vendredi 17 août 2012

Le Festival de Verbier, pépinière huppée pour jeunes musiciens d’orchestre de haut rang


Verbier (Suisse), Salle des Combins, église, places, samedi 21 et dimanche 22 juillet 2012 
 Photo : (c) Bruno Serrou
A Verbier, station huppée du Valais suisse, les hiatus sont nombreux. Le moindre n’est pas la diversité des générations : la jeunesse des musiciens est souligné par la moyenne d’âge du public qui atteint des sommets dignes des montagnes environnantes. Un public de femmes embijoutées et fourrurisées et d’hommes en smoking et cheveux blancs coupés de près roulant en limousines et 4x4 tous plus encombrants et polluants les uns que les autres. Les soirées d’après-concert sont organisées dans de fastueux chalets de riches mécènes, dont quelques français. Pourtant, dans ce lieu opulent mais au cadre enchanteur qui domine la haute vallée du Rhône, l’ambiance est au travail et à l’écoute. Les concerts ont lieu un peu partout dans le village, places, églises, hangars, à toute heure du jour, du matin au soir, les plus importants étant donnés sous un énorme chapiteau plus accessible qu’auparavant et à l’acoustique améliorée par rapport à ce qu’il en était voilà quatre ans. 
 Charles Dutoit (au centre) dirige une répétition de Pelléas et Mélisande de Debussy. A droite, Stéphane Degout (Pelléas)
Photo : (c) Bruno Serrou
« L’Orchestre du Festival de Verbier est une expérience incomparable, se félicitait le jeune violoncelliste français Bruno Delepelaire qui en était en juillet l’un des cent heureux élus. Après deux semaines de préparation aux divers programmes, nous travaillons  trois semaines durant avec des chefs et des solistes internationaux éminents avec qui nous nous produisons tous les trois jours. » Elève du CNSMD de Paris, se préparant à entrer en septembre dans l’Académie Karajan de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, Bruno Delepelaire, que je réentendrai trois semaines plus tard à l’Académie de musique de chambre de La Roque d’Anthéron, était à 22 ans pour la troisième et dernière fois de l’orchestre de Verbier. S’il souhaite continuer à côtoyer dans cette station du Valais suisse ses semblables et à se perfectionner aux métiers d’orchestre, il peut postuler au Verbier Festival Chamber Orchestra, formation d’exception qui travaille les répertoires baroque et classique. « Plus encore que le Gustav Mahler Jugendorchester avec lequel je me suis produit trois ans, Verbier est particulièrement formateur. Tandis que le premier se réunit par sessions sous la houlette d’un grand chef d’orchestre, le second est dirigé par différents maestros, plus réputés les uns que les autres. C’est pourquoi beaucoup de jeunes instrumentistes du premier se retrouvent ensuite dans le second. » Ainsi, pour animer la 19e session du VFO se sont succédés Charles Dutoit, son directeur musical, Jaap Van Zweden, Neeme et Paavo Järvi et Manfred Honeck qui ont dirigé ces jeunes de 17 à 29 ans sélectionnés parmi 1120 candidats du monde entier. Tandis que cette formation répétait Pelléas et Mélisande de Claude Debussy avec Dutoit, en présence de Simon Rattle venu accompagner sa femme Magdalena Kozena qui chantait Mélisande aux côtés de Stéphane Degout, et les vieux routiers José Van Dam (Golaud) et Willard White (Arkel), l’orchestre de chambre donnait en version semi-concertante les Noces de Figaro sous la direction de Paul McCreesh, qui a exigé cors et trompettes naturelles, instruments que découvraient les musiciens, à l’instar du chef britannique qui se mesurait pour la première fois à l’opéra de Mozart. L’un et les autres se sont pourtant distingués dans cette sublime partition par un dialogue pétillant avec une distribution de chanteurs aguerris pour la plupart ex-stagiaires de l’Académie de Verbier (Joshua Hopkins, Sylvia Schwartz, Emöke Barath, Ilker Arcayürek).
 Justin Hopkins, Catherine Wyn-Rogers, Sylvia Schwartz et Gabor Betz 
(de haut en bas et de gauche à droite) - Photo : (c) Aline Paley
Tandis que les musiciens des orchestres sont rémunérés, ceux de la Verbier Festival Academy (10 chanteurs et 32 instrumentistes) sont boursiers des Amis du Festival. « Nous découvrons le répertoire et les musiciens avec qui nous formons des quatuors, s’enthousiasmait Léa Hennino. Ainsi nous apprenons et nous enrichissons autant sur le plan artistique que sur le plan humain. » Elève du CNSMD de Paris, cette altiste de 21 ans travaillait le Trio pour violon, alto et piano de Brahms dont elle rêvait depuis toujours avec des maîtres aussi divers que Yuri Bashmet, Alfred Brendel, Thomas Quasthoff ou Ileana Cotrubas, chacun amenant sa pierre à la mise en place du trio. Trois semaines d’immersion totale avant de jouer en public l’œuvre travaillée avec des musiciens qui lui étaient jusqu’alors inconnus et avec qui elle aura tissé des liens professionnels, véritable tremplin de carrières futures. Pour l’édition 2013, sa vingtième, le festival accueillera en plus 300 musiciens de 15 à 17 ans qui recevront les conseils des plus grands artistes de notre temps. « Les inscriptions se font sur Internet, prévient Christian Thompson, directeur de l’académie. Les candidats doivent y placer des vidéos où ils jouent et se présentent en répondant à des questions qu’ils trouveront sur le site. »
Photo : DR

Mais Verbier, ce sont aussi récitals et concerts de musique de chambre. Ainsi, Elisabeth Leonskaja a-t-elle proposé un remarquable programme en l’église de Verbier réunissant une Sonate n° 12 de Mozart solide et poétique, des Papillons de Schumann délicatement évocateurs, une plus rare Sonate n° 2 de Tchaïkovski altière et colorée, avant de conclure sur un élégiaque Nocturne de Chopin. Autre concert en l’église de Verbier, cette fois au tour rare et grave, puisqu’il s’agissait d’un hommage aux musiciens morts dans les camps de concentration nazis, tous passés par le sinistre Terezin non loin de Prague avant de disparaître à Auschwitz dans les conditions que l’on sait. La soirée a été conçue par le violoniste Daniel Hope, qui a présenté le contexte de la genèse de chaque œuvre et le destin de son auteur avant de la jouer, entouré de ses partenaires tous plus prestigieux les uns que les autres, Sylvia Schwartz (soprano), Gabor Bretz (baryton), Thomas Quasthoff (narrateur), Nancy Wu (violon), Lars Anders Tomter et Matthieu Herzog (alto), Gautier Capuçon, Narek Hakhnazaryan et Raphaël Merlin (violoncelle), Claudio Rojas (guitare), Martin Fröst (clarinette), Leigh Mesh (contrebasse) et Alexandre Tharaud (piano), alternant ou se retrouvant dans des pages de Gedeon Klein (1919-1945), Hans Krasa (1899-1944), Erwin Schulhoff (1894-1942), Zikmund Schull (1916-1944), Carlo Siegmund Taube (1897-1944), Ilse Weber (1903-1944) et un certain nombre de pages signées d’auteurs inconnus. Riches et profondes, radieuses et douloureuses, les œuvres nées dans de terribles et tragiques conditions sont de  styles et d’humeurs variés, et si la légèreté n’est étonnamment pas absent de ces pièces, elles n’en sont pas moins bouleversantes tant la mort y est constamment sous-jacente tout en trahissant un amour de la vie phénoménal, notamment à travers l’exigence de la pensée et l’imagination qui en émane. Un concert inoubliable, qui s’est achevé sur un déchirant Wiegala d’Ilse Weber pour soprano, violon, piano et guitare dont la musique s’éteint peu à peu comme s’évaporant…
Bruno Serrou

1 commentaire:

  1. Une introduction écrite avec une plume trempée au vitriol .. Verbier c'est aussi le RV des randonneurs amateurs de musique ,pas seulement des inévitables " caricatures" dont il est fait mention .On trouve plus aisément ce public à Lucerne ou à Salzbourg ! Pour le reste ,belle évocation de quelques concerts ,auxquels je n'ai pu assister cette année . Merci Bruno pour ces chroniques musicales

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