Paris. La Scala. Lundi 13 novembre 2023
Lieu extrêmement ouvert, avec sa
multitude de salles réparties sur plusieurs niveaux, La Scala lance une
nouvelle série de concerts axée cette fois sur la musique de chambre baroque,
qui se déroulera le 13 de chaque mois pendant une heure. C’est à la violoniste
Stéphanie-Marie Degand et à la claveciniste Violaine Cochard, deux musiciennes
brillantes et qui se produisent en duo depuis trente ans, qu’a été confié le
soin d’inaugurer ces soirées ce lundi 13 novembre.
Une acoustique neutre non réverbérante, plutôt feutrée qui sied particulièrement au velouté des cordes en boyau du violon et à l’âpreté métallique naturelle des aigus qu'elle amenuise du clavecin tout en flattant les graves, telles sont les caractéristiques de cette salle que l’on atteint après avoir descendu une soixantaine de marches, dotée de gradins en bois un tien ferme pour qui a une assise du bassin un rien fragile, tandis que l’instrument à clavier a le couvercle qui frôle le mur et le public, qui à moins de deux mètres du clavier, ce qui crée une intimité auditeurs / musiciens qui n’est pas sans rappeler celle des concerts du XVIIIe siècle, si ce n’étaient le décor et le cadre…
Intelligemment élaboré autour de deux compositeurs, selon un schéma tonal, le programme proposé par Stéphanie-Marie Degand et Violaine Cochard alternait deux compositeurs du XVIIIe siècle, l’un allemand et célébrissime, Johann Sebastian Bach (1685-1750), l’autre français et oublié, Jacques Duphly (1715-1789), dont la postérité a eu la malchance de l’avoir vu naître à Rouen l’année de la mort de Louis XIV, et surtout mourir le lendemain de la prise de la Bastille, le 15 juillet 1789, comme le rappelait non sans malice Violaine Cochard. Compositeur claveciniste et organiste, Duphly a été organiste à la cathédrale d’Evreux puis de plusieurs paroisses rouennaises, avant de s’installer à Paris, où il ne se consacre plus qu’au clavecin pour se produire dans les salons et enseigner.
Trois des six Sonates pour clavecin obligé et violon de Bach étaient mises en résonnance avec autant de pages extraites des six Pièces pour clavecin avec accompagnement de violon de Duphly aux titres célébrant la femme. C’est avec la Quatrième Sonate en ut mineur BWV 1017 que le futur Cantor de Leipzig composa à Köthen entre 1717 et 1723 que le duo a ouvert le concert, enlevant le premier des quatre mouvement, Largo, dans un esprit tendrement mélancolique sinon pathétique, le violon déployant avec délectation une mélodie aux élans élégiaques et passionnés, soutenue par la pulsation rythmique du clavecin presque comme une basse ostinato, plongeant ainsi dès l’abord dans le climat dense et profond de l’ensemble du concert, qui présentait de Bach la Sonate n° 2 en la majeur BWV 1015 elle aussi en quatre mouvements alternant comme la précédente tempi lent-vif-lent-vif, pour terminer sur la Sonate n° 6 en sol majeur BWV 1019 que Bach a travaillée à trois reprises, ouvrant sur une ritournelle au tempo mouvement vif, Allegro, a contrario des cinq sonates précédentes. Le troisième mouvement, Allegro en mi mineur, est entièrement dévolu au clavecin seul qui plonge dans l’univers du Clavier bien tempéré ou plus encore dans celui des Ouvertures à la française, tandis que le cinquième mouvement se présente comme une gigue Allegro qui retourne à la tonalité liminaire. Aux cinq mouvements de la deuxième version, Stéphanie-Marie Degand et Violaine Cochard ont ajouté en bis l’un des deux mouvements alternatifs que Bach a composé par la suite parmi lesquels figure un Cantabile, dans la troisième mouture, retenu hier soir par les deux artistes pour leur second "encore".
Les pièces de Jacques Duphly étaient extraites du troisième (1756) des quatre Livres (1744-1768) laissés par le compositeur, seul des recueils à inclure un autre instrument que le clavecin. Comme beaucoup d’œuvres du XVIIIe siècle français, celles de Duphly porte toutes des titres, chacun correspondant à un portrait de femme. Le rondeau La De May, nom d’une sage-femme, La Du Tailly, gracieuse et gaie comme la cantatrice qui y est célébrée, et le vif La de Casaubon. Il émane de chacun de ces morceaux une fraicheur, un bonheur communicatif que Stéphanie-Marie Degand, avec son violon de 1710 du luthier turinois Joseph Catenari sonnant toujours juste de ses sonorités ouatées avec un archet copie Léonard Tourte de Jean-Yves Tanguy, et Violaine Cochard, sur son clavecin réalisé par Ryo Yoshida copie de Silbermann berlinois aux riches harmoniques, ont servi avec munificence et charme éblouissants, comme elles l’ont fait pour les trois sonates de Bach de façon à la fois rigoureuse, chantante et onirique, donnant toute la spiritualité et l’humanité profonde de la musique du maître saxon. Un intrus, en bis, Gabriel Fauré (1845-1924) et sa fameuse Pavane op. 50 en fa dièse mineur dans un arrangement de Stéphani-Marie Degand pour violon et clavecin...
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire