Mort de l’immense Seiji Ozawa (1935-2024) des suites d’une « insuffisance cardiaque », épuisé par un cancer de l’œsophage. Décédé à son domicile de Tokyo mardi 6 février 2024, il avait 88 ans.
Chef charismatique, Seiji Ozawa
était de la dimension d’un Leonard Bernstein, qui lui avai mis le pied à l'étrier et dont il était un proche. Il
émanait de sa personne un charme incandescent, vif, doux, attentif et attentionné, toujours souriant, d’une profonde humanité. Il était adoré de tous
les musiciens dont il obtenait tout ce qu’il attendait d’eux, voire au-delà, sa
direction suscitant comme nulles autres une véritable alchimie de rythmes et de
couleurs. La France, dont il adorait la musique et ses compositeurs qu’il
dirigeait avec passion, l’avait maintes fois honoré, notamment l’Académie des
Beaux-Arts qui l’avait élu Membre associé étranger en 2001, succédant à Yehudi
Menuhin.
Seiji Ozawa restera dans l’histoire de la musique pour avoir été le premier chef d’orchestre asiatique à s’être imposé à la tête des plus grands orchestres du monde, et d’avoir été le directeur musical le plus longtemps resté à la tête de l’un des « big five » étatsuniens, l’Orchestre Symphonique de Boston (1973-2002), où il avait succédé à Serge Koussevitzky (1924-1949), Charles Münch (1949-1962), Erich Leinsdorf (1962-1969) et William Steinberg (1969-1972). Depuis lors, il avait concentré son activité sur sa terre natale, le Japon, où il a créé une académie, un orchestre et un festival…
Innombrables et merveilleux sont les souvenirs de ses concerts parisiens ! Les Orchestres de Paris, National de France, de l’Opéra de Paris, « son » Boston Symphony Orchestra dont il fut le « boss » pendant trente ans … Son riche et dense répertoire, qui courait du XVIII e siècle à nos jours, en faisait l’un des chefs les plus ouverts et engagés au monde. Il était aussi un spécialiste inspiré des grandes fresques orchestrales. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’Olivier Messiaen et Rolf Liebermann lui avaient confié la création du gigantesque opéra Saint François d’Assise à l’Opéra de Paris Garnier dont la première représentation eut lieu le 28 novembre 1983. C’était un spectacle fascinant de le voir diriger, sa mince silhouette dansant telle une ballerine aux épaules carrées et à la chevelure foisonnante d’un noir de jais, avant de devenir toute blanche, le geste et l’engagement corporel se mouvant comme dans une véritable chorégraphie.
Que de réminiscences grandioses, touchantes et impérissables envahissent les pensées des mélomanes du monde entier à cette heure où la nouvelle de la disparition de ce merveilleux humaniste musicien se répand. Le plus grand, personnellement, restera sa Damnation de Faust de Berlioz, assis derrière lui au premier rang, j’étais fasciné par sa direction dynamique, lyrique à souhait, dirigeant par cœur, chantant avec les chanteurs et les choristes, un orchestre transcendant ne le quittant pas du regard. Ou encore cette IXe symphonie de Beethoven au Théâtre du Châtelet où, travaillant dans ce théâtre, je passais la journée à le suivre ainsi que son Orchestre de Boston et un chœur massif constitué de choristes de Boston et du Chœur de Radio France… Mais aussi, en novembre 1983, « son » Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen lors de la création à l’Opéra de Paris-Garnier avec cet orchestre débordant de partout depuis la fosse…
Né le 1er septembre 1935 à Mukden (aujourd’hui Shenyang) en Mandchourie, territoire chinois alors occupé par l’empire nippon, où son père avait été envoyé par le gouvernement japonais pour y exercer la profession de dentiste. Il était si nationaliste, qu’il donna au troisième de ses fils le prénom Seiji formé de deux syllabes venues de ceux de deux généraux de l’armée nippone. En 1936, la famille s’installe à Pékin, puis cinq ans plus tard, la guerre venue, à Tachikawa, première base aérienne étatsunienne à la périphérie de Tokyo. Après quelques balbutiements sur l’accordéon que lui a offert sa mère pour ses con ans, il se met au piano grâce à son maître d’école qui le confie à un professeur de musique à l’âge de 7 ans, le don de l’enfant conduit ce dernier à lui faire travailler Bach, Mozart et Beethoven. Mais, jouant au rugby, il se fait casser deux doigts. A 16 ans, il entre à la Toho School de Tokyo, où il commence à diriger des chœurs puis l’orchestre. Si bien que le conservatoire finit par créer pour lui une classe de direction, qui est confié au violoncelliste Hideo Saito (1902-1970), qui le met entre les mains de chef d’orchestre de variétés, Naozumi Yamamoto (1932-2002), puis il tente d’obtenir une bourse pour étudier en France qu’il se voit refusée. En 1959, il se rend en France, où il se présente au Concours de chefs d’orchestre de Besançon, qu’il remporte haut la main, devant un jury présidé par Charles Münch, qui le recommanda à l’Orchestre de Boston et lui présente son prédécesseur Serge Koussevitzky. Invité au Festival de Tanglewood, il se fait remarquer par Leonard Bernstein, qui le prend comme assistant à l’Orchestre Philharmonique de New York New York en 1961. Au même moment, il est sélectionné comme assistant de Herbert von Karajan au Philharmonique de Berlin, où il sera invité chaque année jusqu’à la mort du directeur à vie, à Berlin et à Salzbourg, où il dirige pour la première fois en 1966. Pourtant, en 1962, dans son propre pays, l’Orchestre Symphonique de la NHK qui l’a pourtant engagé décide de le boycotter, le jugeant « arrogant » et « effronté ». En réponse, des intellectuels et des artistes, notamment des compositeurs japonais, organisent pour lui des concerts, mais cette crise détourne Ozawa de son propre pays pour se tourner vers une carrière internationale. Après une nouvelle tentative en 1972, il finira par fonder avec Naozumi Yamamoto l’Orchestre Philharmonique du Japon, puis, en 1987, l’Orchestre Saitô Kinen ainsi que le festival du même nom en 1992. En 1963, il dirige au pied levé le Chicago Symphony au Festival de Ravinia, dont il est nommé l’année suivante directeur de 1964 à 1968. En 1965, il est nommé Chef principal de l’Orchestre Symphonique de Toronto, où il restera jusqu’en 1969.
C’est à Boston, où le souvenir de Charles Münch est encore vivace quand il prend la direction de l’Orchestre Symphonique et du Festival de Tanglewood (une salle de concert porte son nom), qu’il approfondit le répertoire français et se familiarise avec ses couleurs spécifiques, notamment en dirigeant Chronochromie d’Olivier Messiaen, qu’il retrouvera à Paris en 1983, tandis qu’il amène en échange les couleurs et les particularités de la musique germanique. En 1979, il fait ses débuts à l’Opéra de Paris, en 1980 à la Scala de Milan, à l’Opéra de Vienne en 1988 dont ii sera directeur musical de 2002 à 2010. En 2000, au Japon, il fonde l’Ozawa Seiji Music Academy Opera Project pour y former de jeunes musiciens.
Parmi ses très nombreux disques, outre les grands classiques que sont les Gurrelieder de Schönberg et les IIe et VIIIe Symphonies de Mahler, Atmosphère de Ligeti et Stratégie de Xenakis avec le Yomiuri Nippon Symphony, Turangalîla Symphonie de Messiaen ave le Toronto Symphony, son November Steps de son compatriote Toru Takemitsu avec Toronto, sa Sinfonietta de Janacek et son Concerto pour orchestre de Lutoslawski avec Chicago. Il faut aussi citer son enregistrement du « Concert du Nouvel An 2002 » à Vienne qui a atteint le chiffre d’un million d’exemplaires vendus dans le monde, dont huit cent mille au Japon. Un coffret Warner de vingt-cinq CD réunit ses enregistrements avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne, un coffret RCA de six CD assemble ses enregistrement avec le Symphonique de Chicago, DG en huit CD ceux qu’il a réalisé pour le label allemand avec le Boston Symphony Orchestra, le coffret Decca qui réunissait ses enregistrements Philips n’est malheureusement plus disponible…
Bruno Serrou
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