Festival Le Temps Suspendu / Les Chemins de Traverses. Saint-Benoît-du-Sault (Indre). Ancien Gymnase. Lundi 4 août 2025
Loin des sentiers festivaliers les plus courus, un village berrichon de cinq cent dix âmes, non loin d’Argenton-sur-Creuse et ses quatre mille huit cents habitants situés à une vingtaine de kilomètres, est depuis douze ans le centre d’un festival de musique bucolique à but pédagogique et social. Créé et animé par le gambiste-violoncelliste parisien Stanley Smith, qui a invité cet été cantatrice Camille Merckx pour qu’elle y réalise son tout premier spectacle qu’elle a conçu et réalisé à partir de la vie de l’une de ses aînées du XVIIe siècle, Julie de Maupin
Lieu idéal pour la mise au point
de spectacles et les y roder avant d’être repris dans le courant de la saison, cette
fois en octobre à l’Opéra de Rennes puis en tournée en mars pour la Biennale de
la Cité de la Voix, l’ancien gymnase du bourg de Saint-Benoît-du Sault a été transformé
en salle de spectacle à l’instigation du Festival Les Chemins de Traverses où la
cantatrice Camille Merckx aura mis au point dans le cadre d’une résidence du
Festival Les Chemins de Traverses créé en 2013 par Stanley Smith, gambiste
violoncelliste qui s’est donné pour mission de « désenclaver les publics
éloignés de la culture ». Il s’agit en fait pour le festival d’offrir une carte
blanche à des artistes qu’il estime pour qu’ils puissent mettre au point des
projets auxquels depuis longtemps. En 2024, y a été élaboré le projet La Porporina
de Stéphane Fuget et la Compagnie The Many Voices d’après le roman Consuelo de George Sand inspiré par la
figure de Pauline Viardot avec des œuvres de Baldassare Galuppi, Giovanni
Battista Pergolesi, Benedetto Giacomo Marcello, Joseph Haydn, Franz Liszt, Frédéric
Chopin, Pauline Viardot. Ce qui permet au public berrichon de se voir proposés
début août des projets de haut niveau. « J’avais croisé Camille Merckx à
sa sortie du Jeune Chœur de Paris, se souvient Stanley Smith, directeur du
festival. Nous avons collaboré plusieurs fois, puis nous nous sommes perdus de
vue, on s’est téléphoné, et lorsqu’elle m’a parlé de son envie de monter cette
originalité, nous avons commencé à la réaliser à Vézelay, au cœur de la Cité de
la Voix, ainsi qu’à l’Opéra de Rennes pour l’écriture et la conception dans le
cadre des résidences de création, puis un peu dans le Berry, où la seule salle
à la jauge conséquente est l’ancien gymnase de Saint-Benoît-du-Sault,
suffisamment grande et suffisamment étrange pour permettre d’y apposer plusieurs
types de poésie, en disposant décors et lumière. Nous avons porté notre dévolu
sur le personnage haut en couleurs de Julie de Maupin, et nous avons récupéré
des tissus à l’Opéra de Paris. » L’unique représentation donnée le 4 août
a été la première publique, si bien qu’il faut considérer ce qui a été donné à
voir et à écouter comme un rodage. Car à n’en pas douter, une fois repères et
les marques pris, le jeu sera plus libre et délié et la diversité des caractères
des protagonistes acquerront panache et flamboyance, à la façon d’un film de
cape et d’épée.
Camille Merckx s’est inspirée de
la vie d’une femme d’action polymorphe qui fit scandale au tournant des XVIIe
et XVIe siècles, durant le règne de Louis XIV, Julie de Maupin
(1673-1707), actrice, cantatrice, épéiste et aventurière française dont la vie
tumultueuse fascina et choqua nombre de ses contemporains par son style de vie
extravagant, sa bisexualité, ses aventures sentimentales, ses mystifications,
ses nombreux duels à l’épée livrés en vêtements masculins, avant d’inspirer quantité
de légendes et de fictions historisantes, dont le roman épistolaire en deux
volumes de Théophile Gautier (1811-1872), Mademoiselle
de Maupin. Fille unique de Gaston d’Aubigny, secrétaire de Louis de
Lorraine-Guise et comte d’Armagnac qui lui fait donner une éducation autant
masculine que féminine, Julie d’Aubigny fait ses débuts à l’Opéra de Paris en
1690 dans le rôle de Pallas de Cadmus et
Hermione de Jean-Baptiste Lully (1632-1687). A la suite d’un différend avec
un lieutenant de police, elle est acculée à la fuite et se réfugie avec son
amant Sérane à Marseille, où elle acquiert le sobriquet de La Maupin. ils
gagnent leur vie dans des démonstrations d’escrime, un homme contre une femme
travestie en homme. Le couple se fait également engager dans la troupe de l’Opéra
de Marseille inauguré en 1685 par le compositeur organiste Pierre Gaultier
(1642-1696) avec l’autorisation de Lully. Elle y tombe amoureuse d’une jeune
fille que les parents finissent par placer dans un couvent pour échapper au scandale,
mais elle parvient à l’en sortir après s’être fait passer pour une novice et
avoir subtilisé le corps d’une religieuse décédée de mort naturelle pour le
mettre dans la cellule de son amante où elle met le feu au couvent. Après
quelques mois de voyage, elle retourne seule à Paris. Sa voix grave lui permet
d’entamer une brillante carrière à l’Académie Royale de Musique de Paris, mais
elle défraie la chronique à cause de ses nombreux duels à l’épée qui se
terminent souvent dans le sang, au point de devoir quitter de nouveau Paris
pour échapper à la justice. En 1692, elle se retrouve à Bruxelles où elle
aurait été entretenue par le prince-électeur Maximilien-Emmanuel de Bavière (1662-1726),
chevalier de l’ordre de la Toison d’or. De novembre 1697 à juillet 1698, elle
se produit à l’Opéra du Quai au Foin, première salle de spectacle bruxelloise
ouverte au public en 1682, y chantant notamment dans trois opéras de Lully, Amadis, Armide et Thésée. Elle
retourne à Paris à la fin de l’année 1698, remplaçant à l’Académie royale Marie
Le Rochois (1658-1728) qui prend moment sa retraite. Elle y chantera jusqu’en
1705 les tragédies lyriques de Lully et y créera des opéras de Pascal Collasse
(1649-1709), André Cardinal dit Destouches (1672-1749) et André Campra
(1660-1744), ce dernier écrivant pour elle en 1702 le personnage de Clorinde
dans Tancrède, premier rôle soliste
dans l’opéra français de bas-dessous, voix se situant entre les registres de
mezzo-soprano et de contralto. Mademoiselle de Maupin apparaîtra pour la
dernière fois sur scène en 1705 dans La
Vénitienne de Michel de La Barre (1675-1745). Après une vie bien remplie,
elle finit par se retirer dans un couvent où elle décèdera en 1707, âgée de
seulement 35 ans après avoir chanté dans une trentaine d’opéras… Héroïne hors
normes, femme libre et sans limites, elle allait inspirer Théophile Gautier qui
donna son nom à son roman épistolaire publié en deux volumes en 1835 et 1836,et
plus tard la bande dessinée et le cinéaste Mauro Bolognini en 1966.
Intitulé Julie M., le spectacle imaginé et mis en scène par Camille Merckx,
entourée de la compagnie Les Perles de verre associe art lyrique, théâtre et
escrime. Sur une piste idoine aux dimensions réglementaires (quatorze mètres de
long sur un mètre cinquante de large) disposée au milieu du public,
s’affrontent la cantatrice, et son metteur en scène, le comédien David Migeot,
et deux instrumentistes, la brillante Chloé Sévère au clavecin et le directeur
du festival Stanley Smith au violoncelle et à la viole de gambe, s’exprimant
dans une mise en scène avec facétie par le comédien-chanteur Jean-Michel
Fournereau, qui déroule la vie et de l’art d’une chanteuse hors normes, les
protagonistes cherchant, tâtonnant, construisant devant le public soixante-dix
minutes durant un spectacle en devenir, alternant airs baroques de Campra,
Destouches, Toussaint Bordet (v.1710-v.1775), Lully, Collasse, Elisabeth
Jacquet de la Guerre (1665-1729), Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) et des
chansons populaires et satiriques du XVIIe siècle accompagnés au
clavecin et à la viole de gambe, scènes de comédie et chansons de cabaret, le
tout relié par des extraits de textes et de dialogues de Gabriel
Letainturier-Fradin (1864-1948), auteur de La
Chevalière d’Eon, Théophile Gautier et David Migeot, tandis que les quatre artistes-interprètes
s’affrontent à fleurets mouchetés, les combats devant assurément gagner en
liberté au fur et à mesure des représentations, tant les protagonistes prennent
plaisir à s’affronter.
Action pédagogique associant élèves d’un conservatoire rural et enfants
citadins issus de l’Aide Sociale à l’Enfance
Conçu autour de l’impressionnante personnalité de la diva assoluta du XVIIe siècle français aux talents multiples, Mademoiselle de Maupin, le spectacle réalisé par Camille Merckx a été créé au sein d’une programmation festivalière servant de cadre à un projet pédagogique spécifique imaginé par le directeur fondateur de la manifestation, Stanley Smith lui-même instrumentiste et enseignant, qui s’investit avec dynamisme et constance dans la propagation de la musique dans les milieux défavorisés. Il enseigne dans les Conservatoires du XIe arrondissement de Paris et de Fontenay-aux-Roses, où il a donné naissance au projet pensé pour les enfants placés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Stanley Smith réunit chaque année des enfants placés dans des foyers d’accueil des Hauts-de-Seine, du côté de Fontenay-aux-Roses, tandis qu’il les intègre à un certain nombre d’élèves du conservatoire d’Argenton-sur-Creuse.
« J’avais convaincu ma direction du conservatoire à Fontenay-aux-Roses une proposition d’orchestre à l’école que j’ai entreprise à partir du XVIIe siècle anglais, rappelle Stanley Smith. Je suis ainsi tombé sur des propositions pédagogiques élaborées par John Playford (1623-1687), danseur et éditeur britannique qui, dans un de ses ouvrages pédagogiques, préconise le frettage des instruments à cordes de la famille des violons. Sur cette base, j’ai tissé un lien qui part de Playford, au milieu XVIIe siècle, jusqu’à Johann Joachim Quantz (1697-1773), fin du baroque officiel. Cet ouvrage ouvre à des possibilités pédagogiques collectives. J’ai ainsi pu insuffler quelque chose de nouveau, à l’exemple des élèves des classes de viole de gambe, qui placent immédiatement la main contre ces repères que sont les frettes, qui donnent leur empreinte à la main, ce qui permet d’entendre et de jouer juste. Ce qui offre des possibilités de pédagogie collective. J’ai ainsi pu insuffler quelque chose de neuf dans un dispositif d’orchestre à l’école à Fontenay-aux-Roses. De là, nous avons pensé à une action dans un territoire type quartier prioritaire. A cette fin, nous avons rencontré plusieurs enfants dont les familles étaient en grande difficulté. J’ai identifié dans un premier temps le foyer principal, foyer d’hébergement d’urgence du Plessy-Robinson. Je suis entré en contact avec eux, je leur ai demandé s’ils avaient pensé à la musique, art à même d’ouvrir aux enfants de nouveaux horizons. A partir de là nous avons convié ces enfants au conservatoire, pour les suivre au-delà de leur foyer d’hébergement, car à la fin de l’année scolaire ils sont envoyés dans un autre endroit. J’ai pu commencer à tisser un fil pour que ces enfants ne sortent pas de mes radars et avec le concours de la direction de ce foyer et le Département des Hauts-de-Seine leur assurer un vrai suivi. »
Ces enfants de l’Aide Sociale
à l’Enfance se voient proposé un stage dans le cadre du festival Le Temps
Suspendu, à la fois territoire de création et d’accueil, faisant se rencontrer
des enfants ayant déjà une pratique artistique acquise au sein du conservatoire
d’Argenton-sur-Creuse et des enfants venant de plus loin qui n’ont pas la
chance d’avoir des parents derrière eux. « La cohabitation se passe à
merveille, se félicite Stanley Smith. Il
y a dans le Barry des gens qui ont choisi d’y vivre parce qu’ils s’y trouvent
mieux qu’en milieu urbain, y compris des facteurs d’instruments. » Ce
projet émergeant est étayé par la renaissance du dispositif pédagogique autour
du frettage, qui ouvre sur une pédagogie collective redynamisée et permet
d’inclure beaucoup plus d’enfants dans des dispositifs qui ne sont pas de type
orchestre à l’école. « Nous nous occupons s’occupe vraiment de chacun d’eux,
s’enorgueillit Stanley Smith. Cet été, nous avons une vingtaine d’enfants. Ceux
d’Argenton-sur-Creuse sont des élèves volontaires du conservatoire local qui ne
partent pas en vacances ayant envie de partager l’expérience avec c’autres et
ayant une capacité de concentration et aptes à recevoir, âgés entre 6 et 13
ans, comme ceux qui viennent de l’Aide sociale à l’enfance. Une première
rencontre en continu dans le courant de l’année dans le foyer, où les enfants
sont choisis pour la résidence d’été a déterminé en fonction de leurs réactions
l’instrument en main, ceux chez qui cela a provoqué un choc émotionnel et vu
que le projet est autant que possible de les accompagner jusque leur majorité.
Nous essayons d’individualiser le parcours, l’orchestre étant un moyen mais pas
une fin en soi. Nous les rencontrons très tôt dans l’année, puis nous
déterminons ceux chez qui vraiment la musique fait sens, nous en discutons avec
toute l’équipe du foyer, et nous en convions six pour deux éducatrices, qui les
accompagnent ici. Une fois tout le monde sur place on enchâsse la semaine
d’enseignement et d’ateliers l’après-midi, cette année autour de l’escrime et
de la création graphique, intégrés au projet de Camille Merckx. Le matin ils
sont à l’école de musique, avec deux professeurs de violon, une professeure de
chant choral et soliste, un percussionniste compositeur chanteur, une
professeure de violoncelle. » Le projet consiste à monter un programme qui
est présenté lors de la sortie de résidence en fin de semaine et de faire
enregistrer les enfants pour insérer leur proposition vocale dans le projet
« Radio Bataille ». « Nous partons de la musique traditionnelle,
précise Stanley Smith, nous traversons le baroque puis nous allons à la création
qui nous est propre. »
Pour assurer ses projets, le
festival dispose d’un fonds d’investissement pour les instruments grâce à des
mécènes et à des financeurs publics (DRAC, la Région Centre Val de Loire, le département
des Hauts-de-Seine). Le budget est d’environ cent mille euros. Les artistes sont
logés chez l’habitant, et les enfants venant de l’Ile-de-France sont dans
l’enceinte du lycée hôtelier d’Argenton. Sur le plan des structures de
diffusion, Stanley Smith reconnaît avoir la chance de bénéficier de l’excellente
acoustique d’une grande salle polyvalente à Saint-Benoît-du-Sault, transformée
en studio d’enregistrement, de l’église des moines bénédictins dotée d’une
acoustique du XIe siècle, d’un vieux prieuré, de l’ancien gymnase,
le tout à moins de trois heures de Paris, tant et si bien que plusieurs
ensembles viennent enregistrer à Saint-Benoît-du-Sault.
Bruno Serrou
Lieu et dates de représdntations de Julie M. : 3 octobre 2025, l'Hermine - Espace culturel de Sarzeau (56), 16-17 octobre 2025, Opéra de Rennes (35), 24 mars 2026 Biennale de la Cité de la Voix Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul (70), 27 mars 2026 Biennale de la Cité de la Voix Salle Debussy, Joigny (89)
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