lundi 21 octobre 2024

Court mais fastueux concert du Lucerne Festival Orchestra dirigé par son « patron » Riccardo Chailly et en soliste le raffiné violoniste Daniel Lozakovich

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Vendredi 18 octobre 2024

Lucerne Festival Orchdestra, Riccardo Chailly, Daniel Lozakovich. Photo : (c) Bruno Serrou

Virtuose et charnel Lucerne Festival Orchestra en communion totale à la Philharmonie de Paris avec son directeur musical Riccardo Chailly, successeur de son compatriote Claudio Abbado, refondateur de la phalange lacustre en 2003. Une formation éblouissante dont tous les pupitres sont des solistes aimant à se produire ensemble. Ce soir, dialoguant avec tact avec Daniel Lozakovich au son chaud et plein et au nuancier infini, mais concevant de façon trop lente le Concerto pour violon de Jean Sibelius suivi d’un long et somptueux bis, la Ballade de la Sonate op.27/3 d’Eugène Ysaÿe… Perfection absolue des Danses symphoniques de Serge Rachmaninov. En bis l’orchestre a donné un Scherzo de jeunesse de Rachmaninov

Riccardo Chailly, Lucerne Festival Orchestra
Photo : (c) Patrick Hürlimann/Lucerne Festival et Charles d'Herouville/Philharmonie de Paris

C’est avec le Lucerne Festival Orchestra dont il est directeur musical depuis 2016 parallèlement au Teatro alla Scala de Milan et son orchestre depuis 2017, que Riccardo Chailly s’est produit vendredi à la Philharmonie de Paris, dans un court programme heureusement prolongé par un bis à la fin de chacune des eux parties. Le Lucerne Festival Orchestra est l’un des derniers orchestres que Claudio Abbado a fondés (ou refondé, pour être plus précis dans le cas qui nous occupe) en 2003, sur la base de musiciens du Mahler Chamber Orchestra rejoints par des solistes prestigieux et des membres d’illustres phalanges européennes (Philharmonique de Berlin, de Vienne, etc.). A la mort du chef milanais, c’est son jeune et brillant confrère letton Andris Nelsons, directeur musical du Boston Symphony Orchestra, qui a assuré l’intérim pendant deux ans, entre la mort de Claudio Abbado le 20 janvier 2014 et l’arrivée d’un autre chef milanais, Riccardo Chailly. Cette fois, c’est avec le violoniste suédois de 23 ans, Daniel Lozakovich et son Stradivarius « ex-Sancy » de 1713 que lui prête la Fondation LVMH que la somptueuse phalange lacustre s’est produite à Paris.

Daniel Lozakovich, Lucene Festival Orchestra
Photo : (c) Patrick Hürlimann/Lucerne Festival et Charles d'Herouville/Philharmonie de Paris

Plus encore que son cursus de sept symphonies, Jean Sibelius (1865-1957) est universellement célébré pour son unique partition concertante, œuvre emblématique du fondateur de la musique finlandaise. L’intemporel Concerto pour violon et orchestre Op. 47 est en effet la plus courue des œuvres du genre du XXe siècle notamment en France, où elle mit du temps à s’imposer, au point d’effacer le déchirant Concerto « à la mémoire d’un ange » (1935) d’Alban Berg (1885-1935). C’est la version définitive de cette œuvre composée en 1903-1904 et révisée en 1905, version créée à Berlin par Karel Halir sous la direction de Richard Strauss à la tête de son orchestre de l’Opéra d’Etat de Berlin dont il était le directeur général depuis 1898, qui a naturellement été retenue. Le violoniste suédois Daniel Lozakovich s’y est avéré lumineuse et poétique, donnant de ce chef-d’œuvre du répertoire violonistique une interprétation plus chantante que dramatique, d’une grâce et d’une fraîcheur singulière en regard des lectures vertigineuses, saisissante par leur tension hallucinante, ce qui n’a pas empêché cette conception plus intériorisée d’atteindre une densité et une maîtrise sonore et technique stupéfiantes, dialoguant avec un orchestre rutilant de nuances et de couleurs. Violoniste remarquable d’aisance et d’expressivité, musicien à la technique infaillible au service d'une ardente musicalité, imposant un plaisir des sons de chaque instant, riche d’un nuancier infini - magistrales transitions entre fortissimo/forte/piano/pianissimo -, l’artiste suédois a suscité un silence quasi mystique au public, qui en a eu carrément le souffle coupé par ce qu’il entendait et voyait. Authentique compagnon de route dans ce dialogue fusionnel avec la violoniste, Riccardo Chailly lui a façonné un partenariat orchestral somptueux au tissu onctueux. Les quatre cors ont été éblouissants d’évocation et de carnation, donnant une incroyable profondeur de champs au chant du violon. Concentré et particulièrement à l'écoute de Daniel Lozakovich, l’Orchestre du Festival de Lucerne dans ses propres soli et tutti a déployé des plages d’une beauté scintillante et d’une puissance impressionnante. En bis, Lozakovich a donné une impressionnante interprétation de la Sonate pour violon en ré mineur « Ballade » op. 27/3 (1923) qu’Eugène Ysaÿe (1858-1931) a dédiée à son confrère roumain Georges Enescu.

Riccardo Chailly, Lucerne Festival Orchdesra
Photo : (c) Patrick Hürlimann/Lucerne Festival et Charles d'Herouville/Philharmonie de Paris

Les brillantes trente-cinq minutes des Danses symphoniques op. 45 de Serge Rachmaninov (1873-1943) qui occupaient seule la seconde partie de la courte soirée. Créées à Philadelphie début 1941, cette suite de danses est la dernière partition pour orchestre de Serge Rachmaninov. Du premier des trois mouvements, le LFO a exalté l’énergie, les rythmes trépidants, subtilement ponctués par hautbois (Lucas Macias Navarro) et clarinette (Thomas Holzmann) solos qui ont merveilleusement évoqué l’élan pastoral, tandis que le saxophone excellemment tenu par Femke Ijlstra a remarquablement introduit la nostalgie qui imprègne la mélodie que le compositeur lui a réservée. Dans l’Andante, la valse a permis au cor anglais tenu par Miriam Pastor d’exposer la somptueuse plastique de ses sonorités. Ponctué de citations macabres du Dies Irae, qui aura hanté Rachmaninov sa vie entière et qui revient ici sous diverses formes rythmiques et harmoniques auquel fait ici écho un second thème religieux, tiré cette fois de la liturgie orthodoxe, le dernier mouvement a été servi par les musiciens du LFO dans sa diversité sonore et expressive, la formation se libérant totalement de l’ample finale sans jamais saturer l’espace par la puissance d’une orchestration massive amplifiée par une percussion certes tonitruante mais cette fois sans la moindre trace de prosaïsme. En bis, Riccardo Chailly a présenté le Scherzo pour orchestre en ré mineur écrit par un Rachmaninov de quatorze ans, œuvre dansante et vive à l’écriture déjà virtuose, où bois et cordes mènent le bal.

Bruno Serrou

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