Homme discret, raffiné et délicat, esprit aussi ouvert que rigoureux, artiste complet, Hèctor Parra compte parmi les
compositeurs les plus fins de sa génération. Né à Barcelone le 17 avril 1976,
il a étudié la composition, le piano et la direction de chœur au Conservatoire
supérieur de sa ville natale, avant de suivre le Cursus de composition et d’informatique
musicale de l’IRCAM puis des master classes à Royaumont, au Centre Acanthes et
à la Haute école de musique de Genève auprès de Brian Ferneyhough, Jonathan
Harvey et Michael Jarrell. Il a également obtenu un DEA en Sciences et
technologie des arts à l’Université Paris VIII sous la direction de Horacio Vaggione.
Il est aujourd’hui professeur de composition électroacoustique au Conservatoire
supérieur de musique d’Aragon.
Hèctor Parra puise son
inspiration dans des univers artistiques et scientifiques qui sont autant d’éléments
constitutifs de sa musique. Ainsi, l’influence des arts plastiques qu’il pratique encore de façon suivie et sa fascination pour la peinture, plus particulièrement
pour l’œuvre de Cézanne dont il a reproduit les textures en timbres, imprègnent
sa propre création, à l’instar de la physique et de la biologie évolutive,
comme l’atteste notamment son opéra Hypermusic Prologue écrit sur un
livret de la physicienne Lisa Randall, créé en 2009 dans le cadre du festival
Agora (1), Stress Tensor et
Mineral Life. Exigeante, complexe et radicalement personnelle, cette
musique n’en touche pas moins l’âme et le cœur, s’avérant aussi expressive et
pleine de surprises. Si le timbre est au coeur de ses recherches qui se concrétise dans des structures sonores souvent saturées et pétulantes d’énergie,
le discours est toujours strictement mené, au sein d'une
pensée structuraliste qui organise et morcelle la forme globale. En témoigne ce nouveau
CD monographique d’un compositeur assez prolifique, qui réunit ici trois œuvres
récentes, dont la pièce pour grand ensemble de vaste ampleur Caressant l’Horizon donne son titre.
Hèctor Parra (né en 1976). Photo : (c) Elisabeth Schneider, DR
Mais la première des trois œuvres
réunies dans ce CD, d’une durée deux fois moindre et requérant un effectif cinq fois plus
petit, Early Life pour quintette
comprenant hautbois, piano, violon, alto et violoncelle, commande de la
Fondation Ernst von Siemens dédiée à Jaime González et à l’Ensemble Recherche, se
fonde sur les théories sur l’origine de la vie établies par le physicien
Alexandre Graham Cairns-Smith selon lesquelles certains silicates - ou
minéraux - seraient capables de reproduire des erreurs dans leurs structures
cristallines organiques. De la sorte, les
minéraux pourraient synthétiser des substances organiques,
un phénomène émergent qui progressivement se transforme en « génétique inorganiques ». Ce procédé sert de fondement à la structure
formelle d’Early Life. Le quatuor avec piano représente les silicates et le hautbois
solo est la métaphore du composé carbone ; un processus universel de
développement intérieur devient ainsi évident. « Les phrases jouées par le trio de cordes et le piano -
le gène musical -, convient le compositeur, deviennent plus riches, plus
polymorphes et la corrélation entre le matériau et les textures du son plus
complexes alors que le hautbois apparaît finalement comme le porteur d’une
nouvelle architecture musicale. Ce qui est d’abord percussif, sans résonance,
discordant, grossier, inerte et isolé, devient multiforme, polyphonique, harmonique,
continu et organique. » Ainsi, Parra soumet-il ici son
matériau à un développement organique – du « gène » musical, sec et
bruitiste, à l’ampleur polyphonique et résonnante de la sonorité d’où émerge un
somptueux solo de hautbois.
Hèctor Parra. Photo : (c) Jean Radel, DR
Dans Stress Tensor (Tenseur de stress) composé en 2009 et révisé en 2011 pour ensemble
de six musiciens (flûte/piccolo, clarinette/clarinette basse, piano et trio à
cordes), Parra se réfère à la relativité d’Albert Einstein dont il dit nourrir
sa pensée compositionnelle. « Ce dont vous êtes dépositaire peut être transformé en un clin d’oeil, le
temps présent altéré par la mémoire, écrivait Hèctor Parra en 2008 dans sa note
d’intention. La musique est un drame abstrait qui cisèle dans l’espace et le temps
musical la concentration d’un instant magique de liberté créative. Grâce aux
prismes de notre perception, les événements musicaux, qu’ils soient abrupts ou
évanescents, se conjuguent et offrent une forte expérience vitale. En quelques
secondes, les entrelacs de divers états d’émotions, d’énergies multiples, se
télescopent et coexistent. Nous
sommes alors (compositeur et auditeur) appelés à vivre chaque instant avec une
intensité et une concentration maximale. Ainsi, ce processus peut nous placer
dans une qualité ”d'extension
dimensionnelle” de
l’espace-temps grâce à laquelle nos pensées et notre expressivité peuvent se
libérer et créer. En termes techniques,
pour cette aventure ”hypersonique”, j’ai réalisé une
fusion intégrale liant les timbres, les rythmes et les harmonies. J’ai également
décliné une polyphonie qui n’entrelace pas uniquement des lignes mélodiques
indépendantes, mais qui développe sa fonction en direction des agglomérats de
couleurs instrumentales afin de créer un timbre global qui évolue dans sa
propre temporalité. Par
l’intermédiaire de ces différentes techniques de ciselage, j’ai sculpté cette
pièce d’une dimension macroscopique à un niveau microscopique. Ainsi, ce
travail reflète-t-il ma certitude qu’un degré élevé d’intégration entre ces
différents paramètres musicaux permet de réaliser une forte plasticité sonore.
Cette intégration peut devenir un moyen fiable de concrétiser de nouveaux
modèles d’expressivité musicale. » Œuvre de dix-huit minutes, Stress Tensor est le fruit d’une commande de l’Ensemble
Contrechamps, son dédicataire qui l’a créé le 19 janvier 2010 Salle Ernest Ansermet
à Genève sous la direction de Jurjen Hempel. Le geste est le moteur de l’œuvre,
martelée par le silence et projetée par vagues d’énergie vitale.
Continuellement renouvelé, le matériau rutile, y apparaissant quasi minérale.
Ces qualités sont magnifiées dans
Caressant l’Horizon,
l’œuvre éponyme du CD. Cette partition d’une trentaine de minute a été écrite
pour l’Ensemble Intercontemporain qui l’a créée le 9 novembre 2011 Cité de la
Musique à Paris sous la direction d’Emilio Pomárico et réunit vingt-sept
instrumentistes (2 flûtes/piccolo, hautbois, cor anglais, clarinette,
clarinette basse, basson, contrebasson, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones,
tuba, 3 percussionnistes, harpe, 3 violons, 2 altos, 2 violoncelles, contrebasse).
Caressant l’horizon
est sans doute la partition la plus audacieuse et impressionnante écrite à ce
jour par un compositeur à l’imaginaire foisonnant. L’œuvre renvoie cependant à
l’opéra Hypermusic
Prologue
(2009) conçu par Parra avec la collaboration de la physicienne Lisa Randall et
qui avait nécessité la présence de l’électronique. Fasciné par les grandes
théories physiques du XXe siècle, Parra dit avoir porté plus loin, mais cette
fois avec les seules ressources instrumentales, l’exploration acoustique d’une
matière sonore soumise à l’épreuve du choc des trous noirs tels que définis par
les astrophysiciens, ces « seuils infranchissables où l’énergie est la plus
forte ». Cette violence tellurique engendre une texture sonore foisonnante
mais que le compositeur contrôle et soumet à des métamorphoses extraordinaires.
Durant près d’une demi-heure de jaillissement continu n’autorisant que de
courts répits finement consentis, l’écoute est toujours stimulée par la
fulgurance du geste instrumental qui opère par strates sonores superposées,
libérant une zone de résonance scintillante et polymorphe. « Dans Caressant
l’Horizon, convient le compositeur, j’ai été mis en mouvement par la
référence à la physique relativiste, mais plus encore par le rapport entre le
monde qu’elle décrit, fortement recourbé par des énergies inconcevables, et la nature
et l’évolution de la vie sur la Terre, de notre propre existence dans cet îlot d’espace-temps, comprimé, de notre planète et des régions environnant le système solaire. Caressant l'Horizon devient ainsi un voyage musical d’un caractère quasi onirique
qui conduit à la limite des forces physiques où la matière est
si concentrée que la courbure du temps et de l'espace se fait infinie yandis que l’espace-même, conformément à la relativité générale d’Einstein, se déchire. Ainsi, tout en
essayant de “caresser” et “palper acoustiquement” les trous noirs et leur
horizon d’événements, Caressant l'Horizon adopte la forme d’une “expérience de pensée” qui se suscite, en tant
qu’architecture musicale, une extraordinaire expérience d’écoute. Mais, considérant l'humanité prisonnière du temps, à l'instar de l’univers dans son ensemble, ce voyage est une expérience à vivre, à expérimenter sensuellement, et à ne
pas penser dans l’abstrait. » Parra explore ici le son jusqu’aux
limites de la matière, l’horizon marquant le seuil inaccessible où l’énergie l’emporte
sur tout autre élément. Il oppose deux dimensions apparemment antinomiques, l’espace
exigu qui est le nôtre en regard de l’immensité de l’univers où la relativité
générale d’Albert Einstein entrevoit la courbure optimale de l’espace-temps. L’orchestre
s’avère d’une puissance phénoménale, avivée par la vigueur d’une percussion singulièrement
présente, tout en ménageant des plages d’une grande sensualité et des nappes
toujours mouvantes suscitées par des micro intervalles qui magnifient une
harmonie somptueuse. »
Les explications plus ou moins
abscons pour le commun des mortels - dont je suis - exprimées par le compositeur
n’empêchent pas le plaisir de l’écoute et le ressenti direct de cette musique singulièrement énergique et vivante qui s’avère en vérité fort expressive. L’excellence
des interprètes - l’Ensemble Recherche et l’Ensemble Intercontemporain, ce dernier
sous la direction idoine d’Emilio Pomárico - et la grande qualité de l’enregistrement
servent à la perfection la riche inventivité et la pensée hors normes de l’un
des compositeurs les plus originaux de sa génération.
Bruno Serrou
Hèctor Parra, Caressant l’Horizon.
Col legno WWE 1CD 40402
1) CD Kairos « Sirènes »
0013042KAI, 2010
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