mercredi 14 février 2024

Beatrice Rana a charmé le public de la Philharmonie de Paris avec un programme artistiquement exigeant

Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Mardi 13 février 2024 

Beatrice Rana. Photo : (c) C. d'Hérouville / Philharmonie de Paris

La magie d’un programme d’une grande exigence, autant pour l’interprète que pour les auditeurs, a permis à Beatrice Rana d’envoûter mardi soir la Philharmonie de Paris 

Beatrice Rana. Photo : (c) C. d'Hérouville / Philharmonie de Paris

Depuis sa première apparition en France voilà plus de onze ans, au Festival de La Roque d’Anthéron en août 2012, Beatrice Rana ne cesse d’enthousiasmer tous les publics. Moins médiatisée que sa consœur chinoise Yuja Wang de six ans son aînée au toucher plus aérien et fluide que le sien, la pianiste italienne qui fut notamment l’élève de Benedetto Lupo et Aldo Ciccolini, est à 31 ans l’une des virtuoses les plus marquantes de sa génération. Fidèle à la Philharmonie où elle se produit chaque année, en récital, en musique de chambre ou en concerto, elle a donné cette fois un programme d’une grande variété, dense, sérieusement construit, associant des œuvres exigeantes de compositeurs russe, italien, français et allemand des XIXe  et XXe  siècles.

Beatrice Rana. Photo : (c) Bruno Serrou

C’est avec la redoutable Fantaisie op. 28 d’Alexandre Scriabine (1871-1915) que Beatrice Rana a ouvert son récital aussi court que dense, jouant toute en puissance et en passion tout en laissant se déployer les tendres mélodies ménagées par le compositeur russe, enchâssant des climats que l’on retrouve dans la Sonate de Liszt. La deuxième œuvre du programme était d’un compositeur italien surtout connu pour ses pièces pour guitare et ses musiques de film, Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) bien qu’il se soit attaché à tout type de formations, notamment le piano. Avec I Cipressi (1920) inspirés par les cèdres du village d’Usigliano di Lari en Toscane, sa jeune compatriote a chanté dans son jardin, donnant à cette pièce de moins d’une dizaine de minutes sa diversité d’éclairages qui tirent vers Liszt et Debussy. C’est d’ailleurs dans le catalogue de ce dernier que Rana a puisé pour conclure sa première partie de programme, sélectionnant deux Préludes, La Terrasse des audiences du clair de lune tiré du second Livre, et Ce qu’a vu le vent d’ouest extrait du premier Livre, suivis de L’Isle joyeuse de 1904 à laquelle elle a donné le brillant, la diversité des couleurs au riche nuancier, plus en situation que les Préludes, qui me sont apparus trop organiques, plus incarnés qu’évocateurs.

Beatrice Rana. Photo : (c) C. d'Hérouville / Philharmonie de Paris

La Sonate pour piano en si mineur S. 178 constitue le sommet de la création lisztienne, un véritable Himalaya qui représente à la fois le résumé et la projection dans l’avenir du compositeur hongrois, un monument de la littérature pianistique. Tenant autant de la sonate pour piano en quatre mouvements que du poème symphonique en un seul tenant lié par le système du leitmotiv, autant par son côté narratif que par la diversité inouïe des sonorités et des timbres que le compositeur met en jeu et porte au paroxisme trente minutes durant. A l’instar des pièces qui ont préludé à cet immense chef-d’œuvre, Beatrice Rana a donné de la Sonate une lecture claire, puissante, aux forts contrastes, claire, tirant de son instrument une pyrotechnie de couleurs et de timbres. Néanmoins, son interprétation a manqué de diversité de ton, la musicienne jouant davantage un piano-instrument doué pour la percussion et capable de beau chant qu’un piano symphonique de dimension romantique avec soli et tutti de cordes, de bois, de cuivres et de percussion, et sans doute a-t-il aussi manqué la maturité qui permettrait à la pianiste d’aller au-delà de l’indubitable qualité d’un toucher encore trop porté à la puissance qu’à la souplesse solaire, et peut-être un jour parvenir à évoquer les paysages inouïs brossés par les grands maîtres qui demeurent référents dans cette œuvre-monde, les Vladimir Horowitz, Claudio Arrau, Alfred Brendel…

Beatrice Rana. Photo : (c) Bruno Serrou

En bis, Beatrice Rana a donné une avenante Etude op. 2 d'Alexandre Scriabine et La Fileuse de Félix Mendelssohn-Bartholdy au rythme trop alangui.

Bruno Serrou 


 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire