Lyon,
Opéra national de Lyon, samedi 7 juin 2014
Verdi, Simon Boccanegra, Andrzej Dobler (Boccanegra), Ermonela Jaho (Amelia). Photo : (c) Bertrand Stofleth
Simon Boccanegra est l'un des chefs-d'œuvre
les plus accomplis de Giuseppe Verdi, surtout dans la révision qui scella la fructueuse
collaboration du compositeur avec le poète compositeur Arrigo Boito, qui donna Otello et Falstaff. C’est d’ailleurs dans cette version que l’ouvrage est
généralement programmé. Avec pour toile de fond Gêne au plus intense des querelles des Guelfes et des
Gibelins, Simon Boccanegra, le plus
politique et humain des opéras de Verdi est aussi l’un des plus sombres, et la
prédominance de voix graves ajoute à la noirceur du propos.
Verdi, Simon Boccanegra, Prologue. Photo : (c) Bertrand Stofleth
Pour sa dernière
production de la saison, comme de coutume depuis l’arrivée de Serge Dorny à sa
tête, l'Opéra de Lyon frappe un beau coup, quoique loin des splendeurs de la légendaire production
de Giorgio Strehler pour la Scala de Milan présentée à Garnier en 1978 et
reprise la saison suivante. Dans un décor
mobile simple de Patrick Bannwart, la mise en scène de David
Bösch vaut surtout par une direction d’acteur au cordeau. Côté scénographie, une
curiosité un rien agaçante, l’emploi de slogans écrits en anglais, clamés en
italien dans un théâtre français... L’impressionnante citerne réversible du
prologue qui s’ouvre ensuite regroupe tous les éléments de l’action et présente
une image saisissante, celle de Boccanegra tenant dans ses bras en hurlant le
cadavre de sa promise. Retournée, cette citerne devient avec son échafaudage le
palais du Doge de Gènes tour à tour salle de délibération et appartement privé
de Boccanegra, et cette pleine lune qui de sa lumière grise enveloppe les protagonistes d'un voile d'acier. L’axe de la conception de Bösch est la mort, l’absence et le
pardon ; ici la mort de la femme et la perte de la fille. La vision de ce
trinôme dramatique est si intense et tangible qu’elle ne cesse de bouleverser d’un
bout à l’autre de l'ouvrage.
Verdi, Simon Boccanegra. Pavel Cernoch (Adorno), Ermonela Jaho (Amelia), Andrzej Dobler (Boccanegra), Riccardo Zanellato (Fiesco). Photo : (c) Bertrand Stofleth
Dominée par le baryton
polonais Andrzej Dobler noble et incandescent Boccanegra, déchirant jusque dans
ses légères défaillances
vocales parfois proches de la fêlure, instille une touchante vulnérabilité à
cet être particulièrement mélancolique, la distribution confirme
un remarquable ténor à la voix ample, étincelante et étoffée, Pavel Cernoch, qui campe un Adorno lumineux à la
ligne de chant insolente d’assurance. Ermonela Jaho, soprano
généreux au timbre d’or qui n'est pas sans rappeler celle de Mirella Freni qui
fit ce rôle sien à l'époque d'Abbado et de Strehler, est une Amelia Grimaldi
incandescente. Riccardo Zanellato est un Fiesco un peu terne mais solide,
Ashley Holland (le jaloux Paolo Albiani) et Lukas Jakobski (Pietro son homme de
main) forment un duo de méchants des plus crédibles. Le chœur fait un sans-faute.
Verdi, Simon Boccanegra, final. Pavel Cernoch (Adorno), Ermonela Jaho (Amelia), Andrzej Dobler (Boccanegra), Riccardo Zanellato (Fiesco). Photo : (c) Bertrand Stofleth
Dans la fosse, le
jeune chef italien de trente ans Daniele Rustioni impose sa vision avec une
conviction conquérante. Il dirige en effet un Simon Boccanegra si
intense et sonnant si somptueusement, que l’on se surprend à se retourner régulièrement
vers les tuners fixés sur le parapet du premier balcon. Il sollicite avec panache
la partition particulièrement foisonnante de Verdi, le geste large, le bras
vigoureux, ferme et sûr. Il chante avec les chanteurs qu’il ne couvre malgré
les tempêtes qu’il déchaîne au sein de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, qui se donne
sans réserve et s’avère aussi précis dans tout le nuancier, tandis que les
solos foisonnent à satiété (la clarinette).
Bruno Serrou
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