Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 13 mai 2024
Alexandre Tharaud dans un programme dans lequel il a excellé ce lundi soir
à la Philharmonie de Paris, qui a fait le plein de public, qui a investi
jusqu’au plateau-même, assis derrière le piano Yamaha sur trois rangs en arc de
cercle, en sus des gradins habituels, le pianiste jouant avec tablette
électronique une sélection subtilement choisie de pages de François Couperin, Claude
Debussy, Erik Satie et Maurice Ravel, finissant sur La Valse de ce dernier dans son propre arrangement
Alexandre Tharaud s’est toujours attaché au répertoire baroque, qu’il intègre souvent à ses programmes de récitals pour piano. Cette fois, c’est avec François Couperin (1668-1733) qu’il a commencé son récital, sélectionnant huit pièces pour clavecin parmi les deux cent vingt tirées des suites des vingt-sept Ordres regroupés en quatre Livres entre 1707 et 1730, qui sont autant de tableaux miniatures. Surtout au piano avec lequel le musicien brosse de délicieuses aquarelles emplies de magies et de couleurs enivrantes (Les Barricades mystérieuses, Les Calotines, Les Roseaux, Le Dodo, Le Carillon de Cythère, La Logivière, Les ombres errantes, Passacaille). Faisant un bon de deux siècles, Tharaud a démontré la pérennité de la musique française, de son aptitude à l’évocation, à la sensualité, à la gourmandise et au plaisir des sons, avec six des douze Préludes du Livre I (1909-1910) de Claude Debussy (1862-1918), Danseuse de Delphes, Le Vent dans la plaine, Des pas sur la neige, La Fille aux cheveux de lin, La Cathédrale engloutie, Ce qu’a vu le vent d’ouest, autant d’évocations d’une densité et d’une chaleur communicatives suscitant un silence monacal de la part du public, littéralement fasciné par le magnétisme de ces évocation et la profonde intimité qui en émane.
Ce ne sera malheureusement pas le cas premières pages d’Erik Satie (1866-1925), un proche de Debussy, avec lesquelles Tharaud a débuté la seconde partie de son récital, quelques spectateurs peu concentrés et d’évidence mal éduqués ne faisant rien pour retenir leurs quintes… de toux, au point de gêner le musicien qui, manifestant légèrement mais clairement son agacement dans les Avant-dernières pensées (1915), finit par « guérir » les maux perturbateurs à l’abord de trois des Six Gnossiennes (1890-1893), plongeant de nouveau la salle comme envoûtée dans un silence studieux dès l’abord de la délicieuse valse Je te veux (1897). En bouquet final, Alexandre Tharaud a offert trois partitions de Maurice Ravel (1875-1937), la première moins célèbre que les deux autres, A la manière d’Emmanuel Chabrier - Paraphrase sur un air de Gounod (1912-1913), moins couru que l’autre pièce du genre commandée elle aussi par le pianiste compositeur Alfredo Casella (1883-1947), A la manière de Borodine, témoignages de reconnaissance envers ses aînés à qui Ravel convient devoir beaucoup pour leur avoir fait nombre d’emprunts, et dont Alexandre Tharaud a offert le charme et l’humour de ce pastiche de la romance de Siébel du deuxième acte du Faust de Charles Gounod. De la Pavane pour une infante défunte, Tharaud a tiré toute la saveur nuancée de la riche palette de couleurs de l’écriture pianistique de Ravel qui appelle indubitablement l’orchestre, avant de plonger dans sa propre version de la tellurique Valse (1919-1920) imprégnée des traumatismes de la Première Guerre mondiale et de l’effondrement des sociétés européennes du XIXe siècle. Ce qu’en a réalisé le pianiste rend cette œuvre dantesque moins terrifiante que l’original réalisé par le compositeur comme version préparatoire à celle pour deux pianos ainsi que pour le poème chorégraphique pour orchestre, rendant la partition plus limpide, polie et « exécutable », mais aussi moins vertigineuse et fébrile. Au total un récital qui s’est avéré être un vrai festin pour l’esprit, tant Alexandre Tharaud a joué avec dextérité de l’art raffiné de la nuance.
En prime, le pianiste a offert trois bis, la Sicilienne de la Sonate pour flûte traversière et clavecin en mi bémol majeur BWV 1031 de Johann Sebastian Bach (1685-1750) dans sa propre transcription, et, cédant à la vogue du « tout égale tout » tout en rebondissant sur l’actualité olympique et ses batailles stylistiques, une improvisation sur Padam Padam (1951) d’Edith Piaf et Norbert Granzberg et le thème du film Les Choses de la vie (1970) de Claude Sautet réalisée par Philippe Sarde…
Bruno Serrou
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