Strasbourg, Opéra du Rhin, mardi 16 juin 2015
Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de Pique. Misha Didyk (Hermann), Tatiana Monogarova (Lisa). Photo : (c) Clara Beck
Avec Eugène Onéguine,
autre opéra inspiré de Pouchkine, tout comme le moins couru Mazeppa, la
Dame de Pique est l’opéra le plus célèbre de Tchaïkovski. Créé en 1890, ce dernier ouvrage fourmille de particularités
de l’écriture du compositeur russe, avec son ouverture aux tensions dignes de
ses deux dernières symphonies et l’hommage à la grâce de Mozart et aux Lumières
françaises via la grande aria nostalgique venue du Richard
Cœur de Lion de Grétry chantée par la vieille Comtesse alors qu’elle se
souvient de sa splendeur du temps ou les modes venaient de France et de la cour
de Louis XV qu’elle fréquentait dans sa jeunesse alors que tout ce qui était
russe n’était que prosaïsme au sein de la Cour impériale de Saint-Pétersbourg.
Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de Pique. Misha Didyk (Hermann), Tatiana Monogarova (Lisa). Photo : (c) Clara Beck
Dans cet opéra, où le fantastique et le surnaturel côtoient les passions,
celles de l’amour et celles du jeu, la porte est grande ouverte aux excès de
toute sorte, et il est facile de focaliser une mise en scène sur la psychanalyse
et la folie. Si, dans la nouvelle production
venue de Zurich présentée par l’Opéra du Rhin, Robert Carsen évoque bel et bien
la folie, le metteur en scène canadien n’insiste pas sur l’aspect
psychanalytique, quoiqu’enfermé entre des murs tarotés qui se resserrent ou
vont s’élargissant selon les sentiments évoqués - le moment le plus saisssant
est le deuxième tableau de l’acte 3, moment où Lisa tourne en rond à la
périphérie d’un rai de lumière sous l’emprise du doute -, sa conception
s’avérant respectueuse d’un livret pris peut-être un peu trop au pied de la
lettre.
Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de Pique. Malgorzata Walewska (la Comtesse). Photo : (c) Clara Beck
C’est
depuis la fosse que le drame dans toute sa force. Le chef slovène Marko Letonja,
qui nous avait enthousiasmés en plusieurs occasions dans ce même théâtre (la Walkyrie en 2008, le Crépuscule des dieux en 2011, le Son lointain en 2012, le Vaisseau fantôme en 2014) donne de la
partition une lecture noire aux tensions parfois exacerbées. L’extrême présence
qu’il offre aux basses donne un relief saisissant à cette œuvre qu’il tire vers
l’atmosphère tragiquement tendue des Cinquième
et Sixième symphonies « Pathétique ». Sous sa
direction, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg s’avère toujours plus
homogène, virtuose et étincelant, répondant aux sollicitations extrêmement
contrastées de son directeur musical avec une précision et une vigueur à
laquelle la formation ne nous avait pas toujours habitués.
Piotr I. Tchaïkovski (1840-1893, la Dame de Pique. Misha Didyk (Hermann). Photo : (c) Clara Beck
Sur le plateau, pas moindre
faille, y compris parmi les plus petits rôles. Misha Didyk, qui a gagné en
maturité vocale depuis son Trouvère
de Bruxelles en 2012, est un Hermann halluciné, Tatiana Monogarova une Lisa
captivante, autant par sa vocalité que par son engagement théâtral, Malgorzata
Walewska, loin des cantatrices vocalement en ruine à qui ce rôle est trop
souvent dévolu, est une émouvante Comtesse, tandis qu’Eve-Maud Hubeaux
(Pauline) fond le séduisant alliage de sa voix dans celui de Monogarova dans
leur duo du deuxième tableau du premier acte. Les sept rôles secondaires sont tout
aussi bien tenus, à l’instar du Chœur de l’Opéra du Rhin, impressionnant.
Bruno
Serrou
L’original de ce compte-rendu est paru dans le quotidien
La Croix du vendredi 19 juin 2015
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