Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mercredi 1er février 2023
Après le départ de David Zinman, le
Tonhalle-Orchester Zürich reste une extraordinaire phalange, sous la direction
festive et d’une précision qui confine à l’exploit permanent de Paavo Järvi. La
salle de la Philharmonie de Paris n’était malheureusement pas pleine, le public
ne se bousculant pas, jugeant peut-être trop « difficile »… un
programme il est vrai hors normes, réunissant Harold en Italie op. 16 d’Hector Berlioz et la version pour
orchestre du Quatuor pour piano et cordes
en sol mineur op. 25 de Johannes Brahms réalisée par Arnold Schönberg.
Prix de Rome,
Berlioz se sentira tel un exilé durant son séjour à la Villa Médicis, et n’eut
de cesse que de rentrer au plus tôt à Paris. Malgré des œuvres puisées dans la
mythologie italienne, depuis l’antiquité jusqu’au romantisme, c’est
principalement la littérature anglaise qui l’inspira. C’est à Shakespeare qu’il
emprunte Roméo et Juliette, et c’est
chez Byron qu’il puise l’essence de son Harold
en Italie. Berlioz y expose néanmoins ses propres expériences italiennes,
comme ses voyages dans les Abruzzes en 1833, avec le jeu des flageolets des
paysans du sud de la péninsule dans le troisième mouvement. C’est en outre à la
demande d’Arturo Paganini qu’il écrit cette œuvre. L’illustre virtuose
souhaitait une pièce pour alto solo et orchestre dont Berlioz entreprit la
composition dans les premiers mois de 1834. Mais le projet devint une symphonie
concertante en quatre mouvements, « une suite de scènes auxquelles l’alto
solo se trouve mêlé comme un personnage mélancolique dans le genre de Childe
Harold de Byron ». Si bien que, déçu de ne pas voir arriver un concerto
mais une symphonie avec alto obligé, Paganini renonça à la partition, et c’est
Chrétien Uhran qui en assura la création le 23 novembre 1834 dans la salle du
Conservatoire de Paris.
D’esprit plus ludique que
mélancolique - sans pour autant trahir de Berlioz -, Antoine Tamestit s’est
régalé ainsi que le public du son fabuleux de son alto de Stradivarius de 1672 dans
Harold en Italie, apparaissant au fond du plateau, disparaissant côté cour,
réapparaissant côté jardin en compagnie d’un trio à cordes qui venait de
participer à l’exécution de l’œuvre depuis les coulisses, après avoir pris la
poudre d’escampette lors du violant tutti
de l’orchestre au début de l’orgie des
brigands finale.
Contrairement à une idée reçue,
peut-être en raison de sa proximité avec Gustav Mahler, Arnold Schönberg était
plus proche de Johannes Brahms que de Richard Wagner, en dépit des querelles
esthétiques qui faisaient rage à l’époque en pays germaniques. Preuve en est sa
Nuit transfigurée op. 4 pour sextuor
à cordes. En 1937, trois ans après une conférence qu’il avait prononcée « Brahms,
le progressiste, et après s’être installé à Los Angeles acculé à l’émigration aux
Etats-Unis après avoir été chassé par les nazis de son poste de professeur de
composition au Conservatoire de Berlin, il accepta la demande du chef d’orchestre
Otto Klemperer, lui aussi chassé par les nazis du poste de directeur artistique
et musical de la Krolloper de Berlin, il s’attelait à l’orchestration du Quatuor pour piano et cordes n° 1 en sol
mineur op. 25 composé par Brahms en 1861. Cette version orchestrale, plus
schönberguienne que brahmsienne si l’on ne tient compte que des effectifs (bois
par trois, avec les tessitures de la plus aiguë à la plus graves, cuivres par
trois, avec quatre cors et un tuba, quatre percussionnistes et timbalier,
cordes - 16, 14, 12, 10, 8), est bel et bien dans l’esprit du maître de
Hambourg. Schönberg expliquait les raisons qui l’avaient conduit à choisir
cette partition de son aîné : « Mes raisons : 1. J’aime cette
pièce. 2. Elle est rarement jouée. 3. Elle est toujours très mal jouée, puisque
plus le pianiste est bon, plus il joue fort […] Je voulais, pour une fois, tout
entendre et j’y suis parvenu. Mes intentions : 1. Rester strictement dans
l’esprit de Brahms […] 2. Observer strictement toutes les règles que Brahms
observait. »
Sous l’impulsion ample et généreuse
de Paavo Järvi, l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich a offert une dense,
vibrante, flamboyante de cette « Ve
Symphonie » de Johannes Brahms, jouant à satiété de la magistrale orchestration
d’Arnold Schönberg, à la fois fluide, énergique, poétique, sensible. Chef
estonien et son orchestre suisse réunissant cent musiciens de vingt
nationalités différentes en ont saisi à bras le corps la vitalité et la
fantaisie du quatuor originel, jusqu’au revigorant finale alla zingarese dans lequel la phalange zurichoise a brillé de tous
ses feux, avec ses cuivres rutilants, sa percussion avec xylophone et glockenspiel
enjoués, Schönberg se lâchant ici en conduisant musiciens et auditeurs loin de
la palette sonore de Brahms…
Clairement heureux de se retrouver
sur le plateau de la Salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris, en plus devant
le public parisien qui fut le sien lorsqu’il était le directeur musical de 2010
à 2016 de l’Orchestre alors installé Salle Pleyel, Paavo Järvi a ajouté au
programme du concert deux bis de Danses
hongroises de Johannes Brahms… A
noter la disposition de l’orchestre (premiers violons, violoncelles devant les
contrebasses, altos, seconds violons, tuba, trombones, trompettes et cors de
cour à jardin) conforme à ce qui se faisait au XIXe siècle et jusque
dans les années 1970, a apporté un supplément de relief par rapport au
dispositif désormais standard.
Bruno Serrou
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire