Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 1er septembre 2021
Pour l’ouverture de son ultime saison comme directeur de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle a mis les petits plats dans les grands. Comment imaginer en effet un tel feu d’artifice en l’espace de cinq jours dès les premiers jours de la rentrée : rien moins que le Bayreuther Festspielorchester (Orchestre du Festival de Bayreuth) suivi par les Berliner Philharmoniker (Orchestre Philharmonique de Berlin) trois et quatre jours plus tard. Le rêve de tout mélomane !
C’est en 1876 que Richard Wagner
réunit cet Orchestre du Festival de Bayreuth qu’il a fondé de toute pièce pour
la première édition de son Festival de Bayreuth durant laquelle a été créée l’intégrale
du Ring des Nibelungen. Après
quelques éditions avec la phalange de l’Opéra de la Cour de Munich, c’est à
partir de 1886 que le Festival de Bayreuth se dote définitivement d’un
orchestre qui lui est propre et qui réunit une fois l’an, de la mi-juin à la
fin août, quelques deux cents musiciens venus des plus grandes formations
symphoniques d’Allemagne et du reste du monde, y compris des français, absents
cette année.
Rares sont les occasions d’entendre l’Orchestre du Festival de Bayreuth hors de la « fosse mystique » du Festspielhaus, à l’exception de quelques exécution sur la scène de ce même théâtre de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Plus exceptionnelles encore ses apparitions loin de la cité franconienne, en dehors de rares tournées internationales de productions du festival, et plus inhabituels encore les concerts sur les plateaux des grandes salles du monde.
Aussi, la prestation de l’Orchestre
du Festival de Bayreuth était le rendez-vous à ne pas manquer pour les wagnérolâtres
parisiens, qui se sont précipités sans pouvoir tous parvenir à être parmi les
deux mille deux cents élus et qui ont accueilli cette unique performance tel un
jour de fête et écouté religieusement deux heures trente durant des extraits de
quatre ouvrages de Richard Wagner avec deux chanteurs habitués du
Festspielhaus, la soprano Christine Goerke et le ténor Klaus Florian Vogt.
Certes, le fait qu’il ne se soit agi que d’extraits est en soi très frustrant. Surtout avec la musique de Wagner qui court à flux continu non seulement un acte durant, mais aussi un opéra entier voire la totalité d’un cycle… On eût assurément préféré l’ensemble d’un opéra, à la limite un acte, mais il n’était malgré tout nullement question de gâcher un instant notre plaisir, et nous connaissons tous suffisamment ces œuvres pour les laisser courir dans nos têtes les minutes qui suivent leur écoute...
C’est à peine si l’on a pu
relever quelques manques de tensions dramatiques, de pulsions tragiques, tant le
ruissellement instrumental aura subjugué, ainsi que la direction d’Andris
Nelsons d’un onirisme naturel singulièrement évocateur et touchant. La première
partie était entièrement consacrée au Saint-Graal et à Montsalvat, avec dans l’ordre
chronologique des compositions et non dans celui des péripéties, l’ouvrage voué
au fils, Lohengrin, et celui au père,
Parsifal… Ces deux ouvrages étaient
représentés par des morceaux d’orchestre pur et des airs que Wagner a confiés à
chacun de ses deux héros éponymes campés par un ténor, Lohengrin et Parsifal,
magistralement tenus par un éblouissant Klaus Florian Vogt. De Lohengrin, le Prélude de l’acte I et deux airs de l’acte III, « In fernem Land » et « Höchtes Vertrau’n hast du mir schon
zu danken », ont encadré le fameux « Mein
lieber Schwan » du premier acte. La voix flexible à l’envi et au
timbre brûlant qui n’est pas sans rappeler celle d’un James King, a donné de
ces extraits une interprétation hallucinante, et je n’avais jamais entendu une
voix résonner de si extraordinaire façon dans l’enceinte de la Salle Boulez de
la Philharmonie de Paris, le chanteur allemand sachant jouer comme nul autre de
la réverbération exceptionnelle du lieu.
Après l’entracte - moment qui
faisait sa réapparition après dix-huit mois sans pour cause de Covid-19 -, la
seconde partie de la soirée était plus symphonique que la première. Si l’on eût
préféré un extrait vocal de La Walkyrie
sachant que soprano et ténor auraient fort bien pu être réunis, plutôt que l’immanquable
scie qu’est la « Chevauchée des
Walkyries », le reste de cette seconde partie était consacré au Crépuscule des dieux. Prologue et Voyage de Siegfried sur le Rhin du premier acte, Mort de Siegfried et Marche funèbre du troisième acte
suprêmement évocateurs et sans aucun excès sonore. Seule l’immolation finale de
Brünnhilde a posé quelques problèmes, en raison d’une Christine Goerke au
vibrato relâché et à la voix manquant de souffle et de puissance, malgré un
orchestre attentif à ne pas la couvrir et qui a fini par triompher une fois Brünnhilde
engloutie par les flammes, pour l’exposition ultime de tous les grands thèmes
du Ring idéalement rutilants et
fluides sous la baguette d’Andris Nelsons. L’état de grâce à l’état pur.
Reste à espérer que ce fabuleux
orchestre qui réunit des musiciens amoureux fous de la musique de Richard
Wagner au point de consacrer toutes leurs vacances d’été au maître de Bayreuth
dans la fosse du théâtre de la « Colline sacrée » revienne à la
Philharmonie de Paris pour un opéra entier, Parsifal
ou Tristan, et pourquoi pas avec
Klaus Florian Vogt…
Bruno Serrou
Merci pour cette critique. Une petite correction: Goerke n'est pas une habituée de Bayreuth et n'y a jamais chanté à part dans deux concerts sous Nelsons cet été.
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