dimanche 19 septembre 2021

Sylvano Bussotti est mort. Il avait 89 ans

Sylvano Bussotti (1931-2021), à l'âge de 85 ans. Photo : DR

Le compositeur, peintre, cinéaste, homme de théâtre florentin Sylvano Bussotti est mort. Il allait avoir 90 ans le 1er octobre. « J’approche la musique d’une façon très sexuelle, disait-il. Je crois qu’une musique en tant que telle doit être aussi sexuelle que possible, sinon ce n’est pas de la musique. »

Photo : (c) DR

Personnalité éminament complexe, le Florentin Sylvano Bussotti, a été un authentique violoniste prodige. Il commence l’étude du violon à l’âge de cinq ans, commence à composer à sept ans. Il renonce très tôt à l’école, grandit dans le milieu du théâtre. Élève au conservatoire Cherubini de Florence, il travaille le piano avec Luigi Dallapiccola. Une bourse lui permet de poursuivre l’étude du violon, mais les événements de la fin de la guerre l'empêchent de se présenter à l'examen final. À partir de 1949, Bussotti travaille en autodidacte, copiant des partitions dans les bibliothèques, découvrant Stravinski, Hindemith, et composant déjà avec prodigalité. A Aix-en-Provence et à Avignon, durant des rencontres de jeunes musiciens, il est profondément marqué par le Marteau sans maître de Boulez. En 1957, il est à Paris pour travailler avec Max Deutsch, élève d’Arnold Schönberg qui lui présente Luigi Nono, Pierre Boulez et Heinz-Klaus Metzger.  Ce dernier l’incite à se rendre à Darmstadt où il rencontre John Cage en 1958.

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Il s’imposera non seulement comme compositeur mais aussi comme peintre, metteur en scène, costumier, habilleur, récitant. La diversité de ce talent polymorphe se distingue par la grande beauté graphique de ses partitions. Sans doute Bussotti est-il essentiellement un homme de théâtre qui se projetait avec violence dans sa création afin de se libérer de ses propres phantasmes. Il a été directeur artistique du Théâtre de la Fenice de Venise de 1975 à 1979, et sa mise en scène de Tosca à Vérone, en 1984, a fait grand bruit.

Sylvano Bussotti dans son film Rara, guardato al pianoforte dall'Aurore (1967/1969). Photo : DR

La création chez Bussotti se conçoit dans la passion, la violence, la force de projection et le corps à corps de la conscience érotique. Il se revendique contre tout emploi systématique des procédés et contre toute conceptualisation de la musique, le rôle prépondérant dans le processus créateur étant l’instinct, la création consistant pour lui à « vivre l'irréalité d’une façon profondément réelle ». Conduite proche de celles des surréalistes et des dadaïstes, auxquels il s'apparente directement, ne craignant ni la provocation ni le scandale.

Ses œuvres commencent à être jouées. A Paris, au Domaine musical, Pierre Boulez dirige des fragments de son Torso pour récitant, mezzo-soprano et orchestre, œuvre volontairement inachevée, qui remporte un prix de la Société internationale de musique contemporaine. En 1964 sur l’invitation de la fondation Rockefeller, il se rend aux États-Unis. En 1965 est créée au festival de Palerme la Passion selon Sade, « mystère de chambre avec tableaux vivants », œuvre provocante d’un lyrisme écorché. Avide d’expériences, Bussotti dessine les costumes, conçoit la mise en scène, dirige, joue le rôle du récitant. Il professe une « éthique de la disponibilité » relevant selon lui d'une tradition humaniste propre à Florence, sa ville natale. Après ces débuts dans l’obédience sérielle, il s’en éloigne rapidement, marqué par son maître Max Deutsch, Bussotti échappe à l’« aridité rigide » du système. Dès lors, sa création se présente comme le livre d’une vie, « page après page », telle une œuvre continue, une pièce en engendrant une autre, toutes commandées par la fantaisie et l’imaginaire, et confondues à la vie de leur concepteur à laquelle elle est liée par un réseau plus ou moins secret de signes et de symboles. « J’éprouve une réticence considérable à donner des explications, insistait Bussotti. Sans doute est-ce là un esprit de défense et de sadomasochisme qui accumule les difficultés pour que l’on ne réalise pas mon œuvre. Car l’œuvre sort blessée dans sa réalisation. » 

Sylvano Bussotti (1931-2021), fragment de La Passion selon Sade : Photo : DR

En 1967 naissent Marbre pour cordes, et Cinq fragments à l’Italie pour sextuor vocal en chœur, madrigaux modernes renouant avec Carlo Gesualdo et Claudio Monteverdi. En 1969 il compose The Rara Requiem pour quatre voix principales, sextuor vocal de solistes, chœur mixte, guitare et violoncelle solistes, piano, harpe, orchestre d’instruments à vent et percussion. Il s’agit en vérité d’un requiem d’amour qu’« une personne vivante et jeune demande à un ami musicien de lui composer pour l’écouter de son vivant. » Cette personne est Romano Amidei, compagnon de Bussotti, en qui s'incarne Rara, personnage allégorique présent dans plusieurs œuvres du compositeur. The Rara Requiem comporte un montage de textes de vingt-quatre auteurs, d'Homère à Rilke, Mallarmé et Adorno. Mais cette œuvre, apparemment chargée de culture, offre une démarche à rebours qui permettra de l’évoquer comme une « mémoire du futur ». Ces œuvres évoquent la contemplation de soi, les paysages intérieurs avec des jeux au second degré, des « pièges ». En 1972-1973, Bussotti donne naissance à l’une de ses plus grandes réussites, le ballet symphonie chorégraphique Bergkristall. 

Sylvano Bussotti (1931-2021). Photo : DR

L'opéra Lorenzaccio, « mélodrame romantique dansé », créé à Florence en 1972, est imprégné d'un lyrisme morbide, magnifié par une écriture vocale d’une beauté remarquable spécifique à Bussotti, et qui gouverne Notte tempo, drame lyrique de 1975-1976 commandé par la Scala de Milan. Mélismes, écarts, soupirs, rires, sanglots, gémissements, râles, agonies exprimés par la voix semblent remonter du fond de la mémoire. La voix est comme dénaturée, au centre d’épisodes instrumentaux qui forment autour d’elle un véritable paysage mis en scène à la façon de Monteverdi. Dans les œuvres des années 1980, comme la symphonie chorégraphique Il Catalogo è questo (Opus Cygne) pour flûte principale et orchestre créée à la biennale de Venise, 1980, l'opéra le Racine, pianobar pour Phèdre dont la première a été donnée à Milan la même année, et le mélodrame L'ispirazione de 1988, un climat passionné, voire exaspéré, alterne avec une contemplation silencieuse. Bussotti ne cesse de se nourrir de lectures (Artaud, Beckett, Brabanti, Hofmannsthal, Maïakovski, Musset, Osborne, Pasolini, Strindberg), il admire Pasolini, s'adonne au dessin et à la peinture (il expose à Paris en 1966), met en scène des œuvres de Mozart, Donizetti, Rossini, Berlioz, Verdi, Tchaïkovski, Bizet, Ponchielli, Puccini, Leoncavallo, Poulenc, Dallapiccola, Stravinski, Chailly, à la Scala de Milan, au Mai Musical de Florence, aux Arènes de Vérone, au Teatro Regio de Turin, au Teatro Massimo de Palerme, au Liceu de Barcelone, à Tarre del Lago, Madrid…

Bruno Serrou

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