Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. Lundi 4 novembre 2024
Passionnant concert des lauréats du XVIe Concours International de Piano d’Orléans pour les trente ans au Théâtre des Bouffes du Nord avec l’Ensemble Intercontemporain dirigé par Léo Margue qui aura participé à la création du tonique Je suis Orage pour trois pianistes (Svetlana Andreeva, Winston Choi, Imri Talgam) et quatorze instrumentistes de Bastien David. Les trois premiers Prix ont ouvert la soirée en solistes, la vainqueur, l’Ukrainienne Svetlana Andreeva, avec une ardente Shéhérazade de Karol Szymanowski (Masques) et un brillant Noël d’Olivier Messiaen (Vingt Regards), le Deuxième Prix, Leo Gevisser, D’ombre et de silence d’Henri Dutilleux (Préludes), 90+ d’Elliott Carter et In the Kraton de Leopold Godowsky (Java Suite), et Misora Ozaki (Troisième Prix) dans Une page d’éphéméride de Pierre Boulez et la Toccata des Études pour piano d’Unsuk Chin brillamment interprétées
Fondé en 1994 par la pianiste Françoise
Thinat, le Concours International de Piano d’Orléans a pour particularité d’être
le seul qui soit consacré au répertoire pianistique courant de la première
année du XXe siècle à nos jours, avec à chacune de ses éditions la
création d’une œuvre nouvelle à un compositeur de renom d’Eric Tanguy en 2000 à
Philippe Manoury en 2022 en passant par Patrick Burgan, Thierry
Escaich, Pierre Jodlowski, Edith Canat de Chizy, Philippe Hurel, Jacques Lenot,
Jérôme Combier, Philippe Hersant, Hèctor Parra et Pascal Dusapin. Parmi les
lauréats, Toros Can (1998), Wilhem Latchoumia (2006), Aline Piboule (2014),
Mikhaïl Bouzine (2020), Lorenzo Soulès (2022)… Depuis 2006, s’est ajouté un
concours junior, Brin d’herbe, qui alterne depuis lors avec le concours pour pianistes virtuoses qui est de ce fait devenu biennal. En 2015, la fondatrice a passé le relais à Isabella Vasilotta qui en devient alors la directrice artistique tandis que le
pianiste musicologue Eric Denut est nommé président en 2017. Outre les prix
monétisés, le concours offre aux lauréats un accompagnement dans leurs parcours
professionnels pendant deux ans avec pour le vainqueur l’enregistrement d’un disque,
une tournée en région, concerts, conférences et événements internationaux
autour du piano, ainsi que des mises en relation avec des compositeurs et des
acteurs de la musique contemporaine.
Unique en son genre, ce concours qui
aura attiré en 2024 plus d’une quarantaine de candidats venus du monde entier, est
l’un des plus originaux et audacieux qui se puissent trouver aujourd’hui dans
le monde. Cette année, le jury présidé par Wilhem Latchoumia a couronné des
lauréats originaires de trois continents, l’Afrique, l’Asie et l’Europe. La
vainqueur est une ukrainienne de 35 ans, Svetlana Andreeva, qui s’est imposée
dans la finale à Orléans dans le redoutable Vortex
Temporum I de Gérard Grisey (1946-1998), le mouvement initial de la Sonate de Paul Dukas (1865-1935) et l’œuvre
mixte pour piano et bande …sofferte onde
serene… de Luigi Nono (1924-1990). Pour le concert des lauréats, elle a
donné hier soir Shéhérazade (1916) extraite
des Masques op. 34 de Karol
Szymanowski (1882-1937) et Noël,
treizième des Vingt Regards sur l’Enfant
Jésus (1944) d’Olivier Messiaen (1908-1992). Deuxième Prix du Concours, le
Sud-Africain Leo Gevisser (né en 2003), également compositeur, a donné le
premier des Trois Préludes d’Henri
Dutilleux (1916-2013), D’ombre et de
silence (1973) et le dixième volet de Java
Suite, In the Kraton (1924-1925)
de Leopold Godowsky (1870-1938), intercalant entre ces deux pièces le célèbre 90+ qu’Elliott Carter (1908-2012) composa
en 1994 pour les 90 ans de son confrère italien Goffredo Petrassi (1904-2003) autour
de quatre vingt dix notes courtes et accentuées jouées sur un rythme lent
changeant continuellement de caractère. Mais c’est la Troisième Prix, la
Japonaise Misora Ozaki (née en 1996), qui a ouvert la soirée avec deux œuvres
particulièrement complexes qu’elle a fait sonner dans leur plénitude, Une page d’éphéméride pour piano (2005), ultime page achevée de Pierre
Boulez (1925-2016), et la véloce Toccata
(2003), cinquième des Etudes pour piano d’Unsuk
Chin (née en 1961).
Après un long intervalle dû à la répartition sur le plateau des effectifs instrumentaux et à leur installation, Svetlana Andreeva a été rejointe en seconde partie par deux membres du jury du concours 2024, eux-mêmes anciens lauréats de l’épreuve, le Canadien Winston Choi (lauréat 2002) et l’Israélien Imri Talgam (lauréat 2014) pour une œuvre pour piano à six mains, deux percussionnistes et ensemble de douze instruments, commande du Concours d’Orléans 2024 donnée en création mondiale dans le cadre de ce concert, Je suis Orage de Bastien David (né en 1990), élève de Bernard Cavanna et de José Manuel Lopez Lopez au Conservatoire de Gennevilliers et de Gérard Pesson au Conservatoire de Paris (CNSMDP).
Une œuvre
remarquablement structurée, créative, virevoltante, mue par une pulsion vivifiante,
un groove éloquent et des sonorités flatteuses, avec un piano fort fréquenté,
puisque outre les six mains de trois pianistes courant sur le clavier, deux
percussionnistes jouent dans le coffre du grand Yamaha, faisant résonner les
cordes frottées, pincées, frappées par doigts, paumes et maillets mais aussi
soufflées par la bouche dans des tuyaux souples, tandis que l’instrumentarium s’avère particulièrement
choisi et expressif (flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette,
trombone, harpe, quatuor de cordes avec contrebasse par un).
Bruno Serrou
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