Hambourg (Allemagne). Steinway & Sons Fabrik. 10, Rondenbarg Strasse ; Elbphilharmonie. Jeudi 20 et vendredi 21 octobre 2022
Le plus célèbre des facteurs de pianos de la planète, Steinway & Sons, n’a de cesse d’innover depuis cent soixante-dix ans. Il a déposé plus de cent vingt cinq brevets depuis sa fondation en 1853 par le facteur saxon Heinrich Engelhard Steinweg (1797-1871), devenu Henry E. Steinway après son installation à New York en 1851 dans le Queens et son association avec ses fils Theodore, technicien, et William, commercial. En 1875, ils ouvrent leur magasin de Londres et en 1880 l’usine de Hambourg. Le marché le plus porteur de Steinway est celui des Etats-Unis, devant la Chine puis le reste du monde.
Malgré sa réputation de grand sérieux, Steinway & Sons a cédé aux sirènes du showbiz pour lancer en Europe un produit high-tech, le SPIRIO/r. Il n’en demeure pas moins que les pianos de la marque sont les instruments favoris de tous les grands pianistes, et la réputation de la célèbre manufacture a été forgée par les interprètes les plus éminents des compositeurs répertoriés sous la dénomination classiques et jazz. Mille cinq cents le pratiquent en exclusivité, et il convient d’ajouter les grandes salles de concert et d’opéra du monde. Les professionnels jouent plus ou moins régulièrement sur Steinway, et tous les amateurs du monde rêvent d’en posséder un.
Le facteur allemand Steinway & Sons est implanté dans une banlieue industrielle de Hambourg. Sur la gauche de la Rondenbarg Strasse (n° 10), le magasin de la manufacture indique au visiteur qu’il se trouve sur la bonne voie. Une centaine de mètres plus loin, au n° 15 de la même rue, deux grands bâtiments de briques rose-sombre dominée par une tour adjacente. Pour les atteindre, il faut franchir un vaste portail gris entouré de hautes grilles de la même couleur. Entre les deux édifices, une volumineuse enseigne au fond blanc encadrée de bois brun assure le fait que l’on est bel et bien chez Steinway & Sons au-dessous de la fameuse lyre… La visite commence par les cours de la fabrique où sont regroupés d’immenses planches de bois de toutes les essences qui constitueront les pianos, après y avoir séché pendant deux ans, certaines d’entre elles étant stockées à l’air libre, d’autres dans de vastes hangars.
Une fois à l’intérieur, le visiteur pénètre dans le saint-des-saint par un étroit couloir longeant une vitre laissant entrevoir la salle de repos du personnel qui débouche sur un étroit escalier aux marches hautes et serrées dont il faut monter les trois premiers étages avant d’avoir le souffle coupé par l’émotion qui vous étreint lorsque, sur un mur face à des pianos en cours d’assemblage apparaissent les portraits de J.S. Bach, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Liszt, Grieg…
Une ambiance feutrée de recueillement vous saisit lorsque l’on pénètre comme dans un temple, avec des facteurs en train de travailler sur des cadres de bois brut qu’ils préparent au formatage d’une queue d’un futur piano… Et l’on se rend rapidement compte que loin du travail à la chaîne, la manufacture est constituée d’une suite d’authentiques ateliers un peu désordonnés et encombrés où s’exprime le talent d’artisans qui sont autant de compagnons hautement qualifiés et minutieux.
La fabrication des célèbres et précieux instruments de Steinway & Sons est en effet à quatre-vingt pour cent manuelle, si bien que pas un piano de la marque sonne de la même façon. Un piano associe nombre de métiers très différents, et cette association d’artisans crée un instrument fascinant dont pas deux exemplaires se ressemblent. Au point que chaque piano porte en gravure à un endroit précis le nom de celui qui l’a réglé avant sa sortie d’usine.
Les pianos sont en effet constitués de douze mille pièces, dont sept-cents pour la mécanique du clavier, avec touches et marteaux, la vitesse de propagation des vibrations est de six mille mètres par seconde. Il faut deux ans de séchage du bois pour atteindre huit pour cent d’humidité, d’une dizaine d’essences, dont le pin d’Alaska, l’érable, le tilleul, l’ébène, dont celui de macassar pour des pianos de prestige, l’épicéas, l’acacia, le hêtre, le caïlcédrat, l’acajou de Cuba), un an de fabrication dont un mois pour le vernissage, la ceinture est constituée de vingt couches de bois. Les ceintures des instruments aux célèbres formes serrées à la main est impressionnante, avec ses couches d’érable d’un seul tenant collées les unes contre les autres.
Dans le coffre, il faut intégrer le cadre métal fabriqué aux Etats-Unis qui supporte vingt tonnes de tension sur un grand-queue, tandis que la fameuse mécanique allemande Reiner qui équipe tous les instruments de la marque est désormais propriété de Steinway. La fabrication de la table d’harmonie se fait à partir du pin d’Alaska aux veines serrées, assemblées planche contre planche collées entre elles, avant que ladite table soit mise en forme avant le long travail qui consiste à en modifier l’épaisseur à partir du centre avant son installation dans sa ceinture pour lui donner sa charge. Il n’est possible que d’entrevoir le polissage des cadres en fonte et leur mise en peinture au pistolet, tandis que des préparateurs règlent des mécaniques…
Peu de machines dans les processus, seuls quelques outils de précision assistés de l’électronique et du numérique d’horlogerie parsèment les ateliers pour notamment pénétrer les sommiers de façon que la perce soit identique pour chaque trou sans risquer la chauffe du bois chauffe. Ces sommiers sont faits sur place par l’assemblage de planches de hêtre et d’érable contrecollées en croisant les fils sur de somptueux barrages en poutres de pin chevillés à l’aide de tourillons à la ceinture et collé à elle, et supports déportés du cadre en fonte faits de hêtre, le petit chef-d’œuvre qu’est l’assemblage de pin et de hêtre des chevalets et leur collage à la table d’harmonie, le travail des ébénistes qui réalisent les placages en bois exotiques dont un modèle en macassar. Hélas, le temps étant copté, la visite n’a pu être complète. Ainsi, la fabrication du clavier, des marteaux et des feutres et bien d’autres étapes et éléments ont échappé à nos regards…
La famille des pianos Steinway compte huit modèles, de cent cinquante cinq centimètres à deux cents soixante quatorze centimètres plus un droit (le modèle K) qui représente à lui seul vingt pour cent des ventes. Quatre de ces modèles sont des queues de concert, le A, quart de queue de cent quatre vingt huit centimètres, le B, demi-queue de deux cent onze centimètre qui est le plus vendu, le D grand-queue de deux cent soixante quatorze centimètres, l’emblème de la marque, tandis que le C de deux cent vingt sept centimètres est fabriqué exclusivement à Hambourg. Trois mille pianos sortent des deux usines chaque année, dont mille trois cents cinquante de celle de Hambourg, Steinway ayant produit un total de six cents mille instruments entre 1853 et 2015. Tous les artisans qui constituent les équipes de collaborateurs du facteur hambourgeois sont formés au sein de l’Académie Steinway et restent toute leur vie active dans l’entreprise.
Le Service Recherche et Technologie de Steinway développe depuis 2015 un concept pour le moins surprenant, le système SPIRIO. Les modèles B et D peuvent être dotés du système de reproduction haute définition SPIRIO/r capable d’enregistrer en direct les performances de pianistes de tous niveaux et de la jouer sans eux, tandis que les grands pianistes vivants et morts peuvent « jouer » à partir des plateformes informatiques accessibles sur tablettes informatiques via le cloud, parmi les artistes exclusifs de la marque, la banque de données comptant pour le moment trois cent quarante trois pianistes sur les quinze cents exclusifs classiques et jazz à quatre vingt quinze pour cent. Ainsi, les personnes présentes peuvent assister à un concert en direct, avec le son du piano dans toute sa vérité, avec quatre mille oeuvres enregistrées, mille vingt niveaux de dynamique et deux cent cinquante six positions de pédales différentes étant captés en temps réel.
Pour le moment soixante-sept pour cent des utilisateurs sont des non-pianistes fortunés qui peuvent ainsi écouter à tout moment leurs artistes favoris directement sur l’instrument auxquels ils ont accès sans passer par une chaîne hi-fi. Néanmoins, au prix du piano (188.000 € pour un modèle D), il faut ajouter 30.000 à 60.000 € de technologie. Aujourd’hui, mille pianos en sont pourvus, soit quarante pour cent des ventes du D. Considérant ce coût, l’application, plus que les amateurs de beau piano et de beau son, s’adresse aux professionnels, qui peuvent ainsi travailler et développer technique, sonorités, musicalité, jouer avec leurs confrères à distance, une expérience ayant réuni avec succès jusqu’à mille pianistes à la fois, mais aussi les institutions pédagogiques, professeur et élèves pouvant télé-travailler et corriger erreurs et approximations en temps réel ou en décalé.
Bruno Serrou
In Memoriam Odile Mondon-Serrou, ma mère, décédée dans son sommeil la nuit du 20 au 21 octobre 2022 à l'âge de 94 ans
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