Paris. Philharmonie. Salle Pierre Boulez. Jeudi 28 septembre 2023
Cette semaine, l’Orchestre de Paris retrouvait l’un de ses anciens
directeurs musicaux (2010-2016), l’Estonien Paavo Järvi, actuel chef titulaire
de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich et de la Deutsche Kammerphilharmonie de
Brême.
Au programme, une première partie fort originale, une seconde plus routinière. Deux œuvres très rares tout d’abord. Bien que signée de Richard Strauss, il reste encore du compositeur bavarois tout un pan de la création fort peu courue des salles de concerts. C’est précisément sur cette part d’ombre du catalogue straussien que l’Orchestre de Paris a judicieusement porté son dévolu. Dans l’ordre chronologique plutôt que dans celui du concert, le Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 8 composé en 1880-1882 par un jeune homme de 16-17 ans empli d’admiration pour Beethoven et Mendelssohn qu’il jouait en famille et qu’il dirigeait à la tête de l’orchestre de jeunes fondé pas son père, le corniste virtuose Franz Strauss - l’œuvre est dédiée à son cousin maternel et professeur de violon Benno Walter, kapellmeister de l’Orchestre du Théâtre de la Cour de Bavière, avec qui Richard Strauss la créa au piano à Vienne le 12 mai 1882, la création avec orchestre -, saturé de difficultés techniques mais déjà empli de sensualité et de lumière qui n’avait pas été donné par l’Orchestre de Paris depuis vingt ans, par le même soliste alors âgé de vingt-sept ans dirigé par un Wolfgang Sawallisch, éminent chef straussien qui célébrait ses quatre-vingts ans. Renaud Capuçon. Le violoniste star médiatique et populaire s’est avéré attentif et concentré, malgré des accrocs de justesse dans l’Allegro initial il est vrai extrêmement délicat à réaliser tant il s’y trouve de pièges techniques, ce qui a conduit à une interprétation glaciale. Plus lyrique et comme libéré, le soliste a su faire chanter son instrument sans traîner dans le Lento, ma non troppo central, et s’est fait plus serein dans un Rondo : Presto final bien en place. Restant judicieusement dans le répertoire straussien, Renaud Capuçon a offert en bis une pièce solo fort rare lui aussi, de l’ultime période de Strauss, âgé de plus de 80 ans, une merveilleuse miniature d’une minute, Daphné Étude en sol majeur op. 141 sur le thème de la métamorphose de la nymphe en laurier tiré du finale de l’opéra Daphné op. 82 (1936-1938) conçue en 1945.
Mais avant le concerto, le concert
avait été ouvert avec une œuvre tout aussi rarement programmée de Richard Strauss,
la suite de la musique du ballet Josephs
Legende (La Légende de Joseph) composée pour les Ballets
Russes, qui en ont donné la création avec succès dans une chorégraphie de
Vaslav Nijinski et Mikhaïl Fokine à l’Opéra de Paris le 14 mai 1914, soit deux
mois et deux semaines avant le déclenchement du Premier Conflit mondial qui fit
que les auteurs ne reçurent jamais ni honoraires ni droits d’auteur. L’œuvre est le fruit de la
quatrième collaboration du compositeur bavarois avec le poète-librettiste autrichien
Hugo von Hofmannsthal, après Elektra,
Der Rosenkavalier et Ariadne auf Naxos et avant Die Fau ohne Schatten, la genèse de ce
dernier s’échelonnant sur la durée de la Première Guerre mondiale qui mit un
terme brutal à la carrière de l’œuvre. Il s’agit ici d’une adaptation d’un
épisode de l’Ancien Testament tiré du Livre de la Genèse qui conte les mésaventures du
berger Joseph, fils de Jacob, vendu comme esclave à Putiphar dont la femme s’éprend
du jeune homme, qui se refuse à elle. Face à ses échecs, elle le condamne à
mort, mais il est sauvé par un ange, ce qui conduit la séductrice au suicide… Certes,
le chaste Joseph n’avait guère de quoi séduire à son tour Richard Strauss, qui
rencontra moult difficultés pour mener à son terme la rédaction de la
partition. Pourtant, en 1947, à la demande de son éditeur qui entendait
réveiller l’intérêt des organisateurs de concerts et de spectacles, en composa
une réduction d’une vingtaine de minutes tout en en étoffant l’orchestration
qui est créée en mars 1949 à Cincinnati sous la direction de Fritz Reiner. C’est
cette version qui a été choisie par l’Orchestre de Paris, qui, dirigé avec énergie par Paavo Järvi, en a
donné une interprétation tendue et chamarrée, mais parfois confuse, la polyphonie
foisonnante - avec en outre l’appoint d’un orgue symphonique - mais très serrée
et contrastée au risque de paraître confuse, tout en mettant en valeur l’ensemble
des pupitres solistes qui ont largement de quoi s’y exprimer.
Au point que l’on n’a pu que regretter le fait que l’Orchestre de Paris eût été mieux inspiré s’il eût choisi l’intégralité de la musique du ballet, plutôt qu’une énième exécution de la monolithique et cyclique Symphonie en ré mineur de César Franck, dans une interprétation au demeurant fort dynamique et virtuose.
Bruno Serrou
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