Depuis trente-deux ans à la tête du Festival de Saint-Céré qu’il anime
avec une énergie toujours renouvelée, Olivier Desbordes n’a de cesse que de se
remettre continuellement en question. Après avoir fermement ancré la structure
Opéra Eclaté en région Midi-Pyrénées, il se donne désormais une triple mission en
ouvrant ses projets autant à l’opéra qu’au théâtre musical, disciplines auxquelles
il a ajouté voilà deux ans le théâtre dramatique, auquel il consacre un
festival à Figeac en juillet. Ainsi, dans un proche avenir, il espère que le
ministère de la Culture lui octroiera un nouveau statut dans l’esprit Scène
nationale. Ce qui lui permettrait de sanctuariser autant l’activité de sa
structure que son budget. Ce qui devrait ainsi l’autoriser à produire à l’année
des spectacles pour les publics dits « empêchés » du nord des départements
du Lot et de la Dordogne, et de mettre artistes et équipes de productions en
résidence autour de projets.
Mozart, Don Giovanni. Marlène Assayag (Donna Anna) et David Ghilardi (Don Ottavio). Photo : Festival de Saint-Céré, DR
En
attendant la prochaine édition, où seront présentés trois nouveaux spectacles, dont
les opéras-commedia
dell’arte Arlecchino de Ferruccio
Busoni et Paillasse de Ruggiero Leoncavallo,
et le musical The Cradle Will Rock de
Marc Blitzstein et Orson Wells, le Festival de Saint-Céré
2013 ne propose qu’une seule nouvelle production. Consacrée au Don Giovanni de Mozart, sa première,
mardi, n’a pas eu de chance. L’orage annoncé le matin pour le
soir sous forme d’« alerte orange » a en effet eu raison de sa
présentation dans la cour carrée du beau château Renaissance de Castelnau-Bretenoux,
obligeant les organisateurs au repli dans la halle des sports de Saint-Céré. Si le
spectacle a pu ainsi être sauvé, ce ne fut pas sans frayeurs, avec un orage
précédé d’une tornade de vent dont le souffle envahit violemment une salle
surchauffée ouverte aux courants d’air, des rideaux cachant les issues et
pupitres des musiciens, alors qu’une pluie diluvienne rebondissant sur la
toiture métallique couvrait la musique que les artistes continuaient imperturbablement
à interpréter…
Mozart, Don Giovanni. Christopher Gray (Don Giovanni). Photo : Festival de Saint-Céré, DR
Après
l’avoir lui-même mis en scène deux fois, Olivier Desbordes a confié le
troisième Don Giovanni produit par le
Festival de Saint-Céré au comédien chanteur metteur en scène Eric Perez, qui en
fait un héros à la froide détermination et à la juvénile violence. C’est la
version de Prague (1787), qui fait notamment abstraction du second air de Don
Ottavio, qui a été choisie plutôt que celle de Vienne (1788). Tout de blanc
vêtus, les protagonistes ont l’âge de leurs rôles, et le héros est porté par une
férocité animale, à l’instar de nombre de jeunes gens d’aujourd’hui. Le décor
fait d’un praticable où sont accrochés de beaux costumes polychromes XVIIIe
avant de devenir sombre cimetière devant lequel sont poussés des échelles de
bibliothèque puis, au pénultième tableau, installée une table de festin, permet
à l’action de se développer clairement, tandis que les récitatifs joués en
français aident à la compréhension de l’intrigue sans pour autant nuire à la
fluidité dramaturgique. A la fin du spectacle, tandis que les victimes de Don
Juan s’expriment dans le somptueux sextuor qui conclut la partition, ce dernier
émerge du grand voile dont l’avait recouvert le spectre du Commandeur avant de
s’asseoir pour écouter la morale de l’histoire, « Don Giovanni étant
condamné à vieillir, ce qui est pire pour un homme tel que lui, que de
disparaître au faîte de la jeunesse englouti par l’Enfer », remarque
Olivier Desbordes.
La direction
d’acteur est habilement réglée, et la jeune troupe s’y glisse naturellement. Cette
dernière est dominée par les femmes. Carol Garcia est une séduisante Elvira à la voix de
velours, Marlène Assayag campe une Anna déchirée aux coloratures bien contrôlées,
et Marion Tassou une rayonnante Zerlina. Chez les hommes, Jean-Loup Pagésy,
déjà remarqué dans Lost in the Stars
de Kurt Weill (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/10/un-chef-duvre-meconnu-de-la-periode.html),
incarne un impressionnant Commandeur, Xiaohan Zhaï séduit dans sa prise de rôle
de Leporello, et David Ghilardi un Don Ottavio plutôt mâle. En revanche, malgré son enthousiasme conquérant, le Don Juan
Christopher Grey déçoit vocalement, sa voix manquant de carnation, à l’instar de
Julien Fanthou en Masetto.
Mozart, Don Giovanni. Christopher Gray (Don Giovanni) et Xiaohan Zhaï (Leporello). Photo : Festival de Saint-Céré, DR
Dominique Trottein, qui a également tenu le rôle de
M. Sécurité en courant fermer les portes au départ de l’orage, dirige avec
énergie un Orchestre Opéra Eclaté sûr (le chœur est plus aléatoire) qui lui
permet d’offrir un Don Giovanni
vigoureux, malgré quelques passages trop retenus, comme la sérénade qui ouvre
le second acte, où la mandoline est remplacée par le premier violon jouant
pizzicato, tandis que les musiques de scène sont jouées depuis l’orchestre
disposé il est vrai sur la scène, à jardin.
Philippe Léogé (piano) et Jean-Marc Padovani (saxophone). Photo : (c) Bruno Serrou
La veille de ce Don Giovanni, un public enthousiaste réuni sous les murs du château de Montal, magnifique bâtisse de la première Renaissance dans la commune de Saint-Jean-Lespinasse, a écouté avec un bonheur non feint à un concert conçu et joué par le pianiste toulousain de jazz Philippe Léogé, avec le saxophoniste Jean-Marc Padovani, qui ont improvisé sur des œuvres des compositeurs du Lauragais Déodat de Séverac et le Catalan Frederico Mompou, dont ils ont tiré la quintessence tout en se faisant si originaux que bien forts ont été ceux capables d'identifier les thèmes initiaux...
Bruno Serrou
1) Ce Don Giovanni sera repris à Saint-Louis
le 5 octobre, Perpignan les 12 et 13 octobre, Grenoble les 17 et 18 décembre,
Cognac le 18 février, Massy-Palaiseau les 5, 7 et 9 mars 2014, Le Chesnay le 14
mars, Cahors le 20 mars, Figeac le 21 mars et Andrésy le 23 mars
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