dimanche 5 mai 2024

Epique Die Walküre de Richard Wagner par le Rotterdams Philharmonisch Orkest embrasé par Yannick Nézet-Séguin et une distribution remarquable

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Samedi 4 mai 2024 

Richard Wagner, Die Walküre. Solistes et Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Photo : (c) Bruno Serrou

Saisissante Die Walküre (La Walkyrie) de Richard Wagner samedi soir au Théâtre des Champs-Elysées par un Rotterdams Philharmonisch Orkest (Orchestre Philharmonique de Rotterdam) effervescent dirigé au cordeau par un Yannick Nézet-Séguin souverain à la tête d’une distribution de très grande classe. 

Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre. Yannick Nézet-Séguin, Orchestre Philharmonique de Rotterdam. Photo : (c) Jean-Philippe Raibaud

Volet le plus populaire du Ring des Nibelungen de Richard Wagner, Die Walküre présentée samedi au Théâtre des Champs-Elysées a été un pur moment de grâce. Avec un orchestre de feu, une distribution flamboyante, une direction tendue comme un arc, nuancée et d’une profonde humanité, tout était dit à travers la partition, chacun des éléments constitutifs à cette représentation s’étant engagé dans l’œuvre si intensément qu’une mise en scène eût parue incongrue, au pire antinomique au mieux redondante. Largement de quoi satisfaire wagnériens, wagnérophiles et wagnérilâtres de toutes obédiences, qui ont eu tout leur content de musique et de suggestion pour combler leurs attentes sans contresens ni incongruités.

 

Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre. Stanislas de Barbeyrac (Sigmund), Elza van den Heever (Sieglinde), Tamara Wilson (Brünnhilde). Photos : (c) Bruno Serrou

Il convient donc de commencer, une fois n’est pas coutume pour un ouvrage lyrique, par célébrer l’orchestre néerlandais et le chef québécois qui en a été le directeur musical pendant une décennie, de 2008 à 2018. La direction aussi rigoureuse qu’enflammée de Yannick Nézet-Séguin, remarquable directeur d’orchestres d’opéra, qu’il dirige assidûment particulièrement au Metropolitan Opera de New York dont il est le directeur musical depuis 2018, suscite des tempi particulièrement énergiques et contrastés. Sous la direction magistrale de Yannick Nézet-Séguin, la première journée de la Tétralogie du Magicien de Bayreuth se présente telle une arche tendue par la force de l’amour sous toutes ses formes et du don. Chaque évocation du sentiment amoureux suscite des moments de sublime beauté, aussi brûlante qu’émouvante. La conception du chef canadien du drame wagnérien est éminemment dramatique et onirique, profonde et sensuelle, fluide et aérée. Il fait sonner l’orchestre en chef aguerri à la scène lyrique, donnant son exacte ampleur symphonique à l’œuvre, plus proche d’un Georg Solti ou d’un Giuseppe Sinopoli que d’un Herbert von Karajan, qui concevait le Ring en chambriste. L’exécution de Nézet-Séguin est si prenante, si profondément sentie, si magistralement conduite qu’à aucun moment n’apparaît le moindre ébauche de tunnel, pas même dans les récits de Sigmund, Fricka, Wotan, enfin Brünnhilde sont si vibrants d’intensité qu’aucune impression de longueur submerge l’auditeur. Quant à l’Orchestre de Rotterdam, il se donne sans réserve, exaltant des sonorités de braise avec une justesse sans faille et des attaques sûres et franches. Malgré un effectif de cordes moins étoffé qu’attendu (14-12-10-8-7) - du moins pour ma part, m’attendant à deux de plus pour le quatuor et une contrebasse supplémentaire, et je songeais à la logistique de la phalange batave qui a dû assurer la tournée avec six harpes -,  considérant l’espace d’une scène de concert plus souple que celui d’une fosse d’opéra, le Rotterdam Phillharmonish Orkest s’est imposé dans toute sa magnificence dès le premier accord de l’orage qui ouvre le premier acte en prélude à trois heures quarante-cinq minutes de passion inassouvie, de violence contenue, tandis que l’un des moments les plus oniriques de la partition, l’éveil du printemps dans l’acte initial, a été gorgé de lyrisme et d’élan, à l’instar de l’appel victorieux Wälse, ardent et éclatant, joyeusement énoncé par Sigmund. Les Adieux de Wotan à Brünnhilde ont bouleversé par leur poésie d’émotion pure.

 

Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre. Karen Cargill (Fricka), Brian Mulligan (Wotan). Photos : (c) Bruno Serrou

La distribution était d’une homogénéité exemplaire. A commencer par le magnifique couple Sigmund/Sieglinde d’une beauté éclatante de charme et de musicalité. Le timbre de Stanislas de Barbeyrac, et d’Elza van den Heever se fondent l’un dans l’autre avec un naturel saisissant. La soprano sud-africaine incarne de son seul chant, long, frais, clair, souple, fluide, juvénile, d’une solidité frappante, la vérité du personnage de Sieglinde. Sa voix au grain malléable à merci, son expressivité extraordinaire, l’ampleur parfaitement maîtrisée de son nuancier sont proprement stupéfiantes, tandis que le ténor est tout simplement époustouflant. Voix pleine et colorée à la palette large et riche, suprêmement chantante, stature noble et présence brûlante, le ténor français Stanislas de Barbeyrac campe un Sigmund d’exception. Avec un tel couple, le premier acte saisit si intensément que le temps passe à une rapidité si vertigineuse que l’on en sort l’esprit et le cœur chancelants. Tamara Wilson est une Brünnhilde impressionnante. Vocalement puissante, nuancée, solide, étincelante, la soprano états-unienne, qui a chanté la saison dernière la princesse Turandot dans l’opéra éponyme de Puccini et, en septembre dernier, Batrice di Tenda de Bellini à l’Opéra de Paris, campe une Brünnhilde incandescente aux aigus épanouis, ne forçant jamais sa voix, ample et pleine, au service d’une musicalité solaire. Avec ses accents rappelant plus ou moins Christa Ludwig, de son chaud mezzo de la cantatrice écossaise Karen Cargill résulte une Fricka de grande classe, sa voix onctueuse et charnue lui permettant d’incarner une déesse crâne et vindicative, face à qui le souverain mais fragile Wotan du baryton états-unien Brian Mulligan, d’altière stature, bouleverse jusque dans sa vulnérabilité vocale assumée. Son compatriote, la basse Soloman Howard, dans le court rôle de Hunding, a eu juste le temps de montrer son potentiel. La cohorte des Walkyries forme une troupe de grande cohésion, avec les sopranos Jessica Faselt, Brittany Olivia Logan, Justyna Bluj, les mezzo-sopranos Iris van Wijnen, Maria Barakova, Ronnita Miller, Catriona Morison, et la contralto Anna Kissjudit.

Bruno Serrou 

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