Œuvre de jeunesse de Serge Prokofiev
(1891-1953) composée en pleine Première Guerre mondiale, entre 1915 et 1917 -
sa création était prévue en 1917 à Saint-Pétersbourg, projet condamné par la
révolution d’Octobre -, l’opéra le Joueur, op. 24 a finalement connu les feux de la rampe dix ans après l’exil
du compositeur, le 29 avril 1929, au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles
et en français, non sans quelques révisions. Il disparut aussitôt de l’affiche pour
un quart de siècle, et il ne sera donné pour la première fois en URSS que dix
ans après la mort de son auteur, en 1963.
Puisée chez Fiodor Dostoïevski,
l’action de l’opéra a pour cadre une ville d’eau allemande au nom symbolique de
Roulletenbourg. Le personnage central est un général russe à la retraite
incapable d’échapper à sa passion pour le jeu, au point qu’il n’hésite pas
vendre son âme. Cette partition est née pendant la période fauve de Prokofiev.
Un Prokofiev magicien de la couleur, agile rythmicien, incisif et sarcastique.
« L’orchestration des "étreintes"
du quatrième acte m’a donné bien des soucis, écrit-il sans son journal. Après
quoi j’ai fait une petite fin légère et rapide et, le 22 janvier,
l’orchestration du Joueur était terminée. Cette orchestration a traîné
en longueur, [mais] le quatrième acte sera intéressant et avec des sonorités
nouvelles. »
Œuvre
de jeunesse, le Joueur n’en atteste pas moins d’une pleine
maîtrise de la voix et de l’orchestre qui autorise une caractérisation au
cordeau de la faune d’une salle de jeu à travers une trentaine de personnages, anti-héros
dont la préoccupation centrale est l’argent et son utopie, qu’il vienne du jeu
ou d’un héritage.
Valery
Gergiev a fait de cet opéra l’un de ses chevaux de bataille. Il l’a d’ailleurs enregistré
pour Philips, qui l’a publié en 1996 dans sa remarquable collection « Kirov »
aujourd’hui disparue, alors que la même production était présentée à Paris en
février de cette année-là au Théâtre des Champs-Elysées, dans une mise en scène
de Temur Chkheidze et une scénographie de George Tsypin. L’enregistrement DVD
proposé aujourd’hui par le label du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg dont
Gergiev est la figure tutélaire a été capté en 2010 dans une autre mise en
scène signée du même Temur Chkheidze, plus sobre et illustrative que la
précédente dans ses décors de Zimovy Margolin, et moins flamboyante que celle
de Dimitri Tcherniakov pour Daniel Barenboïm disponible en DVD chez Unitel.
Chkheidze sert néanmoins d’assise cohérente à la direction irrésistible de Valery
Gergiev, qui chante dans son jardin. Le chef russe est à la tête d’une
distribution idoine menée par l’extraordinaire ténor Vladimir Galuzin dans le
rôle d’Alexeï, entouré entre autres des remarquables Sergei Aleksashkin (le
Général), Tatiana Pavlovskaya (Polina) et Larisa Dyadkova (Babulenka).
Bruno Serrou
1 DVD Mariinsky MAR0536 (2h06mn).
Réalisation vidéo : Laurent Gentot
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