Paris. Philharmonie. Grande Salle Pierre Boulez. Jeudi 5 juin 2025
Dernier concert de la saison de l’Orchestre de Paris et de son directeur musical Klaus Mäkelä à la Philharmonie de Paris. Cette soirée dédiée à Pierre Audi, directeur du Festival d'Aix-en-Provence décédé le 3 mai dernier à Pékin à l’âge de 67 ans, a été polymorphe, ne présentant aucun lien évident entre les œuvres, même le Dies Irae fort utilisé par deux des compositeurs, Saint-Saëns et Rachmaninov, mais présent dans une seule des œuvres choisies, celle du premier. Ces pages d’orchestre ont permis à la phalange parisienne de briller de tous ses feux, tant sur le plan du son que sur celui de l’unité et de la virtuosité, mais aussi de l’élan, avec le délicieux Tombeau de Couperin de Ravel un peu trop trainant cependant, puis le Quatrième Concerto pour piano de Rachmaninov par Yunchan Lim à la technique d’airain, impressionnant de tenue et de digitalité, mais cette fois un peu monochrome et trop distant, tandis que l’orchestre scintillait. Le pianiste coréen a donné deux pages de JS Bach en bis. Seconde partie, une magistrale Symphonie n° 3 « avec orgue » de Saint-Saëns, parfaitement dosée par Mäkelä, avec un premier mouvement d’une tendresse et d’un charme singuliers, et un final majestueusement triomphal dans un espace jamais saturé
L’Orchestre de Paris a ouvert son ultime prestation à la Philharmonie de la saison soir à son public venu en nombre assister à un concert pour le moins alléchant. Ainsi, en cette année du cent-cinquantenaire de la naissance de Maurice Ravel, l’Orchestre de Paris a rendu hommage au plus universel des compositeurs français avec Le Tombeau de Couperin dans une interprétation élégante mais un peu plane malgré les chatoiements des pupitres de l’Orchestre de Paris, la conception de Klaus Mäkelä apparaissant un rien froide et manquant de tonus. Et même si l’on sait que le compositeur a dédié chacun des quatre volets de sa suite à un soldat mort au combat sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, Ravel réinvente surtout le classicisme français à travers la figure de Couperin et, surtout, celle de Jean-Philippe Rameau. Or, la vision de Klaus Mäkelä évoquait davantage la gravité du tombeau que la grâce fruitée du baroque, tandis que la direction n’a pas manqué d'énergie dans le menuet.
Vainqueur du Concours Van Cliburn
2022 avec le Troisième Concerto de
Serge Rachmaninov, Yunchan Lim a indubitablement tous les atouts pour s’illustrer
dans l’œuvre du compositeur-pianiste russe. C’est avec le dernier concerto que Rachmaninov
consacra à son instrument, le Concerto n°
4 pour piano et orchestre en sol mineur op. 40 de 1925-1926 mais ébauché en
Russie en 1911, et créé le 18 mars 1927 par son auteur en soliste, l’Orchestre
de Philadelphie étant dirigé par Leopold Stokowski. Un concerto polymorphe
auquel Rachmaninov eut le plus grand mal à donner une unité qui le satisfasse, puisqu’il
le révisa par deux fois après sa création, en 1928 puis en 1941, et qu’il reste
aujourd’hui encore le moins programmé des quatre concertos du Russe. Loin ici d’un
Daniil Trifonov et ses longs doigts courant sur le claviers sans le toucher vraiment,
les effleurant pour en tirer des sonorités pleines, charnues, ardentes comme de
la braise, ce qui enchanta le public de la Philharmonie en octobre 2023 (voir http://brunoserrou.blogspot.com/2023/11/dirige-par-yannick-nezet-seguin-le.html),
Yunchan Lim a saisi par sa maîtrise technique imparable, la facilité de son
jeu, mais sans parvenir à entrer dans le fond de l’œuvre et tirer du clavier la
polychromie sensuelle de son aîné russe. Certes, le jeune pianiste sud-coréen a
donné à ces pages une unité peu évidente à trouver, et le fait que tout soit
apparu propre mais linéaire sans être néanmoins atone, tandis que Klaus Mäkelä
donnait le maximum de la riche palette de timbres en sollicitant les riches et
denses sonorités de l’Orchestre de Paris, au risque parfois de donner trop d’éclat,
tandis que Yunchan Lim se plaisait à souligner l’extrême diversité rythmique, y
compris la pulsation puisée dans le jazz, dans un dialogue
manquant légèrement de fougue lyrique en réponse aux soli et aux tutti de
l’orchestre dirigé avec délectation par son directeur musical qui s’est plu à
un échange enjoué avec son soliste. Ce dernier a donné en bis deux courtes
pages de Johann Sebastian Bach.
Pour sa troisième programmation
depuis l’inauguration de l’orgue de la Philharmonie, l’Orchestre de Paris a fait
appel à la jeune organiste titulaire du Cavaillé-Coll de l’église Saint-Maurice
de Bécon à Courbevoie, Lucile Dollat, élève entre autres d’Olivier Latry,
Thierry Escaich et Marc-André Dalbavie, comme soliste de la Symphonie n° 3 en ut mineur « avec
orgue » op. 78 de Camille Saint-Saëns. Installée côté cour entre les
contrebasses et le tuba à la même hauteur que le piano, placé à jardin derrière
les seconds violons, la console de l’orgue blanc émail au design digne de Jacob
Delafon était fondue au sein de l’orchestre, soulignant ainsi qu’il s’agit bien
d’une symphonie, donc une œuvre d’orchestre, « avec orgue », donc pas
d’un concerto « pour orgue et orchestre » ni d’une œuvre d’orgue avec
orchestre. La partition de Saint-Saëns est la plus emblématique de ce
répertoire. Sous l’impulsion de Klaus Mäkelä, qui a semblé se délecter de cette
œuvre scintillante dont il a su souligner la diversité des atmosphères tout en
suscitant une transparence et une fluidité des pupitres et des voix, sans en
affecter les climax funèbres dont la symphonie est toute imprégnée avec le
leitmotiv du Dies Irae, exacerbant
les contrastes et les vagues de sons qui parcourent l’orchestre tout au long de
l’œuvre, rivalisant dans la seconde partie de puissance avec l’orgue, qui n’a
jamais écrasé l’orchestre malgré des moments où les plein-jeux s’expriment,
bien que Lucile Dollat ne se soit pas privée d’imposer aux oreilles du public
une puissance qui aura semblé sans limites. En revanche, Klaus Mäkelä et l’Orchestre
de Paris ont offert une remarquable première partie d’une retenue et d’une
variété d’intonation exemplaires, dont le sommet a été le mouvement lent, Poco adagio, galvanisant un chant d’une pureté
onirique conduit par un nuancier d’une ampleur singulière, particulièrement
dans les pianissimi d’une douceur
ineffable.
Bruno Serrou