mardi 28 novembre 2023

Raphaël Pichon à la tête de son ensemble vocal et instrumental Pygmalion a donné à la Philharmonie des cantates sacrées de Bach d’une spiritualité solaire

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Lundi 27 novembre 2023 

Esemble (Choeur et Orchestre) Pygmalio, Raphaël Pichon entouré de Tomáš Král, Laurence Kilsby, Nikola Hillebrand et Lucile Richardot. Photo : (c) Bruno Serrou

Un concert à donner envie de partir vers un autre monde tant il s’y est trouvé de foi, de grandeur, de sérénité dans la mort en toute Gloire, lundi soir à la Philharmonie de Paris, avec quatre magnifiques cantates de Johann Sebastian Bach, les BWV 25, 110, 66/1 et 80 précédées d’un Motet de Johann Christoph Bach et suivies en apothéose du Sanctus de la Messe en si mineur BWV 232, les remarquables chœurs et orchestre Pygmalion (extraordinaire trompette solo Mark Bennett) enrichis de quatre excellents solistes étant dirigés avec flamme par Raphaël Pichon.

C‘est dans le cadre d’une semaine intitulée « Solo Bach » organisée par la Philharmonie que le Chœur et l’Orchestre Pygmalion ont présenté leur programme monographique consacré au cantor de Leipzig avec trois de ses cantates sacrées composées pour l’église Saint-Thomas de la cité saxonne.  Mais c’est une pièce de l’un des membres de la grande famille Bach qui a ouvert le concert. Un court motet d’un cousin germain, Mit Weinen hebt sich’s an (C’est dans les larmes que commence) composé en 1691 pour chœur à quatre voix et orchestre de Johann Christoph Bach (1642-1703), organiste à Eisenach, ville natale de Johann Sebastian, qui a mis immédiatement l’auditeur dans l’ambiance de la soirée qui allait suivre par son sujet, une émotion touchante, humble et profonde que l’ensemble Pygmalion porte à un niveau digne de la création du cousin de la famille Bach. 

La première des trois cantates de Johann Sebastian Bach du concert, toutes composées à Leipzig, Es ist nichts Gesundes an meinem Leibe (Il n’est rien de sain en ma chair) BWV 25 date de la première année du compositeur à Leipzig, et a été conçue pour le quatorzième dimanche après la Trinité, qui tombait cette année-là le 29 août, pour soprano, ténor, basse solistes, chœur mixte et orchestre (trois flûtes à bec, deux hautbois, cornet, trois trombones, cordes et basse continue. Le texte attribué au théologien Johann Jacob Rambach (1693-1735) reprend le concept de l’homme souffrant, le lépreux, sous le poids de ses fautes qui l’entraînent vers la mort, sauvé par sa foi et guéri par le Christ auprès de qui il se réfugie, implorant sa grâce, avant d’exprimer sa gratitude dans la dernière aria, tandis que l’œuvre se termine sur la dernière strophe du choral de Johann Heermann Treuer Gott, ich muss dir klagen (Dieu fidèle, je dois me plaindre à toi, 1610). Pichon a enchaîné à la première cantate la seconde, pour le jour de Noël 1725, Ecrite pour soprano, contralto, ténor et basse soliste, chœur à quatre voix, trois trompettes, trois hautbois, deux flûtes traversières, basson, deux timbales, cordes et basse continue, Unser Mund sei voll Lachens (Que notre bouche soit emplie de rires) BWV 110 compte sept parties sur des textes de deux auteurs, Georg Christian Lehm et Kaspar Füger l’Ancien, pour le choral final, ainsi que de la Bible, pour les trois premiers mouvements impairs. Le chœur introductif adapte le mouvement initial de la Suite pour orchestre en ré majeur BWV 1069, le duo soprano/ténor est un arrangement d’un passage du Magnificat en mi bémol majeur. Ce qui a marqué les esprits dans l’exécution de Raphaël Pichon est la vigueur de sa conception de la section liminaire de l’œuvre et la foi authentique qui a émané du choral de louanges au Seigneur qui a accompli de grandes choses pour son peuple, tandis que l’on se régalait de l’aria du ténor (Laurence Kilsby) accompagné par un dialogue de deux flûtes (Georgia Browne, Raquel Martorell) délicieusement entrelacées, à l’instar de celui de la soprano et de la contralto (Nikola Hillebrand, Lucile Richardot) sur un accompagnement d’orgue (Pierre Gallon) et de basse continue chantant la Gloire de Dieu au plus haut des cieux, alors que le choral final, chanté avec ferveur par le chœur Pygmalion enrichi des solistes, élevait joyeusement l’Alleluia glorieux.

Après l’entracte, Raphaël Pichon a choisi d’enchaîner les deux dernières cantates et le Sanctus de la Messe en si mineur, formant ainsi un ensemble dramatique et spirituel, donnant ainsi un propos cohérant à la façon d’un oratorio. L’introduction était constituée de la courte cantate Erfreut euch, ihr Herzen en ré majeur (Cœurs, réjouissez-vous) BWV 66/1 pour contralto, ténor, basse solistes, chœur mixte, deux hautbois, basson, trompette ad libitum, cordes et basse continue composée pour le Lundi de Pâques qui, en 1724, était un 1er avril. Cette partition a pour origine la cantate profane composée en 1718 pour l’anniversaire du prince d’Anhalt-Köthen Der Himmel dacht auf Anhalts Ruhm une Glück (Le ciel a songé à la gloire et au bonheur d’Anhalt) BWV 66a. Le texte de la cantate profane évoque les différentes réactions suscitées par la nouvelle de la résurrection du Christ par ceux qui la reçurent les premiers. La Cantate BWV 80, la célèbre Ein feste Burg ist unser Gott (Notre Dieu est une solide forteresse) était donc enchaînée à la précédente, quasi sans respiration. Créée le jour de la fête de la Réforme, 31 octobre 1724 à Leipzig, la partition a été écrite pour soprano, contralto, ténor et basse solos, chœur mixte, trois hautbois, cordes avec violone (contrebasse) et basse continue se fonde sur le choral éponyme de Martin Luther utilisé dans les mouvement un, deux, cinq et huit, tandis que les autres parties reprennent un texte du poète juriste Salomon Franck (1659-1725) qui se réfère à l’Evangile de saint Luc évoquant l’expulsion d’un démon par le Christ et son exhortation à suivre ses préceptes. Raphaël Pichon a choisi d’interpréter la version traditionnelle, la révision réalisée par l’un des fils du cantor, Wilhelm Friedemann Bach après la mort de son père, ajoutant trois trompettes aux trois hautbois dans les premier et cinquième des huit mouvements, créant ainsi le lien avec le Sanctus de la Messe en si mineur directement enchaîné à cette dernière cantate, donnant un tour festif à la glorieuse consolation de la Lumière divine promise à l’Humanité entière.

L’interprétation de ces œuvres a été remarquable de bout en bout, grâce à la force motivante de Raphaël Pichon à la tête de son magnifique ensemble Pygmalion constitué de vingt-et-un choristes et trente-six instrumentistes, avec parmi ces derniers des solistes de tout premier plan (Sophie Gent, premier violon, Julien Léonard, viole de gambe, Antoine Touche, violoncelle), Georgia Browne, flûte, Marine Sablonnière, flûte à bec), Jasu Moisio, hautbois, Evolène Kiener, basson, Mark Bennett, trompette, rémi Lecorché, trombone, Emmanuel Mure, cornet, Ronan Khalil, clavecin, et Pierre Gallon, orgue), tandis que le quatuor vocal réunissait autant d’excellents chanteurs aux voix claires, solides et généreusement expressive, la soprano allemande Nikola Hillebrand, la mezzo-soprano française Lucile Richardot, qui s’est illustrée la veille dans Sippal, dobbal, nádihegedüvel de György Ligeti à Radio France (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/11/festival-ligeti-24-les-percussionnistes.html), le ténor états-unien Laurence Kilsby et la basse polonaise Tomáš Král.

Bruno Serrou

 

 

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