mardi 12 août 2025

Création de « Julie M. », ou les coulisses d’un opéra féministe de cape et épée élaboré par la cantatrice Camille Merckx et la Compagnie La Perle de verre au cœur du Berry

Festival Le Temps Suspendu / Les Chemins de Traverses. Saint-Benoît-du-Sault (Indre). Ancien Gymnase. Lundi 4 août 2025 

Camille Merckx, Julie M. Camille Merckx (la Chanteuse), Stanley Smith (le Violoncelliste-Viole de gambe).
Photo : (c) Andrew Waltham

Loin des sentiers festivaliers les plus courus, un village berrichon de cinq cent dix âmes, non loin d’Argenton-sur-Creuse et ses quatre mille huit cents habitants situés à une vingtaine de kilomètres, est depuis douze ans le centre d’un festival de musique bucolique à but pédagogique et social. Créé et animé par le gambiste-violoncelliste parisien Stanley Smith, qui a invité cet été cantatrice Camille Merckx pour qu’elle y réalise son tout premier spectacle qu’elle a  conçu et réalisé à partir de la vie de l’une de ses aînées du XVIIe siècle, Julie de Maupin 

Camille Merckx, Julie M. Camille Merckx (la Chanteuse), Chloé Sévère (la Claveciniste).
Photo : (c) Andrew Waltham

Lieu idéal pour la mise au point de spectacles et les y roder avant d’être repris dans le courant de la saison, cette fois en octobre à l’Opéra de Rennes puis en tournée en mars pour la Biennale de la Cité de la Voix, l’ancien gymnase du bourg de Saint-Benoît-du Sault a été transformé en salle de spectacle à l’instigation du Festival Les Chemins de Traverses où la cantatrice Camille Merckx aura mis au point dans le cadre d’une résidence du Festival Les Chemins de Traverses créé en 2013 par Stanley Smith, gambiste violoncelliste qui s’est donné pour mission de « désenclaver les publics éloignés de la culture ». Il s’agit en fait pour le festival d’offrir une carte blanche à des artistes qu’il estime pour qu’ils puissent mettre au point des projets auxquels depuis longtemps. En 2024, y a été élaboré le projet La Porporina de Stéphane Fuget et la Compagnie The Many Voices d’après le roman Consuelo de George Sand inspiré par la figure de Pauline Viardot avec des œuvres de Baldassare Galuppi, Giovanni Battista Pergolesi, Benedetto Giacomo Marcello, Joseph Haydn, Franz Liszt, Frédéric Chopin, Pauline Viardot. Ce qui permet au public berrichon de se voir proposés début août des projets de haut niveau. « J’avais croisé Camille Merckx à sa sortie du Jeune Chœur de Paris, se souvient Stanley Smith, directeur du festival. Nous avons collaboré plusieurs fois, puis nous nous sommes perdus de vue, on s’est téléphoné, et lorsqu’elle m’a parlé de son envie de monter cette originalité, nous avons commencé à la réaliser à Vézelay, au cœur de la Cité de la Voix, ainsi qu’à l’Opéra de Rennes pour l’écriture et la conception dans le cadre des résidences de création, puis un peu dans le Berry, où la seule salle à la jauge conséquente est l’ancien gymnase de Saint-Benoît-du-Sault, suffisamment grande et suffisamment étrange pour permettre d’y apposer plusieurs types de poésie, en disposant décors et lumière. Nous avons porté notre dévolu sur le personnage haut en couleurs de Julie de Maupin, et nous avons récupéré des tissus à l’Opéra de Paris. » L’unique représentation donnée le 4 août a été la première publique, si bien qu’il faut considérer ce qui a été donné à voir et à écouter comme un rodage. Car à n’en pas douter, une fois repères et les marques pris, le jeu sera plus libre et délié et la diversité des caractères des protagonistes acquerront panache et flamboyance, à la façon d’un film de cape et d’épée.

Camille Merckx, Julie M. Chloé Sévère (la Claveciniste), Stanley Smith (le Violoncelliste-Viole de gambe).
Photo : (c) Andrew Waltham

Camille Merckx s’est inspirée de la vie d’une femme d’action polymorphe qui fit scandale au tournant des XVIIe et XVIe siècles, durant le règne de Louis XIV, Julie de Maupin (1673-1707), actrice, cantatrice, épéiste et aventurière française dont la vie tumultueuse fascina et choqua nombre de ses contemporains par son style de vie extravagant, sa bisexualité, ses aventures sentimentales, ses mystifications, ses nombreux duels à l’épée livrés en vêtements masculins, avant d’inspirer quantité de légendes et de fictions historisantes, dont le roman épistolaire en deux volumes de Théophile Gautier (1811-1872), Mademoiselle de Maupin. Fille unique de Gaston d’Aubigny, secrétaire de Louis de Lorraine-Guise et comte d’Armagnac qui lui fait donner une éducation autant masculine que féminine, Julie d’Aubigny fait ses débuts à l’Opéra de Paris en 1690 dans le rôle de Pallas de Cadmus et Hermione de Jean-Baptiste Lully (1632-1687). A la suite d’un différend avec un lieutenant de police, elle est acculée à la fuite et se réfugie avec son amant Sérane à Marseille, où elle acquiert le sobriquet de La Maupin. ils gagnent leur vie dans des démonstrations d’escrime, un homme contre une femme travestie en homme. Le couple se fait également engager dans la troupe de l’Opéra de Marseille inauguré en 1685 par le compositeur organiste Pierre Gaultier (1642-1696) avec l’autorisation de Lully. Elle y tombe amoureuse d’une jeune fille que les parents finissent par placer dans un couvent pour échapper au scandale, mais elle parvient à l’en sortir après s’être fait passer pour une novice et avoir subtilisé le corps d’une religieuse décédée de mort naturelle pour le mettre dans la cellule de son amante où elle met le feu au couvent. Après quelques mois de voyage, elle retourne seule à Paris. Sa voix grave lui permet d’entamer une brillante carrière à l’Académie Royale de Musique de Paris, mais elle défraie la chronique à cause de ses nombreux duels à l’épée qui se terminent souvent dans le sang, au point de devoir quitter de nouveau Paris pour échapper à la justice. En 1692, elle se retrouve à Bruxelles où elle aurait été entretenue par le prince-électeur Maximilien-Emmanuel de Bavière (1662-1726), chevalier de l’ordre de la Toison d’or. De novembre 1697 à juillet 1698, elle se produit à l’Opéra du Quai au Foin, première salle de spectacle bruxelloise ouverte au public en 1682, y chantant notamment dans trois opéras de Lully, Amadis, Armide et Thésée. Elle retourne à Paris à la fin de l’année 1698, remplaçant à l’Académie royale Marie Le Rochois (1658-1728) qui prend moment sa retraite. Elle y chantera jusqu’en 1705 les tragédies lyriques de Lully et y créera des opéras de Pascal Collasse (1649-1709), André Cardinal dit Destouches (1672-1749) et André Campra (1660-1744), ce dernier écrivant pour elle en 1702 le personnage de Clorinde dans Tancrède, premier rôle soliste dans l’opéra français de bas-dessous, voix se situant entre les registres de mezzo-soprano et de contralto. Mademoiselle de Maupin apparaîtra pour la dernière fois sur scène en 1705 dans La Vénitienne de Michel de La Barre (1675-1745). Après une vie bien remplie, elle finit par se retirer dans un couvent où elle décèdera en 1707, âgée de seulement 35 ans après avoir chanté dans une trentaine d’opéras… Héroïne hors normes, femme libre et sans limites, elle allait inspirer Théophile Gautier qui donna son nom à son roman épistolaire publié en deux volumes en 1835 et 1836,et plus tard la bande dessinée et le cinéaste Mauro Bolognini en 1966.

Camille Merckx, Julie M.. David Migeot (le Metteur en scène)
Photo : (c) Andrew Waltham

Intitulé Julie M., le spectacle imaginé et mis en scène par Camille Merckx, entourée de la compagnie Les Perles de verre associe art lyrique, théâtre et escrime. Sur une piste idoine aux dimensions réglementaires (quatorze mètres de long sur un mètre cinquante de large) disposée au milieu du public, s’affrontent la cantatrice, et son metteur en scène, le comédien David Migeot, et deux instrumentistes, la brillante Chloé Sévère au clavecin et le directeur du festival Stanley Smith au violoncelle et à la viole de gambe, s’exprimant dans une mise en scène avec facétie par le comédien-chanteur Jean-Michel Fournereau, qui déroule la vie et de l’art d’une chanteuse hors normes, les protagonistes cherchant, tâtonnant, construisant devant le public soixante-dix minutes durant un spectacle en devenir, alternant airs baroques de Campra, Destouches, Toussaint Bordet (v.1710-v.1775), Lully, Collasse, Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729), Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) et des chansons populaires et satiriques du XVIIe siècle accompagnés au clavecin et à la viole de gambe, scènes de comédie et chansons de cabaret, le tout relié par des extraits de textes et de dialogues de Gabriel Letainturier-Fradin (1864-1948), auteur de La Chevalière d’Eon, Théophile Gautier et David Migeot, tandis que les quatre artistes-interprètes s’affrontent à fleurets mouchetés, les combats devant assurément gagner en liberté au fur et à mesure des représentations, tant les protagonistes prennent plaisir à s’affronter.

Camille Merckx, Julie M..
Photo : (c) Andrew Waltham

Action pédagogique associant élèves d’un conservatoire rural et enfants citadins issus de l’Aide Sociale à l’Enfance

Conçu autour de l’impressionnante personnalité de la diva assoluta du XVIIe siècle français aux talents multiples, Mademoiselle de Maupin, le spectacle réalisé par Camille Merckx a été créé au sein d’une programmation festivalière servant de cadre à un projet pédagogique spécifique imaginé par le directeur fondateur de la manifestation, Stanley Smith lui-même instrumentiste et enseignant, qui s’investit avec dynamisme et constance dans la propagation de la musique dans les milieux défavorisés. Il enseigne dans les Conservatoires du XIe arrondissement de Paris et de Fontenay-aux-Roses, où il a donné naissance au projet pensé pour les enfants placés à l’Aide Sociale à l’Enfance. Stanley Smith réunit chaque année des enfants placés dans des foyers d’accueil des Hauts-de-Seine, du côté de Fontenay-aux-Roses, tandis qu’il les intègre à un certain nombre d’élèves du conservatoire d’Argenton-sur-Creuse. 

La Creuse à Argenton-sur-Creuse.
Photo : (c) Bruno Serrou

« J’avais convaincu ma direction du conservatoire à Fontenay-aux-Roses une proposition d’orchestre à l’école que j’ai entreprise à partir du XVIIe siècle anglais, rappelle Stanley Smith. Je suis ainsi tombé sur des propositions pédagogiques élaborées par John Playford (1623-1687), danseur et éditeur britannique qui, dans un de ses ouvrages pédagogiques, préconise le frettage des instruments à cordes de la famille des violons. Sur cette base, j’ai tissé un lien qui part de Playford, au milieu XVIIe siècle, jusqu’à Johann Joachim Quantz (1697-1773), fin du baroque officiel. Cet ouvrage ouvre à des possibilités pédagogiques collectives. J’ai ainsi pu insuffler quelque chose de nouveau, à l’exemple des élèves des classes de viole de gambe, qui placent immédiatement la main contre ces repères que sont les frettes, qui donnent leur empreinte à la main, ce qui permet d’entendre et de jouer juste. Ce qui offre des possibilités de pédagogie collective. J’ai ainsi pu insuffler quelque chose de neuf dans un dispositif d’orchestre à l’école à Fontenay-aux-Roses. De là, nous avons pensé à une action dans un territoire type quartier prioritaire. A cette fin, nous avons rencontré plusieurs enfants dont les familles étaient en grande difficulté. J’ai identifié dans un premier temps le foyer principal, foyer d’hébergement d’urgence du Plessy-Robinson. Je suis entré en contact avec eux, je leur ai demandé s’ils avaient pensé à la musique, art à même d’ouvrir aux enfants de nouveaux horizons. A partir de là nous avons convié ces enfants au conservatoire, pour les suivre au-delà de leur foyer d’hébergement, car à la fin de l’année scolaire ils sont envoyés dans un autre endroit. J’ai pu commencer à tisser un fil pour que ces enfants ne sortent pas de mes radars et avec le concours de la direction de ce foyer et le Département des Hauts-de-Seine leur assurer un vrai suivi. » 

Classe de prtatique instrumentale collective, Ecole de Musique d'Argeton-sur-Creuse
Photo : (c) Bruno Serrou

Ces enfants de l’Aide Sociale à l’Enfance se voient proposé un stage dans le cadre du festival Le Temps Suspendu, à la fois territoire de création et d’accueil, faisant se rencontrer des enfants ayant déjà une pratique artistique acquise au sein du conservatoire d’Argenton-sur-Creuse et des enfants venant de plus loin qui n’ont pas la chance d’avoir des parents derrière eux. « La cohabitation se passe à merveille, se félicite Stanley Smith.  Il y a dans le Barry des gens qui ont choisi d’y vivre parce qu’ils s’y trouvent mieux qu’en milieu urbain, y compris des facteurs d’instruments. » Ce projet émergeant est étayé par la renaissance du dispositif pédagogique autour du frettage, qui ouvre sur une pédagogie collective redynamisée et permet d’inclure beaucoup plus d’enfants dans des dispositifs qui ne sont pas de type orchestre à l’école. « Nous nous occupons s’occupe vraiment de chacun d’eux, s’enorgueillit Stanley Smith. Cet été, nous avons une vingtaine d’enfants. Ceux d’Argenton-sur-Creuse sont des élèves volontaires du conservatoire local qui ne partent pas en vacances ayant envie de partager l’expérience avec c’autres et ayant une capacité de concentration et aptes à recevoir, âgés entre 6 et 13 ans, comme ceux qui viennent de l’Aide sociale à l’enfance. Une première rencontre en continu dans le courant de l’année dans le foyer, où les enfants sont choisis pour la résidence d’été a déterminé en fonction de leurs réactions l’instrument en main, ceux chez qui cela a provoqué un choc émotionnel et vu que le projet est autant que possible de les accompagner jusque leur majorité. Nous essayons d’individualiser le parcours, l’orchestre étant un moyen mais pas une fin en soi. Nous les rencontrons très tôt dans l’année, puis nous déterminons ceux chez qui vraiment la musique fait sens, nous en discutons avec toute l’équipe du foyer, et nous en convions six pour deux éducatrices, qui les accompagnent ici. Une fois tout le monde sur place on enchâsse la semaine d’enseignement et d’ateliers l’après-midi, cette année autour de l’escrime et de la création graphique, intégrés au projet de Camille Merckx. Le matin ils sont à l’école de musique, avec deux professeurs de violon, une professeure de chant choral et soliste, un percussionniste compositeur chanteur, une professeure de violoncelle. » Le projet consiste à monter un programme qui est présenté lors de la sortie de résidence en fin de semaine et de faire enregistrer les enfants pour insérer leur proposition vocale dans le projet « Radio Bataille ». « Nous partons de la musique traditionnelle, précise Stanley Smith, nous traversons le baroque puis nous allons à la création qui nous est propre. »

Le village de Saint-Benoît-du-Sault
Photo : (c) Bruno Serrou

Pour assurer ses projets, le festival dispose d’un fonds d’investissement pour les instruments grâce à des mécènes et à des financeurs publics (DRAC, la Région Centre Val de Loire, le département des Hauts-de-Seine). Le budget est d’environ cent mille euros. Les artistes sont logés chez l’habitant, et les enfants venant de l’Ile-de-France sont dans l’enceinte du lycée hôtelier d’Argenton. Sur le plan des structures de diffusion, Stanley Smith reconnaît avoir la chance de bénéficier de l’excellente acoustique d’une grande salle polyvalente à Saint-Benoît-du-Sault, transformée en studio d’enregistrement, de l’église des moines bénédictins dotée d’une acoustique du XIe siècle, d’un vieux prieuré, de l’ancien gymnase, le tout à moins de trois heures de Paris, tant et si bien que plusieurs ensembles viennent enregistrer à Saint-Benoît-du-Sault.

Bruno Serrou

Lieu et dates de représdntations de Julie M. : 3 octobre 2025, l'Hermine - Espace culturel de Sarzeau (56), 16-17 octobre 2025, Opéra de Rennes (35), 24 mars 2026 Biennale de la Cité de la Voix Théâtre Edwige Feuillère, Vesoul (70), 27 mars 2026 Biennale de la Cité de la Voix Salle Debussy, Joigny (89)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire