lundi 7 octobre 2019

The Indian Queen de Henry Purcell ressuscité avec brio à l’Opéra de Lille par Emmanuelle Haïm et Guy Cassiers


Lille (Nord). Opéra. Samedi 5 octobre 2019

Henry Purcell (1659-1695), The Indian Queen. Photo : (c) Opéra de Lille / Frédéric Iovino

A l’Opéra de Lille, Emmanuelle Haïm et Guy Cassiers redonnent vie avec sensibilité à un hybride d’opéra et de théâtre, The Indian Queen, sur une musique d’une fascinante beauté du plus grand des compositeurs anglais, Henry Purcell.

Henry Purcell (1659-1695), The Indian Queen. Photo : (c) Opéra de Lille / Frédéric Iovino

Elève de John Blow, Henry Purcell (1659-1695) est le compositeur emblématique de la Restauration anglaise (1660-1700), période qui a mis un terme au Protectorat militaro-puritain d’Oliver Cromwell (1642-1660) au cours duquel les théâtres ont dû fermer leurs portes au public et où seule la musique d’essence liturgique était autorisée. Malgré la brièveté de sa vie, Purcell demeure le compositeur britannique le plus célèbre, éclipsant par la qualité et la variété de sa création tout ce que ses contemporains ont écrit, de l’opéra à la musique pour clavier en passant par la musique de scène, la cantate (profane et sacrée), la musique de chambre, le chœur a capella...

Henry Purcell (1659-1695), The Indian Queen. Photo : (c) Opéra de Lille / Frédéric Iovino

Si seul Didon et Enée (v. 1688) répond à la qualification opéra, le compositeur londonien laisse à la postérité six « semi-opéras », genre spécifique à l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle. La reprise de l’activité théâtrale s’est en effet accompagnée d’une mise en musique de pièces dramatiques, soit sous forme de ballets soit sous celle de masques, sans relation directe à l’intrigue. Il s’agit donc d’un hybride entre l’opéra et le théâtre, avec une primauté donnée au drame parlé mais mêlé de scènes chantées qui n’ont pas forcément de rapports avec l’intrigue, tandis que la présence de la musique purement instrumentale est justifiée par celle-ci et compatible avec sa progression. Si l’œuvre de Purcell la plus connue du genre est King Arthur (le Roi Arthur), The Indian Queen (la Reine des Indes) est plus rare parce que resté inachevé, et complété par une main plus ou moins experte, celle du frère cadet du compositeur, Daniel Purcell (1664-1717) lui-même compositeur.

Henry Purcell (1659-1695), The Indian Queen. Photo : (c) Opéra de Lille / Frédéric Iovino

L’Opéra de Lille en propose une version la plus authentique possible, du moins sur le plan musical révisée avec soin par Emmanuelle Haïm, puisque le livret pour le moins alambiqué, signé John Dryden et Robert Howard, qui ne sont pas Shakespeare, est opportunément taillé mais avec tact par Guy Cassiers. Cette œuvre se rattache au goût exotique de l’époque baroque lié à la conquête des Indes occidentales entre le Mexique et le Pérou, dont les Indes galantes de Rameau est l’un des sommets en France. Il s’agit du récit fictif qui oppose la reine indienne du Mexique, Zempoalla, aux Incas du Pérou après avoir fait assassiner son propre frère, roi du Mexique, avec la complicité du général Traxalla, tandis qu’un quatrième protagoniste, le général inca Montezuma, s’avère être en fait être le fils du roi assassiné, donc l’héritier légitime du trône du Mexique auquel s’associera finalement celui du Pérou, puisqu’il qu’il épousera la fille de l’Inca, Orazia. A la partition inachevée de Purcell, Emmanuelle Haïm a ajouté d’autres pages du compositeur ainsi que de deux de ses contemporains, John Blow (1649-1708) et Matthew Locke (1621-1677).

Henry Purcell (1659-1695), The Indian Queen. Photo : (c) Opéra de Lille / Frédéric Iovino

L’Opéra de Lille a réuni pour cette « recréation » une distribution entièrement anglophone, constituée de huit chanteurs et de huit comédiens, tous aussi crédibles et remarquables dans leurs rôles respectifs, donnant une réelle densité à cette œuvre hybride dont les coutures ont été remarquablement façonnées par la mise en scène noire et blanc de Guy Cassiers animée par une direction d’acteur au cordeau qui met les deux mondes à la fois en concurrence quasi conflictuelle et en osmose, accentuant la confrontation par la voix amplifiée des comédiens et par celle naturelle des chanteurs d’opéra (quatre sopranos, trois ténors, baryton, basse), tandis que, dans un espace ténébreux de Tim Van Steenbergen froidement éclairé par des tubes de néon de Fabiana Piccioli, sur des écrans descendant des cintres telles des plaques de béton sont projetées en vidéo réalisée par Frederik Jassogne des gros plans des comédiens préenregistrés dont les désynchronisations temporaires et plus ou moins marquées participent à la dramaturgie de façon singulière. Un spectacle certes esthétique mais qui réussit surtout à transmettre les états d’âme des protagonistes d’une pièce de théâtre noire aux élans vaguement shakespeariens, la splendeur du texte en moins. Dans la fosse, Le Concert d’Astrée et Emmanuelle Haïm donnent toute l’intensité et la fascinante beauté de cette musique d’une singulière humanité.

Bruno Serrou

Jusqu’au 12 octobre 2019. Rés. : 03.62.21.21.21. https://www.opera-lille.fr. Spectacle ultérieurement repris Théâtre de Caen, Opéra des Flandres (Anvers-Gand) et Théâtres du Luxembourg

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