Annecy, Ve Annecy Classic
Festival, Eglise Sainte-Bernadette, jeudi 28 août 2014
Annecy. façade de l'église Sainte-Bernadette ou se déroulent les concerts symphoniques de l'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Bruno Serrou
Conformément
à une tradition établie depuis sa première édition, c’est sur des concerts de
l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par son directeur
musical depuis 1988, Yuri Temirkanov, que l’Annecy Classic Festival conclut son
millésime 2014. La première des deux soirées de clôture a été entièrement
consacrée à l’école russe de composition, avec trois de ses représentants les
plus célèbres, Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Modest Moussorgski et Dimitri
Chostakovitch.
Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temirkanov dirige l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin
Ainsi,
après avoir « prêté » sa fabuleuse phalange symphonique
successivement à Zoltan Kocsis, Patrick Marco et Fayçal Karoui, Yuri
Temirkanov, qui en est le « patron » depuis vingt-six ans après en avoir
hérité d’Evgueni Mravinski, qui en avait lui-même été le souverain-maître pendant un demi-siècle, en a repris les
rênes pour les deux dernières soirées de l’été musical annecien. Même si nous
ne pouvons que regretter le fait que le chef russe assure considérer la
création musicale inconsistante, il faut convenir que ce qu’il fait avec ses formidables
instrumentistes, qui comptent aujourd’hui encore parmi eux un certain nombre d’éléments
ayant travaillé avec Mravinski, est proprement éblouissant, tant la fusion
chef/orchestre est totale. Ce qui d’ailleurs pose problème pour les solistes
guère habitués à se produire sous sa direction comme avec la formation
pétersbourgeoise peu familiarisés avec sa gestique et son anticipation dans le
développement du discours musical, sa battue se présentant avec deux mesures d’avance.
Ce qui, d’après les musiciens eux-mêmes, est une coutume chez les chefs d’orchestre
russes, notamment chez Valery Gergiev, qui est sur le même modèle d’anticipation.
Annecy. Annecy Classic Festival. Yuja Wang. Photo : (c) Yannick Perrin
Ainsi
de l’excellent Clément Saunier, jeune trompettiste français des plus brillants,
aujourd’hui membre de l’Ensemble Intercontemporain qui s’illustre en ce moment
au Festival de Lucerne, qui a fait le déplacement hier en voiture depuis la
Suisse jusqu’à Annecy pour dialoguer avec le piano jubilatoire de la séduisante
pianiste chinoise Yuja Wang dans le réjouissant Concerto n° 1 en ut mineur pour piano, trompette
et orchestre à cordes op. 35 que Dimitri Chostakovitch a composé au début des années 1930. Le
compositeur, qui le créa lui-même au piano à Leningrad le 15 octobre 1933, y
manie comme de coutume un humour grinçant sinon grotesque dans les mouvements
extrêmes où il use de citations de pages de Haydn et de Beethoven, tandis que
le Largo se fonde sur une valse lente
alors que le Moderato, où la
trompette est absente, tient de l’intermezzo. Yuja Wang en a donné une
interprétation vive, enjouée et d’une grande variété de coloris, confirmant son
exceptionnelle maîtrise, qui lui a permis de tirer de son Yamaha de concert des
sonorités de braise qui se sont déployées sans mal jusqu’au fond de l’église Sainte-Bernadette
où j’étais placé, faisant fi de la faible projection du son de ce bâtiment de
béton.
Clément Saunier. Photo : : DR
La brillante pianiste a dialogué avec fougue et onirisme avec la trompette vif-argent de Clément
Saunier, qui découvrait à la fois la pianiste, l’orchestre et le chef après n’avoir
fait avec eux qu’un seul filage, alors qu’il était installé derrière les
violoncelles. D’où ses infimes décalages avec ses partenaires et de légères
défaillances dans ses attaques. Ebouriffante et impétueuse dans le finale, Yuja
Wang a suscité un tonnerre d’applaudissements mais n’a pas daigné répondre à l’attente
du public, qui attendait pourtant une reprise de l’Allegro con brio final…
Annecy. Annecy Classic Festival. Alexander Kniazev. Photo : (c) Yannick Perrin
Le premier concerto pour piano de Chostakovitch
était précédé d’une autre œuvre concertante, mais pour violoncelle et orchestre
cette fois, puisqu’il s’est agi des célèbres Variations sur un thème rococo op. 33 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski.
Si l’on peut regretter que, contrairement à la veille où il avait donné
à l’orgue sa propre conception d’autres variations, les Goldberg de Jean-Sébastien Bach (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/a-annecy-alexander-kniazev-lianna.html),
Alexander Kniazev ait choisi une œuvre un peu courte que Mstislav Rostropovitch
a rendue populaire entre toutes, il faut convenir que le
violoncelliste-organiste russe en a transcendé l’essence. Cette œuvre atteste de
l’attachement au style galant du XVIIIe siècle du compositeur russe,
qui ne manifesta pourtant guère d’intérêt pour sa partition par la suite,
puisqu’il laissa son premier interprète, le violoncelliste allemand Wilhelm Fitzenhagen
(1848-1890), libre de modifier l’ordre des variations. Bien que la version
originale ait été redécouverte en 1956 et publiée dans l’édition critique
complète de Tchaïkovski, Kniazev a opté pour la tradition héritée de la
création. Dialoguant avec un orchestre irréprochable et un chef tout en
nuances, le violoncelliste n’a cessé de captiver, tirant de son instrument des
sonorités pleines et contrastées, réalisant, en dépit de son jeu au tour assez
sauvage, de sublimes pianissimi et
entretenant une belle connivence avec les cordes. La beauté de son instrument
au graves d’une profondeur saisissante, un vénitien de Matteo Goffriller (1659-1752)
attribué à Carlo Bergonzi (1683-1747) de Crémone, son jeu d’une puissance
inouïe doté d’un nuancier infini, ses résonances abyssales qui pénètrent le
corps de l’auditeur et ses timbres d’une sensualité et d’une chaleur vif-argent
sont magnifiés par le puissant contraste formé par cette extraordinaire
musicalité et l’homme qui les exalte qui semble tout droit sorti des forêts les
plus reculées de l’Oural. Porté par les applaudissements nourris du public,
Yuri Temirkanov ne s’est pas fait prier pour bisser avec un Kniazev réjoui l’ultime
variation et la coda (Allegro vivo)
de l’œuvre de Tchaïkovski.
Annecy. Annecy Classic Festival. Alexander Kniazev, Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin
Tandis
qu’il avait ouvert la première partie de son programme sur la courte Polonaise pour orchestre à la fois
hautaine et pleine de panache tirée de la scène de bal du premier tableau du
troisième acte de l’opéra Eugène Onéguine
(1878) de Tchaïkovski, Yuri Temirkanov a donné en seconde partie les Tableaux
d’une exposition de Modest Moussorgski dans l’orchestration de Maurice Ravel,
la « seule qui vaille en Russie » assure Temirkanov. Sa vision ample
et somptueusement colorée, s’appuie avec délectation sur l’immense palette de
timbres et de nuances de son Philharmonique de Saint-Pétersbourg, capable de
réaliser une véritable pyrotechnie, quel que soit le pupitre, des ppp de velours jusqu’à des fff d’airain, sans la moindre
défaillance. Cette ample partition de trente-cinq minutes se présente tel un
grand poème en dix saynètes soudées par le superbe thème russe richement
harmonisé de la Promenade qui se
présente à quatre reprises dans le développement de l’œuvre. Le chef russe et son
infaillible phalange ont réussi la gageure de donner une vie propre à chaque
tableau grâce au prégnant pouvoir de suggestion de cette exécution d’une
énergie singulière à laquelle on eut néanmoins aimé une assise rythmique un peu
plus ferme et des sonorités plus grondantes, notamment dans Catacombae. Sepulcrum romanum, et une approche plus grinçante et grimaçante du Ballet des Poussins dans leurs Coques et
la Cabane sur des Pattes de Poule.
Les sonorités « léchées » qui émanent aujourd’hui de tous ses
pupitres attestent de l’internationalisation des timbres de la Philharmonique
de Saint-Pétersbourg, qui semble avoir perdu ce qu’elle avait de
fondamentalement original pour gagner des couleurs plus pleines et sensuelles
qu’autrefois.
Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin
Après
le final triomphal de la Grande Porte de
Kiev concluant les Tableaux d’une
exposition, Yuri Temirkanov n’a pu résister à l’attente pressante et sonore
des spectateurs venus en nombre assister à son concert en donnant un premier bis susceptible de les apaiser,
un Impromptu de Schubert dans une
version pour orchestre à cordes, suivi d’un extrait plus vivifiant du ballet Casse-noisette de Tchaïkovski.
Ce concert est à écouter en streaming sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.
Bruno Serrou
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