatrice. Les deux frères sont plus inégaux. Le baryton autrichien Markus
Werba est un fringuant Guglielmo, mais sa voix puissante est peu nuancée. Le
ténor suisse Bernard Richter chante trop en force dans le haut du spectre et sa
voix ne convainc pas en Ferrando. Misogyne revenu de tout mais indulgent envers
les jeunes tourtereaux à qui il entend apprendre la vie, le baryton italien
Pietro Spagnoli, seul rescapé de la distribution de 2008, campe un Don Alfonso plus
convainquant qu’alors, à la fois désenchanté et compatissant.
Bruno Serrou
Photos : DR (C) Théâtre des Champs-Elysées
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire