jeudi 2 septembre 2021

Richard Wagner, Andris Nelsons et le Bayreuther Festspielorchester ouvrent avec éclat la saison 2021-2022 de la Philharmonie de Paris

Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Mercredi 1er septembre 2021

Andris Nelsons et le Bayreuther Festspielorchester. Photo : (c) Ava du Parc/J'Adore Ce Que Vous Faites

Pour l’ouverture de son ultime saison comme directeur de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle a mis les petits plats dans les grands. Comment imaginer en effet un tel feu d’artifice en l’espace de cinq jours dès les premiers jours de la rentrée : rien moins que le Bayreuther Festspielorchester (Orchestre du Festival de Bayreuth) suivi par les Berliner Philharmoniker (Orchestre Philharmonique de Berlin) trois et quatre jours plus tard. Le rêve de tout mélomane !

C’est en 1876 que Richard Wagner réunit cet Orchestre du Festival de Bayreuth qu’il a fondé de toute pièce pour la première édition de son Festival de Bayreuth durant laquelle a été créée l’intégrale du Ring des Nibelungen. Après quelques éditions avec la phalange de l’Opéra de la Cour de Munich, c’est à partir de 1886 que le Festival de Bayreuth se dote définitivement d’un orchestre qui lui est propre et qui réunit une fois l’an, de la mi-juin à la fin août, quelques deux cents musiciens venus des plus grandes formations symphoniques d’Allemagne et du reste du monde, y compris des français, absents cette année.

Christine Goerke, Andris Nelsons et le Bayreuther Festspielorchester. Photo : (c) Ava du Parc/J'Adore Ce Que Vous Faites

Rares sont les occasions d’entendre l’Orchestre du Festival de Bayreuth hors de la « fosse mystique » du Festspielhaus, à l’exception de quelques exécution sur la scène de ce même théâtre de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Plus exceptionnelles encore ses apparitions loin de la cité franconienne, en dehors de rares tournées internationales de productions du festival, et plus inhabituels encore les concerts sur les plateaux des grandes salles du monde.

Aussi, la prestation de l’Orchestre du Festival de Bayreuth était le rendez-vous à ne pas manquer pour les wagnérolâtres parisiens, qui se sont précipités sans pouvoir tous parvenir à être parmi les deux mille deux cents élus et qui ont accueilli cette unique performance tel un jour de fête et écouté religieusement deux heures trente durant des extraits de quatre ouvrages de Richard Wagner avec deux chanteurs habitués du Festspielhaus, la soprano Christine Goerke et le ténor Klaus Florian Vogt.

Klaus Florian Vogt et le Bayreuther Festspielorchester. Photo : (c) Ava du Parc/J'Adore Ce Que Vous Faites

Certes, le fait qu’il ne se soit agi que d’extraits est en soi très frustrant. Surtout avec la musique de Wagner qui court à flux continu non seulement un acte durant, mais aussi un opéra entier voire la totalité d’un cycle… On eût assurément préféré l’ensemble d’un opéra, à la limite un acte, mais il n’était malgré tout nullement question de gâcher un instant notre plaisir, et nous connaissons tous suffisamment ces œuvres pour les laisser courir dans nos têtes les minutes qui suivent leur écoute...

C’est à peine si l’on a pu relever quelques manques de tensions dramatiques, de pulsions tragiques, tant le ruissellement instrumental aura subjugué, ainsi que la direction d’Andris Nelsons d’un onirisme naturel singulièrement évocateur et touchant. La première partie était entièrement consacrée au Saint-Graal et à Montsalvat, avec dans l’ordre chronologique des compositions et non dans celui des péripéties, l’ouvrage voué au fils, Lohengrin, et celui au père, Parsifal… Ces deux ouvrages étaient représentés par des morceaux d’orchestre pur et des airs que Wagner a confiés à chacun de ses deux héros éponymes campés par un ténor, Lohengrin et Parsifal, magistralement tenus par un éblouissant Klaus Florian Vogt. De Lohengrin, le Prélude de l’acte I et deux airs de l’acte III, « In fernem Land » et « Höchtes Vertrau’n hast du mir schon zu danken », ont encadré le fameux « Mein lieber Schwan » du premier acte. La voix flexible à l’envi et au timbre brûlant qui n’est pas sans rappeler celle d’un James King, a donné de ces extraits une interprétation hallucinante, et je n’avais jamais entendu une voix résonner de si extraordinaire façon dans l’enceinte de la Salle Boulez de la Philharmonie de Paris, le chanteur allemand sachant jouer comme nul autre de la réverbération exceptionnelle du lieu.

Le Bayreuther Festspielorchester. Photo : (c) Ava du Parc/J'Adore Ce Que Vous Faites

Après l’entracte - moment qui faisait sa réapparition après dix-huit mois sans pour cause de Covid-19 -, la seconde partie de la soirée était plus symphonique que la première. Si l’on eût préféré un extrait vocal de La Walkyrie sachant que soprano et ténor auraient fort bien pu être réunis, plutôt que l’immanquable scie qu’est la « Chevauchée des Walkyries », le reste de cette seconde partie était consacré au Crépuscule des dieux. Prologue et Voyage de Siegfried sur le Rhin du premier acte, Mort de Siegfried et Marche funèbre du troisième acte suprêmement évocateurs et sans aucun excès sonore. Seule l’immolation finale de Brünnhilde a posé quelques problèmes, en raison d’une Christine Goerke au vibrato relâché et à la voix manquant de souffle et de puissance, malgré un orchestre attentif à ne pas la couvrir et qui a fini par triompher une fois Brünnhilde engloutie par les flammes, pour l’exposition ultime de tous les grands thèmes du Ring idéalement rutilants et fluides sous la baguette d’Andris Nelsons. L’état de grâce à l’état pur.

Reste à espérer que ce fabuleux orchestre qui réunit des musiciens amoureux fous de la musique de Richard Wagner au point de consacrer toutes leurs vacances d’été au maître de Bayreuth dans la fosse du théâtre de la « Colline sacrée » revienne à la Philharmonie de Paris pour un opéra entier, Parsifal ou Tristan, et pourquoi pas avec Klaus Florian Vogt…

Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. Merci pour cette critique. Une petite correction: Goerke n'est pas une habituée de Bayreuth et n'y a jamais chanté à part dans deux concerts sous Nelsons cet été.

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