Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Vendredi 31 mai 2024
Tolemeo (Ptolémée) de Georg
Friedrich Haendel a été donné vendredi soir au Théâtre des Champs-Elysées en
version concertante, dirigé avec énergie par Giovanni Antonini à la tête de son
Il Giardino Armonico associé au Kammerorchester Basel, avec un brillant
quintette vocal dont l’impressionnant Franco Fagioli. Mais, au risque de
choquer les inconditionnels du compositeur saxon qui sont fort nombreux, cette œuvre,
comme beaucoup de ses ouvrages scéniques, est longuette, comme écrite au
kilomètre, et d’une constante virtuosité vocale, avec seulement deux duetti si savoureux qu’ils font d’autant plus
regretter les trop systématiques monologues, à l’instar de l’unique et trop
bref ensemble à la toute fin de l’œuvre…
Composé en 1728, Tolemeo, re di Egitto (Ptolémée, roi d’Egypte) est le treizième
et ultime opéra de Georg Friedrich Haendel. Fondé sur un livret en trois actes de
Nicola Francesco Haym (1678-1729) inspiré de celui que Carlo Sigismondo Capece (1652-1728)
conçut pour l’opéra de Domenico Scarlatti, Tolemeo
ovvero la Corona disprezzata (Ptolémée
ou la couronne méprisée) (1711), l’ouvrage de Georg Friedrich Haendel
(1685-1759) a été créé le 30 avril 1728 au King’s Theatre de Londres, puis
repris avec des modifications en 1730 et 1733. L’action se situe à Chypre vers
108 avant Jésus Christ, à l’époque du pharaon Ptolémée IX Sôter II dont le
règne se situe entre -116 et -108, surnommé Lathyre
ou Poids Chiche, de la dynastie hellène des Lagides (323-30 avant notre
ère) dont les derniers représentants seront Ptolémée XV et sa sœur Cléopâtre
VII… Le livret, qui conte la déposition du pharaon par sa mère, la régente d’Egypte
Cléopâtre III Evergète, au profit de son frère cadet Ptolémée X Alexandre Ier,
et son exile sur l’île de Chypre où il vivote sous l’aspect d’un berger, a pour
thèmes la vengeance, la luxure, l’amour perdu, la fidélité, le tout se
résolvant dans une réconciliation générale… Séparé de son épouse Seleuce dont il est
épris, Ptolémée est prêt à donner sa vie pour la sauver, tandis que son frère
Alexandre le recherche pour lui rendre sa couronne. L’opéra commence sur la
découverte par Ptolémée, qui veut mettre fin à ses jours, de son frère échoué
sur le sable.
Le fait de l’avoir donné en version concertante n’aura pas du tout nui à l’ouvrage, la théâtralité et l’intensité dramatique étant loin d’être ses points forts. Seuls moment un tant soit peu animés de la partition, l’air dans lequel tous les contreténors se plaisent à briller, placé au troisième acte, « Stille amare, già vi sento,tutte in seno » que chante le pharaon déchu croyant avoir été empoisonné alors qu’il est sous l’effet d’un narcotique administré pour le sauver par Elise, sœur du roi de Chypre Araspe éprise de celui qu’elle connaît sous les traits d’un berger, et les deux duetti Seleuce/Tolemeo « Se il cor ti perde, oh caro, in duolo cosi amaro » qui clôt le deuxième acte, et « Tutto contento or gode quest’ alma innamorata » placé au troisième acte. Il s’agit donc bel et bien ici de déconseiller la partition à ceux pour qui dans le théâtre lyrique le mot « théâtre » fait sens, et de ne recommander cet ouvrage qu’aux amateurs et afficionados du bel canto et de roucoulades virtuoses, tandis que la naïveté du texte suscite de temps à autres l’hilarité d’une partie du public.
Sous la direction vivifiante et ciselée au cordeau de Giovanni Antonini, à la tête de son brillant ensemble Il Giardino Armonico vaillamment renforcé par le Kammerorchester Basel, l’œuvre arrive à intéresser sans empêcher cependant l’apparition d’une certaine lassitude à l’écoute d’une musique qui ne brille pas par son renouvellement, mais heureusement soutenu par une distribution homogène, qui ne cesse d’entrer et de sortir de scène et de s’y croiser le temps d’un récitatif et d’un air. Dans le rôle-titre, l’excellent contreténor argentin Franco Fagioli à la virtuosité insolente, à l’expressivité irradiante et au timbre resplendissant, à ses côtés le baryton italien Riccardo Novaro excelle en Araspe, autant par sa vocalité agile que par sa présence explosive, et le contreténor français Christophe Dumaux, aux intonations charnues et aux vocalises souples et nettes, d’une puissance. Côté femmes, deux brillantes cantatrices italiennes, la soprano Giulia Semenzato en Seleuce aux aigus larges et pleins, dont le timbre s’allie à la perfection dans celui de Franco Fagioli dans leurs intenses duos, et la mezzo-soprano Giuseppina Bridelli Elise au nuancier vocal aussi riche et ample que sa capacité aux affetti, et à la voix ardente et lustrée.
Bruno Serrou
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