dimanche 18 mai 2014

Entretien avec le chef d’orchestre finlandais Mikko Franck, directeur musical désigné de l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Mikko Franck (né en 1979). Photo : (c) Jean-François Leclercq

A la tête d’une carrière enviable alors qu’il n’a que 35 ans, le chef d’orchestre finlandais Mikko Franck a été désigné voilà un an directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Il succédera ainsi à Myung Whun Chung en septembre 2015. Ce remarquable musicien au charisme étincelant s’est rapidement imposé en France, notamment aux Chorégies d’Orange en 2010 dans Tosca et 2013 dans le Vaisseau fantôme avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et en 2012, remplaçant au pied levé Pierre Boulez à la tête de l’Orchestre de Paris (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/12/remplacant-pierre-boulez-au-pied-leve.html).

Né à Helsinki le 1er avril 1979, violoniste de formation, élève de Jorma Panula pour la direction, Mikko Franck est l’un des chefs les plus doués de sa génération. Qu’il ait dirigé avant 23 ans les plus grands orchestres du monde n’est pas le fait du hasard. Très attendues, ses prestations constituent d’authentiques événements. Enfant de santé fragile, Mikko Franck n’en a pas moins dirigé son premier concert à 17 ans, à Helsinki. Très vite, ce sont tous les orchestres finlandais et ceux de Scandinavie qui l'invitent, puis les Philharmonia et Symphonique de Londres, les Philharmoniques d’Israël, Berlin, Munich, New York, Los Angeles, Symphonique de Chicago… En 2002, il est directeur artistique du Festival Kangasniemi en Finlande et de l’Orchestre National de Belgique, poste qu’il occupe jusqu’en 2007. En 2008, il prend les fonctions de directeur musical de l’Opéra national de Finlande à Helsinki.

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Mikko Franck et l'Orchestre Philharmonique de Radio France, Salle Pleyel. Photo : (c) Jean-François Leclercq

Bruno Serrou : Quand avez-vous dirigé votre premier concert ?
Mikko Franck : Professionnellement à 17 ans. J’ai dès lors commencé à travailler à plein temps, et beaucoup de concerts se sont enchaînés par la suite. J’ai donné le premier concert de ma carrière en Finlande avec le Philharmonique d’Helsinki. Moins d’un an plus tard, après m’être produit avec tous les orchestres finlandais, j’ai fait mes débuts internationaux avec l’Orchestre Symphonique de Jérusalem. Puis j’ai été invité en Europe, aux Etats-Unis, en Australie, en Asie. Tout est donc allé très vite.

B. S. : Vous avez toujours voulu être chef d’orchestre ?
M. F. : Pas toujours. Cela m’est venu à 5 ans. Avant, je ne savais pas quoi faire…

B. S. : Avez-vous appris à diriger ou estimez-vous avoir forgé seul votre apprentissage ?
M. F. : A 16 ans, j’ai eu la chance considérable de rencontrer Jorma Panula, avec qui j’ai étudié deux ans à Helsinki. Auparavant, je travaillais beaucoup par moi-même, je lisais énormément de partitions, symphonies, opéras. J’apprenais, ou plutôt je me préparais à devenir un chef d’orchestre.

B. S. : Que représente pour vous le fait de diriger un orchestre ?
M. F. : Je pense que le plus important est la communication, le fait de pouvoir communiquer avec les musiciens, qui les conduit à donner le meilleur d’eux-mêmes dans les meilleures conditions possibles. Pour moi, la musique résulte de la façon de communiquer. Je suis chef d’orchestre parce que je ne sais rien faire d’autre. Je voulais faire quelque chose de mon existence, la musique a toujours été une partie très importante de ma vie et je ne pouvais pas m’imaginer vivre sans musique. Si vous ne respirez pas, vous mourrez. Eh bien, si je ne fais pas de musique, je perds une part essentielle de ma vie.

B. S. : Vous dirigez partout dans le monde. Y-a-t-il des différences de culture entre les orchestres ?
M. F. : Oui. Mais je dois dire que les différences sont de moins en moins sensibles. Particulièrement ces dernières décennies. Parce que les musiciens voyagent beaucoup et que les recrutements sont de plus en plus ouverts à toutes les nationalités. Tant et si bien que les orchestres ont désormais des dispositions très internationales. Voilà quelques décennies encore, effectivement, on pouvait constater cultures et caractéristiques nationales dans les orchestres, mais maintenant ce n’est plus aussi simple de les identifier. Par exemple, vous pouviez écouter un enregistrement d’un orchestre et reconnaître immédiatement d’où il venait. Maintenant ce n’est plus le cas. Evidemment la diversité culturelle est toujours présente, mais, musiciens et chefs sommes aussi toujours plus internationaux et nous voyageons de plus en plus. Bien sûr, nous vivons tous dans une société qui nous est propre tout en étant plus ouverts sur le monde. Ainsi, tout ce que nous voyons et entendons autour de nous nous touche, nous change, et la façon dont nous allons interpréter l’art en général et la musique en particulier aussi. Dès lors, bien évidemment, tout cela se répercute dans notre façon d’aborder la musique et de la jouer. Mais la culture dont nous sommes l’émanation est beaucoup moins importante qu’elle l’était.

B. S. : Il se trouve aussi dans cette internationalisation du son l’instrumentarium qui tend à être partout le même, le fagott au lieu du basson la trompette à palettes au lieu des pistons, etc. Les chefs semblent chercher à retrouver les mêmes propriétés dans tous les orchestres qu’ils dirigent…
M. F. : C’est vrai, mais je dirai aussi que l’on utilise les instruments non pas selon le lieu d’où vient l’orchestre, mais selon le répertoire.

Mikko Franck. Photo : DR

B. S. : L’Orchestre Philharmonique de Radio France a été créé pour toucher à tout le répertoire, du classique au contemporain, mais aussi l’opéra. Quel va être votre politique artistique à la tête de cette formation ? Allez-vous en profiter pour élargir votre propre répertoire, ou au contraire travailler ce qui vous attire le plus ?
M. F. : Je pense que ce qui est très important avec cet orchestre, comme vous le dites vous-même, est qu’il est totalement universel. Son répertoire est extrêmement varié, tellement large. Dès lors, je pense qu’il est très intéressant de travailler sur cette amplitude. C’est d’ailleurs ce que je fais depuis le début de ma carrière. Il est vrai que je dirige des orchestres très divers dans un répertoire extrêmement vaste. Voilà pourquoi travailler avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France m’intéresse au plus haut point. Je crois qu’il faut poursuivre sur cette lancée et continuer à jouer un répertoire extrêmement souple qui permette d’offrir à notre public des styles très diversifiés d’époques différentes. Le fait de nous attacher à l’opéra est aussi très important. Le genre est fantastique pour les musiciens, parce que jouer un opéra est un autre métier à part entière, il faut être plus souple encore que dans la symphonie et le concerto. Je crois que tous les orchestres devraient jouer l’opéra, parce qu’il apprend la souplesse, à conduit à acquérir un jeu différent, à écouter le son autrement. Il est indubitable que l’Orchestre Philharmonique de Radio France a une riche histoire qui lui a permis de maîtriser un immense répertoire, ce qui est extrêmement positif, et nous allons continuer sur cette lancée.

B. S. : Qu’est-ce qui vous a conduit à accepter la proposition de Radio France, alors que vous dirigez d’autres orchestres français ?
M. F. : Je crois que l’Orchestre Philharmonique de Radio France a un potentiel énorme, en comparaison avec d’autres orchestres que j’ai pu connaître en France et que j’ai pu diriger. Les musiciens sont extrêmement compétents, motivés, prêts à apprendre davantage, à travailler mieux ensemble, et je trouve qu’il y a un potentiel qui peut être développé pour passer à un niveau supérieur encore. Comme je vous l’ai dit, ce qui a aussi déterminé mon choix, est que l’orchestre se sent chez lui dans des répertoires très disparates. Ce qui assez exceptionnel. En plus, il y a la structure Radio France qui offre de larges possibilités qui nous permettent de présenter notre musique à un public très large non seulement en France mais aussi en Europe à travers la radio mais aussi les nouveaux médias. Il y a aussi la nouvelle salle, l’Auditorium qui est inauguré le 14 novembre 2014, ce qui est particulièrement galvanisant. En outre, j’ai toujours aimé travailler avec cet orchestre, avec ses musiciens, même si j’aime évidemment travailler avec d’autres orchestres. Mais je trouve quelque chose de spécial dans l’ambiance du Philharmonique qui me rend très heureux. J’ai très envie de me lancer dans cette nouvelle aventure, de travailler avec les musiciens, l’orchestre et toute l’équipe qui est derrière. L’atmosphère est excellente, il y a une vraie volonté de travailler dur et de se lancer dans des expériences qui peuvent être encore plus belles pour notre public.

B. S. : Combien de semaines allez-vous diriger l’Orchestre Philharmonique de Radio France, et combien de programmes ?
M. F. : Je devrais diriger quinze programmes par an à Paris et ailleurs en France, et il faut ajouter les tournées internationales. Je travaillerai avec le Philharmonique environ dix-huit semaines par an.

B. S. : Garderez-vous d’autres activités permanentes, en plus de l’Orchestre Philharmonique de Radio France ?
M. F. : Oui, évidemment le Philharmonique travaille déjà avec des festivals,  ce qui me semble très important. Nous voulons bien sûr continuer avec les partenaires avec lesquels nous collaborons déjà, et en trouver de nouveaux, que ce soit en France ou à l’international. Bien sûr, je vais pour ma part continuer à avoir un agenda chargé. Car travailler dix-huit semaines avec l’Orchestre Philharmonique, me laisse trente-cinq semaines libres pour mes vacances et pour d’autres contrats.

B. S. : Aimez-vous travailler avec les compositeurs ? Le fait de diriger l’Orchestre Philharmonique de Radio France qui a l’habitude de travailler avec eux va-t-il vous inciter à développer ces collaborations, notamment pour la découverte de compositeurs français vivants ?
M. F. : Tout à fait. A nouveau, c’est une part très importante du répertoire de l’orchestre, comme vous l’avez dit. Passer des commandes d’œuvres nouvelles et interpréter des compositeurs non pas une seule fois mais plusieurs fois, est très intéressant pour moi. Je dois dire que je ne connais pas très bien à l’heure actuelle les compositeurs français, mais il est vrai que je me tourne constamment vers de nouvelles partitions. De ce fait, je tiendrai à m’assurer que nous avons dans nos programmes un large répertoire français contemporain. A cette fin, nous avons l’intention de passer huit nouvelles commandes par an, ce qui est tout de même beaucoup, mais cela me semble que capital, car c’est la promotion et la découverte des compositeurs français vivants est une responsabilité qui repose sur les épaules de l’orchestre. Mais pas seulement les compositeurs français, ceux d’autres pays aussi. Nous voulons néanmoins nous concentrer sur un certain nombre de compositeurs avec qui nous allons approfondir notre travail en les mettant en résidence un an. Ainsi, chaque saison un nouveau compositeur sera accueilli. La musique contemporaine étant une part très importante de notre activité, nous aurons de nombreuses opportunités pour faire connaître à notre public de nouveaux compositeurs.

B. S. : Le fait de quitter la Salle Pleyel pour vous installer dans le nouvel Auditorium de Radio France et donner un certain nombre de concerts à la Philharmonie de Paris, au contact d’orchestre comme l’Orchestre de Paris et de l’Ensemble Intercontemporain, cela va-t-il vous inciter à développer des collaborations avec les autres orchestres parisiens ? Irez-vous au-devant de nouveaux publics ?
M. F. : Pour le moment, la situation fait que les directeurs musicaux se concentrent sur leurs propres orchestres lorsqu’ils sont à Paris. Et je pense que ce sera la même chose pour moi. Le peu de temps que je passerai à Paris, je me concentrerai bien évidemment sur mon travail avec le Philharmonique. Mais il est habituel de procéder ainsi dans le monde. Chaque directeur musical a un temps précis à consacrer à l’orchestre et à la ville où il travaille. Nous aurons de nombreux chefs invités qui seront très intéressants les prochaines saisons. Il est important que quand je ne suis pas là il y ait de très grands chefs, non seulement confirmés mais aussi des jeunes. Il convient également de repérer de nouveaux artistes, qu’ils soient chefs ou solistes, pour que nous les fassions connaître au public. Je pense qu’à Paris la situation est fantastique puisqu’il y a de très bons orchestres qui travaillent très bien, et au sein-même de la radio il y a deux orchestres. Je pense que Paris et Radio France offrent des conditions magnifiques. Il n’y a pas de concurrence entre les orchestres, mais la volonté de proposer un large éventail de musique classique au public parisien et au-delà, et je crois que tous les orchestres parisiens ont des profils différents, ce qui est aussi très bon, ce qui explique d’ailleurs le fait qu’il y a autant d’orchestres. En tout cas, cela le justifie, ce qui est extraordinairement positif parce que nous pouvons ainsi offrir un très large éventail de musique classique au public dans des approches à la fois diversifiées et complémentaires.

B. S. : Vous dirigez à la fin de ce mois de mai, les vendredis 23 et 30, Salle Pleyel, deux concerts mettant en regard Claude Debussy et Einojuhani Rautavaara ? Quelles sont les relations entre ces deux compositeurs ?
M. F. : Debussy est un compositeur important pour moi, notamment dans la relation que j’ai établie avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France depuis plusieurs années. Nous avons même publié un premier CD Debussy, et nous allons continuer à l’enregistrer. Je tenais aussi à construire un programme avec Rautavaara parce qu’il s’agit d’un compositeur finlandais, comme vous le savez, et il est mon compositeur favori, celui que je préfère. En plus il est un excellent ami, et même s’il a plus de soixante-et-un ans de plus que moi, nous partageons un même goût pour la musique. C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait une bonne idée de faire connaître sa musique au public de l’orchestre parce qu’elle parle aussi de moi. Quand je commencerai dans un an à diriger dans mes fonctions de directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, je veux que les gens aient déjà commencé à me connaître, et je pense que la meilleure façon de savoir qui je suis est d’écouter la musique de Rautavaara qui mettra sur la piste de ma personnalité parce que je l’adore et qu’elle est mienne.

Recueilli par Bruno Serrou

Paris-Helsinki, mercredi 7 mai 2014 

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