Paris, Salle Pleyel, jeudi 5 juin 2014
Narek Hakhnazaryan (violoncelle), l'Orchestre national du Capitol de Toulouse, Tugan Sokhiev, direction. Photo : (c) Patrice Nin
L’Orchestre
National du Capitole de Toulouse et son directeur musical Tugan Sokhiev, qui
vient de prendre les mêmes fonctions au Théâtre du Bolchoï de Moscou, fonctions
qu’il occupe également au Deutsche Symphonie-Orchester de Berlin, sont depuis 2009
parmi les hôtes privilégiés de la Salle Pleyel, où ils se produisent trois fois
par an. L’on se souvient entre autres d’un Eugène
Onéguine de Tchaïkovski de braise en juin 2010. Depuis sa prise de fonction
en septembre 2008 à Toulouse, année où il a succédé à Michel Plasson, qui aura
présidé au destin de la phalange languedocienne pendant trente-cinq ans, le
chef nord-ossète a fait de cet orchestre dédié par son prédécesseur au
répertoire français une « machine » fort bien adaptée à la musique
russe. Sans avoir la sécheresse de timbre et les saillies sonores de ses semblables
russes, la formation de Midi-Pyrénées chante de
plus en plus dans son jardin. Sokhiev a réussi en peu de temps la gageure de
transmettre cette musique si caractéristique à un orchestre qu’il a rendu rutilant
et aérien et qui le suit dans la moindre de ses intentions avec une énergie et
un lyrisme à fleur de peau qui évite néanmoins tout pathos.
Mais la révélation pour une large part du public, et
une confirmation pour l’autre, les extraordinaires qualités d’un violoncelliste
de 25 ans, Narek Hakhnazaryan. Si l’on peut regretter qu’il ait choisi
une œuvre un peu courte que Mstislav Rostropovitch a rendue populaire entre
toutes, les Variations sur un thème
rococo op. 33 de Tchaïkovski, le jeune
artistes en a transcendé l’essence. Cette œuvre manifeste l’attachement pour le
style galant du XVIIIe siècle du compositeur russe, qui ne manifesta
pourtant guère d’intérêt pour sa partition par la suite, laissant son premier
interprète, Wilhelm Fitzenhagen libre de modifier l’ordre des variations. Bien
que la version originale ait été redécouverte en 1956 et publiée dans l’édition
critique complète de Tchaïkovski, Narek Hakhnazaryan a opté pour la tradition
héritée de la création. Malgré de petites approximations de cor solo, comme si
son titulaire était paralysé par le trac tant le vibrato était large, et du
côté des bois aux nuances trop fortes en regard des sublimes pianissimi du soliste, qui a entretenu
en revanche une belle connivence avec les cordes. La beauté de son instrument,
un David Tecchler de 1698 d’une puissance inouïe doté d’un nuancier infini, ses
résonances abyssales qui pénètrent le corps de l’auditeur et ses timbres d’une
sensualité et d’une chaleur saisissante, sont magnifiées par l’aisance et à la
simplicité du violoncelliste arménien.
Ne
voulant sans doute pas frustrer ses auditeurs, Hakhnazaryan a proposé trois
bis, commençant par un long et plaintif Lamentatio
de l’Italien Giovanni Sollima (né en 1962), qui sollicite à la fois les
qualités de chanteur et de panache du violoncelliste, puis Chonguri du violoncelliste et compositeur géorgien Sulkhan Tsintsadze (1925-1991) dans lequel les doigts des deux mains courent à se rompre sur les cordes du violoncelle, comme s’il s’agissait d’une
immense guitare. Pour apaiser le public, et le ramener en terre de
connaissance, il a achevé sa magnifique prestation sur une délicate Sarabande
de la Suite n° 3 pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach.
C’est
sur la Sixième Symphonie
« Pathétique » que le Capitole de Toulouse a conclu son concert.
Cette ultime symphonie de Tchaïkovski est l’une des pages du genre les plus
populaires du répertoire. Avec ses deux mouvements vifs encadrés par deux adagios, sa structure annonce celle de
la Neuvième Symphonie de Mahler, aux
climats plus ou moins comparables. Mais, contrairement à l’effet produit par
cette dernière, qui appelle inéluctablement sa conclusion Adagissimo, l’auditeur se laisse tellement porter par le
tournoiement fou du second allegro, qu’il en oublie le finale, incapable de
réfréner son émotion devant la vitalité foudroyante, la scansion rythmique
étourdissante jusqu’à en perdre haleine, qui emporte cet Allegro molto vivace. Pourtant, la « Pathétique » est en fait une introspection autobiographique
entreprise par son auteur en 1893 qui se présente tel un requiem pour le
compositeur-même, comme une prémonition qu’il aurait eue de sa propre mort,
bientôt poussé au suicide par un scandale privé. Vigoureuse,
colorée et concentrée, à l’exception du bal peut-être d’un Allegro con grazia un peu pesant et heurté, la lecture de Tugan
Sokhiev s’est avérée d’une tension dramatique proche du théâtre, l’Orchestre
national du Capitole de Toulouse de donnant sans compter avec une maîtrise
digne des grandes phalanges européennes, qui n’a laissé poindre aucun écart de
justesse ni défaut de cohésion.
Bruno Serrou
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