mardi 6 mai 2014

Deux facettes de John Adams, un brillant "Doctor Atomic" à Strasbourg, un soporifique "A Flowering Tree" à Paris

Strasbourg, Opéra national du Rhin, vendredi 2 mai 2014 ; Paris, Théâtre du Châtelet, lundi 5 mai 2014

John Adams (né en 1947), Doctor Atomic. Dietrich Henschel (Robert Oppenhheimer). Photo : (c) Alain Kaiser

Ce mois de mai, le compositeur américain John Adams est à l’honneur avec deux opéras créés en 2005 et 2006 d’un intérêt diamétralement opposé, l’un qui révèle un John Adams étonnant d’ingéniosité, l’autre d’une platitude consternante, quoique tous deux sur des livrets de Peter Sellars. Alors que le Théâtre du Châtelet présente A Flowering Tree où il revisite la Flûte enchantée de Mozart (1), l’Opéra du Rhin donne en création française son Doctor Atomic (2) sur un sujet au tour faustien.

John Adams (né en 1947). Photo : (c) Margaretta Mitchell

La bombe du Doctor Atomic

John Adams (né en 1947), Doctor Atomic. Photo : (c) Alain Kaiser

Doctor Atomic ne s’inspire pas de Walt Disney ou de Tex Avery. Malgré son titre à consonance de comics, cet ouvrage est des plus graves et des plus tragiques, puisqu’il conte l’histoire de la mise au point de l’arme de destruction qui allait changer la face du monde, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à travers celui qui en fut le maître d’œuvre, Robert Oppenheimer.

John Adams (né en 1947), Doctor Atomic. Dietrich Henschel (Robert Oppenhheimer). Photo : (c) Alain Kaiser

Cet opéra de deux heures quarante en deux actes s’attache en effet à la personne du physicien Robert Oppenheimer et à la phase finale du Projet Manhattan qu’il dirigeait à Los Alamos et à la finalisation de la première bombe atomique en 1945. « Maintenant je suis la Mort, le destructeur des mondes », dira Oppenheimer le 16 juillet 1945 à l’issue de l’essai nucléaire Trinity sur le site Jornada del Muerto (Nouveau Mexique). Dans la mise en scène de Lucinda Childs, collaboratrice d’Adams et de Sellars pour la chorégraphie lors de la création de l’œuvre à l’Opéra de San Francisco le 1er octobre 2005, dans une scénographie simple mais impressionnante que Bruno de Lavenère conçue autour de la tour métallique porteuse de la bombe test au plutonium Gadget, cette production de Doctor Atomic prend tel un thriller, même si la direction d’acteur est relâchée. Les protagonistes ont la physionomie de leurs personnages, particulièrement Dietrich Henschel, clone quasi parfait d’Oppenheimer, Peter Sidhom, portrait craché du général Groves, responsable militaire du projet, et Merlin Miller celui du physicien Robert R. Wilson, tandis que l’Edward Teller - futur concepteur de la bombe H - de Robert Bork a la silhouette d’Yves Montand…

John Adams (né en 1947), Doctor Atomic. Photo : (c) Alain Kaiser

La musique d’Adams est d’une force tellurique, plus inventive que de coutume et remarquablement orchestrée, loin du minimalisme des premières années, et l’écriture vocale d’une limpidité extrême. Le compositeur use même d’une partie électronique discrète mais efficace et utilisée à bon escient. Une musique tendue, qui conduit au silence sur lequel se conclut l’œuvre tandis que de déchirantes paroles sur bande électronique dites off par une voix de femme en japonais renvoient à la terreur d’Hiroshima et Nagasaki. Dominée par Anna Grevolius, Kitty femme d’Oppenheimer, Peter Sidhom et Robert Bork, la distribution est d’une grande homogénéité, bien que Dietrich Henschel campe un Oppenheimer, personnage omniprésent, trop lointain. Renforcé d’une douzaine de musiciens, l’Orchestre Symphonique de Mulhouse sert la partition avec énergie, malgré des imperfections de cuivres, sous la direction opiniâtre et vigilante de Patrick Davin.

John Adams (né en 1947), A Flowering Tree. Photo : (c) Marie-Noëlle Robert - Théâtre du Châtelet

Un Arbre en fleurs sans magie

John Adams (né en 1947), A Flowering Tree. Photo : (c) Marie-Noëlle Robert - Théâtre du Châtelet

En revanche, ce que le Théâtre du Châtelet donne à voir et à entendre déçoit. A commencer par le livret, aux clichés si prégnants que l’on peut aller jusqu’à le qualifier de niais. Si The Flowering Tree (l’Arbre en fleurs) tient de la Flûte enchantée, il n’en a ni la portée philosophique, ni la grâce, ni l’humour, et surtout pas la fraîcheur et la spontanéité, et la partition est d’une platitude tout aussi affligeante, comme si, à un an de distance, Adams et Sellars n’avaient pas eu le temps de retrouver leurs marques et leur souffle, pressés de répondre à leurs commanditaires. 

John Adams (né en 1947), A Flowering Tree. Franco Pomponi (le Narrateur). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert - Théâtre du Châtelet

Créé le 14 novembre 2006 à Vienne dans le cadre du deux cents cinquantenaire de la mort de Mozart à qui il rend hommage, cet opéra de deux heures dis en deux actes adaptés d’un conte indien relate l’histoire d’une jeune fille pauvre, Kumudha, qu’un prince, séduit par son aptitude à se métamorphoser en arbre en fleurs, demande en mariage. A l’instar de la Flûte enchantée, s’ensuivent diverses épreuves qui scellent l’amour des héros. La partition est consternante de truisme, banale et sans saveur, et l’on s’ennuie ferme tout au long de l’œuvre. Au point que quantité de sièges se sont libérés à l’entracte, certains même en cours de représentation, tandis qu’à la fin le spectacle a été accueilli par des applaudissements polis. Comme il l’avait fait en 2008 pour l’opéra Padmâvatî d’Albert Roussel dont l’action a l’Inde pour cadre, le Châtelet a confié la mise en scène à un cinéaste indien venu de Bollywood, cette fois le réalisateur, écrivain, scénariste, producteur et compositeur Vishal Bhardwaj. A contrario de ce qu’avait donné à voir son prédécesseur dans les murs du Châtelet, Sanjay Leela Bhansali, qui, dans Padmâvatî, avait saturé le plateau d’or, de chatoyances et d’animaux, dont un éléphant, Vishal Bhadwaj, tout en demeurant dans le kitsch, donne dans le dénuement, ce qui n’empêche quelques belles images dues au scénographe Sudesh Adhana, également chorégraphe et danseur de cette production. Tant et si bien que l’on s’ennuie ferme, et que l’on a hâte que le spectacle se termine enfin, même si l’on est séduit par la plastique des marionnettes conçues par Dadi Pudumjee portées à hauteur d’homme les manipulant vêtus de noir. 

John Adams (né en 1947), A Flowering Tree. Paulina Pfeiffer (Kumudha). Photo : (c) Marie-Noëlle Robert - Théâtre du Châtelet

Réduite à trois chanteurs, à un chœur et à  deux danseurs, la distribution est dominée par le narrateur puissant et ardent du baryton étatsunien Franco Pomponi et au danseur alter ego du prince Sudesh Adhana, également scénographe et chorégraphe de la production. La soprano suédoise Paulina Pfeiffer campe une Kumudha déliée, et le ténor britannique David Curry un prince quelque peu effacé. Malgré une direction appliquée et un Orchestre Symphonique Région Centre - Tours, coproducteur du spectacle, plutôt clair malgré ses imperfections (premier violon rêche, bois manquant de mordant et cuivres incertains), l’œuvre traîne en longueur, et la partition paraît fade et vaine.

Bruno Serrou

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